Incroyable que personne n’y ait pensé avant car Tricycle est un nom qui convient parfaitement à un trio de jazz dans lequel trois musiciens à part égale mettent un ensemble en mouvement avec un équilibre parfait. Après un premier CD sorti en 2004 (Orange For Tea), Tuur Florizoone (accordéon et piano), Philippe Laloy (saxophones et flûte) et Vincent Noiret (basse) proposent avec King Size onze nouvelles pièces étonnantes de fraîcheur et de subtilité. La plupart sont des compositions de Florizoone mais on ne sera guère étonné d’entendre dans le répertoire une reprise du Tribute To Vissotsky (Radici, 1995) du jazzman troubadour italien Gianluigi Trovesi qui a su si bien mêler le Jazz au folklore de son pays. Evidemment, l’accordéon crée toujours une appréhension tellement on redoute à chaque fois d’entendre les sempiternelles valses musettes popularisées par Gus Viseur sur lesquelles il est bien difficile d’innover. Mais qu’on se rassure, l’instrument est ici utilisé dans un cadre beaucoup plus moderne : il suffit pour s’en convaincre d’écouter Tupyzinho ou accordéon et flûte se rencontrent sur un beat à la St Germain (on pense évidemment au So Flute de l’album Tourist). Grâce à l’imagination et à la complémentarité parfaite de ses deux comparses, Florizoone développe autour de son instrument des mélanges sonores inusités et sophistiqués qui ne sont pas sans évoquer ceux de Michel Portal. Comme chez ce dernier, la musique véhicule bien souvent des images et conviendrait parfaitement à l’illustration sonore de films : collez le piano triste d’Epilogue sur les images d’un polar nocturne ou l’accordéon mélodramatique de Sylvana’s Dream sur une comédie amère de Claude Sautet et le résultat est garanti. Les genres abordés sont éclectiques et entre le premier titre 4 & 3 + 4 avec son rythme tournoyant et le dernier, Rustic, en forme de jazz moderne plus classique marqué par une superbe partition de Florizoone cette fois au piano, on a droit à une série d'interprétations lyriques ou euphoriques dont le seul dénominateur commun est qu'aucune d'entre elles ne laisse indifférent. Quelle justesse, quel sens de la répartie, quelle osmose magnifique entre ces trois-là ! Mais si l’album s’appelle King Size, c’est que le trio a encore élargi sa palette déjà fort riche en faisant appel à quelques invités. Stephan Pougin est ainsi crédité aux percussions sur six morceaux, le trompettiste Laurent Blondiau intervient sur trois titres et prend deux formidables solos sur l’émouvant Epilogue et sur Rustic tandis que Victor Da Costa ajoute beaucoup de sel à Pas Ce Soir, Je Suis Crevé grâce à un accompagnement de guitare discret et un solo plein de verve ingénieusement ponctué par l’accordéon du leader. Le compact est emballé dans un luxueux digipack en quatre volets présentant à l’intérieur de belles photographies du trio en concert et on notera, en passant, le félin maléfique sur fond écarlate qui rappelle étrangement celui de la pochette d'un ancien LP de Jimmy Smith (The Cat, 1964). Si vous appréciez les musiques acoustiques, expressionnistes, à la fois mélancoliques et dramatiques, colorées et évocatrices, King Size est un album passionnant et raffiné qui ne cessera à aucun moment de vous surprendre.
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