Pour ce troisième compact en quartet, le vibraphoniste Pascal Schumacher a conservé à ses côtés le bassiste Christophe Devisscher ainsi que le pianiste Jef Neve, devenu entre-temps une vedette grâce au succès international remporté par son propre album Nobody Is Illegal. Teun Verbruggen, qui joue dans le trio de Neve, a quant à lui cédé sa place au batteur allemand Jen Düppe dont la frappe sèche et dynamique ne nous fait toutefois rien regretter. Déjà, l’album précédent, Personal Legend sorti en 2005, séduisait par ses alternances de vélocité et de lyrisme et ses interplays télépathiques entre le vibraphone et le piano. Tout ça est reconduit ici pour notre plus grand plaisir : les improvisations s’emboîtent avec une maîtrise et une efficacité qui laissent pantois. Que ce soit sur des compositions introspectives comme Bad Memory ou sur d’autres plus exubérantes comme Sita’s Walk, les deux solistes se montrent fidèles à leur approche musicale : explorer avec passion tous les possibles. Partisan d'un jeu à quatre mailloches, le leader fait chanter ses lames avec dextérité et créée des chapelets de notes tellement riches qu’à la première écoute, on a parfois du mal à les suivre. À l’instar de son acolyte pianiste, il est aussi capable au sein d’une même composition de passer de la plus extrême délicatesse à des envolées ascendantes où les tempos filent dans tous les sens. Picabia's Pain Ting par exemple a beau commencer comme la simple mélodie d‘une boîte musicale, après quarante secondes, la musique se lève soudain comme une tempête avant de revenir à des paysages sonores apaisés quelques instants plus tard. Tensions et détentes se succèdent ensuite dans une série de tableaux audacieux et riches en couleurs. C’est sur ce principe d’opposition en mouvement que ce disque, qui joue littéralement avec le temps, a été conçu : dilatée et compressée, la pulsation est soumise à un jeu de perpétuelle élasticité qui brouille la perception de l’auditeur et l’oblige à revenir constamment sur ce qu’il a entendu. Mais le morceau le plus attachant est pour moi ce Monday Night At The Cat Club : un thème hypnotique, presque spirituel, qui passe lentement de la nuit à la lumière avec une infinité de nuances dans l'esprit du trio d'Esbjörn Svensson. Vibraphone et piano se marient ici à la perfection d’autant plus que la technique d’enregistrement a privilégié une clarté sonore cristalline, proche de celle qu’on pouvait entendre sur les disques ECM de Chick Corea & Gary Burton. Evidemment, ce jazz moderne et novateur demande qu’on y retourne souvent pour en goûter toutes les saveurs. Il faudra donc se donner le temps pour s’imprégner de cette musique vivace et aller au-delà d’une certaine abstraction mais au bout de l'effort, la séduction viendra comme une récompense.
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