Voici une musique aérienne qui, dès les premières notes, vous emmène sur un nuage. Plus près du soleil là où les couleurs sont plus vives comme la forêt au printemps. La forêt européenne, africaine ou amazonienne, bien malin qui peut le dire tant, si on en respire les différentes effluves avec volupté, il est bien difficile d’en préciser l’origine. En fait, voici le résultat d’une fusion parfaite entre différentes cultures au point qu’elles ont été intégrées en une musique personnelle parfaitement aboutie. On peut dire que, depuis la sortie de son premier disque Amazone en septembre 2001, Anne Wolf a parcouru un sacré bout de chemin. Du prix « Django d‘Or Jeune Talent » qu’on lui a attribué en 2002 jusqu'à cet album, les années ont vu défiler de multiples concerts en Belgique et à l’étranger au cours desquels la pianiste a affiné un style contrasté, sophistiqué mais chatoyant et très personnel. Pour comprendre, il suffit d’écouter sa version de Caravan, mille fois ressassée par d’innombrables jazzmen : personne ne l’avait encore arrangée comme ça, avec autant d’innovations mélodiques et rythmiques (formidables percussions de Janco van der Kaaden) même si, en fin de compte, le groove lancinant de la mélodie composée par Juan Tizol et Duke Ellington est toujours présent. Mais si le répertoire comprend encore deux autres standards (un Bernie’s Tune guilleret traité à la brésilienne et The Dolphin, une ballade languissante jadis enregistré par Toots Thielmans et Kenny Werner), ce sont surtout les compositions originales d’Anne Wolf qui surprennent par leur maturité, leur ouverture et leur grande beauté. Du versatile Babu, Buba & Seedy, imprévisible comme les remous du Fleuve Congo, à la ballade lunaire forcément intitulée Moon At Noon, le trio explore toutes les musiques qui lui passent par la tête. Le piano résonne avec une tonalité guillerette, Anne Wolf préférant jouant avec parcimonie des phrases qui chantent plutôt que de se laisser emporter par sa technique. Quelle merveille aussi d’entendre le bassiste Theo de Jong dans ses oeuvres. Rares sont les morceaux où sa basse acoustique à cinq cordes, constamment active, ne s’envole pas dans un solo d’anthologie. En plus, pour varier les couleurs, le trio a fait appel à des chanteurs et chanteuses sur quelques titres. Marcia Maria pousse ainsi la chansonnette avec une voix expressive sur le très atmosphérique Misterios Do Coraçao tandis que Ben Ngabo vocalise à l’africaine sur l’étrange Chemin de Pierre sous-tendu par des harmoniques de basse. Ce disque en forme de patchwork réussi est non seulement d’une grande lisibilité mélodique mais, quand il s'ouvre aux autres cultures, il jette aussi un souffle d’air frais sur un jazz ethnique trop souvent stéréotypé, ici libéré de tout exotisme kitch et superficiel. Excellent !
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