Jazz Belge : Archives 3


Weber Iago 4tet : Spring Will Stay Here Weber Iago 4tet : Spring Will Stay Here
[Mogno Music J014], 2003


Spring Will Stay Here est la troisième production « belge » du pianiste et compositeur brésilien Weber Iago. Après Two Hands, One Heart en solo (Mogno J006) et O sonho e o Sorriso en duo avec Charles Loos (Igloo IGL 160), ce disque généreux (65 minutes au total) permet aujourd’hui d’apprécier Iago en quartet et accompagné par un quatuor à cordes. Les dix compositions du leader, dont deux avec une introduction séparée, et une de Heitor Villa-Lobos sont mises en perspective avec un soin méticuleux pour ne pas dire lumineux. Superbement accompagné par Pierre Bernard aux flûtes, Henri Greindl à la basse acoustique ou électrique et Antonio Reina à la batterie et aux percussions, le pianiste affiche une diversité dans ses atmosphères qui témoigne d’une belle vision d’un jazz ouvert qui va bien au-delà de son inspiration latine. On ne peut qu’être conquis par ce jazz de chambre lyrique et intelligent interprété par un quartet qui a de la classe. Ce cédé s’apprécie comme une bouffée d’air pur légèrement épicé et, bien emballé dans sa pochette rouge passion, s’avère une totale réussite. Le printemps est là et restera !

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Michel Mainil Quartet : Water And Other Games Michel Mainil Quartet : Water And Other Games
[ARAM 2003.101], 2003


La pochette de Water And Other Games a un look rétro qui de prime abord ne donne aucune indication sur le contenu musical du cédé qu’elle protège. En allant voir sur le site du leader, on apprend que Michel Mainil, diplômé du conservatoire de La Louvière et responsable du centre culturel de cette même ville, est passionné de jazz et qu’il en joue sur scène depuis fort longtemps. Après 32 années de musique live, l’homme sort enfin de l’ombre et, à 48 ans, décide d’enregistrer un disque. Le premier titre, le seul de sa plume, étonne d’emblée par le grain du ténor, l’aisance du musicien et ce son ample qui nous ramène quelques 40 années en arrière quand Rollins ou Coltrane, alors maîtres des forges, boutaient le feu à leur musique avec des airs de chaman. Le reste témoigne d’une science évidente du répertoire, Mainil reprenant à son compte le fameux Fee-Fi-Fo-Fum de Wayne Shorter (souvenez-vous : c’était sur Speak No Evil en 1964), Beatrice extrait du non moins fameux Fuschia Swing Song de Sam Rivers (1964), Nemesis emprunté à Dave Holland (Extensions, 1989), Monk’s Dream et quelques autres titres moins connus. Le pianiste Alain Rochette et le contrebassiste José Bedeur se fendent chacun d’une composition et le tour est joué. Enfin presque, car le cédé se clôture sur un When It’s Sleepy Time Down South qui vient rappeler avec élégance qu’on est là pour le plaisir avant toute chose. Et on s’amuse d’ailleurs beaucoup à écouter cette musique bien jouée avec beaucoup d’émotion et de respect. Ce disque nous incite même à retourner à la source et à ré-écouter ces classiques intemporels interprétés par leurs créateurs. C’est dire d’une autre façon qu’il apprendra à ceux qui le connaissent encore mal à aimer le Jazz. Si c’était là l’une des intentions de Michel Mainil, sa mission est réussie au-delà de toute espérance.

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Fred Delplancq Quartet : Witches Dance Fred Delplancq Quartet : Witches Dance
[Travers TRA 006], 2004


Le saxophoniste Frédéric Delplancq, je l’ai entendu souvent sur disque et en concert (sur la scène du défunt Travers notamment mais aussi dans les festivals) au sein de la seconde mouture du quintet No Vibrato du pianiste Etienne Richard où il avait eu la tâche délicate de remplacer Fabrice Alleman. Difficile de dire à quoi pouvait bien ressembler son premier essai en solo. Mais un disque avec un titre qui s’intitule Les Guerriers de la Lumière, évoquant par là le fameux Manuel de Paulo Coelho, moi ça me donne déjà envie de l’écouter. "Les Guerriers de la Lumière" donc est une promenade lyrique au tempo médium avec une belle envolée de sax suivie d’une partie de piano très expressive de Jef Neve : ça sonne comme un standard et ça ne manque pas de relief. Conquis, on retourne à la première plage du cédé : Seventy Sevens swingue comme un classique hard bop de la bonne époque Blue Note. Là, ça file à belle allure sur les rails comme un antique train à vapeur qui aurait pour nom « Jazz Messengers ». Un petit salut en passant à la rythmique jubilatoire, composée de Guus Bakker à la contrebasse et de Kris Duerinckx à la batterie, qui alimente le foyer de la locomotive sans jamais faiblir. New Start aussi emporte l’adhésion par sa fougue échevelée, le leader mettant le feu à la partition qui se consume en volutes de fumée tournoyantes. This Is My Pain est un long moment de lyrisme pur et généreux de même d’ailleurs que Serenity et Witches Dance. Quant à la plage sans nom Untitled, c’est un tempo médium mais qui ose un groove discret avec une rythmique à consonance originale. On ne manquera pas de tomber sous le charme de cette musique spontanée qui en veut, témoignage convaincant d’un musicien dont la personnalité artistique est maintenant bien confirmée. Un guerrier de la lumière respecte le principal enseignement du Yi-King : la persévérance est favorable !

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Saxkartel : Airdance Saxkartel : Airdance
[IGLOO IGL 175], 2003


Les années 70 ont vu proliférer quelques ensembles de jazz composés uniquement d’une section de saxophones comme le World Saxophone Quartet, le premier, le plus célèbre et le plus abordable de tous, ou encore le Rova Saxophone Quartet, bien plus complexe et avant-gardiste. Aujourd’hui, Saxkartel s’inspire du même concept en associant un soprano, un alto, un ténor et un baryton mais s’oriente quant à lui vers un jazz plus classique à tendance Bop. Regroupés autour de Tom Van Dyck (bs), responsable de la plupart des compositions originales et de tous les arrangements, on retrouve l’excellent Kurt Van Herck (ts) bien connu depuis longtemps des amateurs de la scène belge (son disque Another Day, Another Dollar reste une référence), le jeune Robin Verheyen (ss) et la Française Sara Meyer (as). Ce qui fait le succès d’une telle entreprise, ce sont évidemment les arrangements : lignes de basses au baryton pour atténuer l’absence de rythmique, enfilement millimétré des envolées des solistes, harmonies et contrepoints, on a l’impression ici que rien n’est laissé au hasard et c’est probablement le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter le premier titre Centre Pass : les saxophones se prolongent, s’opposent l’un à l’autre ou se fondent en passages plus denses et quand Van Herck prend son envol, il est mis en apesanteur par le reste de la section de telle façon que c’est davantage le jeu collectif que l’on apprécie plutôt que le soliste. Les standards comme Skylark, Brilliant Corners de Monk, Perdido de Tizol et Line For Lyons de Mulligan témoignent de la même densité et de la grande qualité des arrangements. Boxwood Blues est un roller coaster qui fait exception en laissant plus de liberté aux solistes tandis que Me, My Car And I pourrait servir de bande son à un film humoristique sur le trafic automobile. Bubbles enfin conclut le répertoire de façon atypique et émotionnelle avec un superbe duo de ténor et baryton. Airdance est un bel ouvrage et il mérite amplement une écoute attentive. Ce genre d’expérience extrême qui convaincra aisément un public de jazzophiles avertis stimulera probablement aussi les neurones chez tous les autres.

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Pascal Schumacher Quartet : Change Of The Moon Pascal Schumacher Quartet : Change Of The Moon
[IGLOO IGL 173], 2003


Le vibraphone est un instrument finalement assez peu représenté dans le jazz européen mais la petite Belgique compte quand même quelques spécialistes de l’instrument avec Sadi, Guy Cabay et plus récemment, Jan De Haas. Le Luxembourgeois Pascal Schumacher appartient à la nouvelle génération des vibraphonistes et son disque, enregistré en quartet et dédié à Guy Cabay qui fut son professeur de conservatoire, donne un bel aperçu de son talent. Difficile de le rattacher à un courant musical ou à un artiste spécifique tant sa sonorité et son jeu apparaissent frais et modernes. Même le standard Summertime de Gershwin, la seule composition du disque qui ne soit pas originale, est doté d’un arrangement si singulier qu’on ne se lasse pas de réécouter cette rengaine mille fois entendue. On appréciera particulièrement Change Of The Moon qui s’étale telle une longue vague mélancolique et Colours, plus dynamique avec sa petite mélodie et son superbe solo de piano joué par le jeune Jef Neve déjà fort apprécié récemment au sein du quartet de Frédéric Delplancq. L’entente entre le leader et le pianiste est jubilatoire sur Blues For Mister P.S. et Satieologie démontre que Schumacher est aussi un habile compositeur. Le leader ne cherche jamais à en faire trop, préférant de loin jouer la phrase idéale ou la note juste ou encore ornementer la mélodie voire le rythme avec des effets percussifs et des timbres spécifiques qui peuvent aussi bien évoquer une cloche qu’un carillon, ce qu’un vibraphone peut faire à merveille si l’on sait s’en servir. Christophe Devisscher à la basse et Teun Verbruggen à la batterie, qui jouent ensemble dans le quartet d’Alexi Tuomarila, composent une rythmique dynamique et créative parfois très présente quand c’est nécessaire (Chucho’s Groove). Finalement, chaque titre a ses qualités et l’auditeur pourra choisir le morceau qu’il préfère en fonction de son état d’esprit : la musique est bonne et il y en a dans ce compact pour tous les goûts.

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Jean-Christophe Renault : Là est la question Jean-Christophe Renault : Là est la question
[SABAM 2004 / Bohemian Groove 01], 2003


Jean-Christophe Renault a enregistré ce disque intimiste sur son quart-queue Förster des années 30, chez lui, dans son atelier au cœur des Ardennes Belges. Souvenirs de rencontres furtives ou voyages imaginés dans des contrées où il n’est pas allé, rêveries entre ombre et lumière, notes jetées aux quatre vents, la musique est avant tout émotion. Le pianiste tient toutefois à nous faire partager les sources d’inspiration de ses compositions et, à l’intérieur de la pochette, il nous livre quelques pistes, quelques bribes d’information sur les pensées ou les concepts à la base de leur création. Ainsi, Trois Valses est-il annoncé comme une mixture de valse musette, de vin blanc et d’Eric Satie, étrange description qui, à l’écoute de la musique, se révèle pourtant congrue. Haïku pour John Cage avec sa sonorité de cithare japonaise est décrit comme un court hommage au père du piano préparé. Guanarito est censé évoquer un village perdu du Venezuela et après s’être imprégné de sa mélodie mélancolique, on est plutôt d’accord avec cette image. Quant à Uncomposed, le pianiste en parle comme une musique de l’absence à écouter entre les notes, quelques bribes de musique décomposée où il a essayé d’enlever les notes superflues. Il y a aussi cette longue pièce intitulée Bohemian Groove, une belle composition en forme d'errance qui parvient à installer un climat de profonde nostalgie. Tout cela est agréable à entendre, porteur de rêve et d’une indicible invitation au voyage y compris intérieur. Ce n’est pas du Jazz bien qu’il y ait probablement quelques passages improvisés (dans Merengue de Aranjuez par exemple), ce n’est ni de la musique World et encore moins de la variété. C’est incontestablement plus proche de la musique classique occidentale ou alors de certaines musiques de film qui savent comment conjuguer lyrisme et évasion. En tout cas, Là est la question, conçu et interprété par un artiste qui s'autorise à n'être que lui-même, est une vraie curiosité !

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Rêve d'Eléphant Orchestra : Lobster Caravan Rêve d'Eléphant Orchestra : Lobster Caravan
[WERF 042], 2004


A voir la bande de joyeux drilles posant avec des guitares sur la photo à l’intérieur du compact, on est à peine surpris à l’écoute du premier titre totalement free de cet album. Il convient pourtant de ne pas s’arrêter là car tout de suite après, on retrouve l’univers festif et plutôt déjanté dont ce collectif de musiciens nous avait déjà gratifié avec leur premier opus paru en 2001 (Racines du Ciel, WERF 026). Avec un sens de la dérision qui confine parfois au burlesque, Rêve d’Eléphant Orchestra explore des sentiers inédits sur des rythmes organiques qui doivent autant à la tradition africaine qu’à la musique de cirque. Au-dessus des percussions et des bruitages, planent parfois quelques beaux solos qui rattachent cette musique sans nom à ce que l’on appelle le Jazz : Laurent Blondiau à la trompette ou au bugle sur Pop Stoemp, sur 545 Part One et sur Cinéma-danse, la flûte de Pierre Bernard dans un surprenant duo avec Michel Massot sur Célestin (l’un des meilleurs morceaux du disque et qui, à lui seul, vaut bien qu’on en recommande l’écoute) ou encore les échanges entre guitare électrique et flûte sur le très africain Les Arganiers de Bassoko (le deuxième grand moment du répertoire, totalement enthousiasmant). Ailleurs, on a droit à une panoplie de rythmes, de percussions et d’effets sonores saugrenus pour des assemblages déconcertants et nourris de fantaisie. Que dire d’autre de cet OVNI dont la musique est tout sauf insipide sinon qu’en concert, il doit chauffer la salle comme un soleil tropical. Mais comme ça n’entrera pas facilement dans toutes les oreilles, c’est à écouter quand même avant d’acheter !

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André Goudbeek - Xu Fengxia - Joe Fonda : Separate Realities André Goudbeek - Xu Fengxia - Joe Fonda : Separate Realities
[WERF 043], 2003


Le principe des réalités séparées se réfère à la multitude de différences entre les individus. Il ne suffit pas de les tolérer ni de les respecter mais plutôt de les observer jusqu’à les comprendre et de tenter de construire ensemble quelque chose de valorisant. Les trois musiciens associés dans cet album viennent de réalités séparées, jouent des musiques aussi singulières qu’hétérogènes et réagissent probablement différemment aux mêmes stimuli dans le cadre d’un échange musical spontané. Le saxophoniste alto André Goudbeek, l’homme de Mechelen qui a joué avec les Brotherhood Of Breath de Chris McGregor et le Willem Breuker Kollektief, est l’un des plus ardents défenseurs du Free Jazz en Belgique. Joe Fonda, ici crédité à la contrebasse et à la flûte, fut le bassiste d’Anthony Braxton de 1984 à 1999 et est devenu au fil des années, en sideman ou dans ses propres projets, un musicien incontournable de l’avant-garde. Enfin, Xu Fengxia, née à Shanghai et vivant actuellement en Allemagne, est une spécialiste de la musique chinoise et du guzheng, un instrument à cordes pincées de la famille des cithares dont les origines remontent au début de la civilisation chinoise. Au cours de sa carrière, Xu Fengxia a évolué vers des formes plus modernes de musique comme le Rock, le Jazz ou la musique contemporaine sans jamais toutefois abandonner la musique populaire de son pays d’origine. Elle joue du guzheng à la manière traditionnelle en pinçant les 21 cordes de l’instrument avec un plectre mais aussi de façon plus iconoclaste à l’aide d’un archet ou tout simplement en percutant les cordes avec ses mains ou des objets divers. La rencontre de ces trois ovnis pouvait, on s’en doute, conduire à n’importe quoi et à son contraire et c’est à peu près ça qu’on entend sur ce compact. Sur le premier titre, Creatures Of The Night, la musique improvisée sur le fil sans aucune thématique est faite de glissements, de frottements, de craquements, de notes libres et atonales qui composent une atmosphère mystérieuse voire inquiétante. La voix de Xu Fengxia qui plane à l’occasion très haut au-dessus des timbres des instruments ajoute encore à l’étrangeté du propos. Cette musique à vif perpétuellement en construction s’organise quelque peu sur A Separate Reality grâce au bandonéon joué par Goudbeek qui sert de ciment mais reste quand même dans le domaine de l’indescriptible. La suite en trois parties, The Wanderer, est l’une des pièces maîtresses de l’album, créant des paysages sonores excentriques perforés par les stridences du saxophone alto. Buddha Of Mercy, qui commence comme de la musique chinoise pour évoluer lentement en une improvisation libertaire, est le morceau le plus accessible (!) et c’est aussi celui que je préfère. On y retrouve un peu de l’esprit des grandes révolutions créatives d’Archie Shepp, de Marion Brown voire d’Albert Ayler. Enfin, A Cloud Moving Away, qui clôture le répertoire, s’inscrit également dans une structure moins chaotique qui permet de mieux apprécier les interactions entre les musiciens. On a même la nette impression que ces réalités séparées ont fini par se rencontrer, ce qui était sans doute le but de cette confrontation aussi originale qu’énigmatique. Un disque malgré tout réservé aux amateurs de découvertes qui gardent le contact avec la musique contemporaine et toute forme d’expérience avant-gardiste.


Django A Tribute to Django Reinhardt - Live at the Ancienne Belgique (14 et 15 juin 2004)
[WERF 045], 2004


Dans les années 30, Django Reinhardt inventa le premier jazz vraiment européen par une rencontre unique entre la musique manouche et les rythmes noirs américains. Le Swing Manouche qu’il a inventé est resté un genre à part entière revisité au fil des ans par d’innombrables musiciens qui ont continué à le faire évoluer, l’enrichissant par de nouveaux thèmes, des formules instrumentales inusitées ou par l’apport d’autres musiques. Parmi les plus grands interprètes contemporains du Jazz Manouche, on retiendra Boulou et Elios Ferré, Dorado Schmitt, Bireli Lagrène, Rafael Fays, le Trio Rosenberg, Romane ou Moreno mais il faut compter aussi avec les centaines de groupes et « Hot Club » qui fleurissent de par le monde et qui paient leur tribut chaque année à cette musique sans âge. Alors, puisque Django est né en Belgique à Liberchies près de Charleroi et qu’il a largement inspiré les deux grandes vedettes belges de la six-cordes, René Thomas et Philip Catherine, l’organisation au cœur de Bruxelles d’un concert en forme d’hommage est une bonne idée et l’enregistrer une idée encore meilleure. Le groupe est structuré comme le Quintette du Hot Club de France avec trois guitares en ligne, un violon et une contrebasse mais il est augmenté en septet avec l’addition occasionnelle de deux saxophones. Fapy Lafertin et Patrick Saussois sont les deux guitaristes solistes. Né à Courtrai dans une communauté manouche, Lafertin, qui fonda le célèbre quartet WASO avec Koen de Cauter dans les années 70 et qui se produit aujourd’hui avec son groupe The Lafertin Quintet, est un spécialiste renommé de la musique de Django qu’il peut recréer grâce à une technique fabuleuse, un enthousiasme et un sens du swing et de l’improvisation qui l’élèvent carrément au niveau d’un Stochelo Rosenberg. On s’en rendra compte sur le titre d’ouverture, Swing Guitares : dès les premières mesures on est plongé dans l’ambiance si particulière des enregistrements du Hot Club sauf qu’ici, capté par des techniques d’enregistrement moderne, le son est clair et chaleureux. Quant au parisien Patrick Saussois, guitariste gaucher (ses cordes sont inversées) surtout connu par son groupe Alma Sinti au sein duquel il dialogue avec un accordéon sur des thèmes liés au Jazz, au Swing Manouche ou au Musette, son style est plus éclectique mais tout aussi plein de panache : écoutez ses solos véloces superbement agencés sur sa propre composition Just One For Babik également enluminée par le violon du jeune multi-instrumentiste Tcha Limberger. La pompe manouche a été confiée aux fils de Cauter qui s’en acquittent avec beaucoup d’enthousiasme. Joop Ayal ajoute son saxophone ténor sur quelques titres, recréant une ambiance très années 30 comme sur ce Body And Soul joliment interprété à la manière du grand Coleman Hawkins. Mais le maître de cérémonie est Koen de Cauter qui joue du saxophone soprano sur la plupart des morceaux mais aussi de la guitare sur L’âme des Poètes de Charles Trenet que Koen affectionne depuis longtemps. D’une grande sensibilité (Manoir de mes Rêves), il sait aussi swinguer avec fougue (Avalon et Django’s Tiger qui termine le concert en un finale grandiose) et pousse même la chansonnette avec humour sur la célèbre Flambée Montalbanaise de Gus Viseur fort appréciée du public. Pour en savoir plus sur ce musicien méconnu, je vous recommande d’écouter aussi le dernier compact de Waso avec Tcha Limberger, Ombre et Lumière, paru récemment chez Munich Records. En attendant, cette musique qui allie swing et virtuosité à une belle sensibilité dans un répertoire jouissif et plutôt malin, est recommandée à tous les mélomanes et aussi aux amateurs de Hi-Fi qui auraient pu aimer le jazz manouche de Django s’ils n’avaient été rebutés d’emblée par la mauvaise qualité des compacts repiqués des anciens 78 tours ou de masters vieux de plus de 50 années. Ce disque en tout cas lui rend un hommage digne de son génie.


Ivan Paduart : Douces Illusions Ivan Paduart : Douces Illusions
[IGLOO IGL 176], 2004


La longue discographie d’Ivan Paduart a plusieurs fils directeurs et ce compact-ci, poursuivant une approche entamée il y a y a 12 ans, s’inscrit dans la ligne la plus romantique du pianiste belge. En 1993, Paduart enregistrait Illusions Sensorielles (Igloo) avec le français Richard Galliano au bandonéon sur trois titres. Une année plus tard, il prolongeait cette association aussi originale que réussie avec le disque Folies Douces. Aujourd’hui, il réitère une troisième fois l’expérience en y ajoutant un orchestre à cordes de huit musiciens dont les arrangements ont été écrits par lui et pour deux morceaux confiés au pianiste Michel Herr. Ici, le lyrisme passe nettement avant le swing. Les notes claires du piano se mélangent avec bonheur au chant de l’accordéon sur un tapis de cordes quasi ininterrompu. Pour accompagner une telle musique et lui conserver son caractère délicat et sa sereine beauté, il fallait une rythmique attentive à l’humeur musicale plutôt contemplative : Paduart l’a trouvée avec le batteur Bruno Castellucci et le contrebassiste Philippe Aerts (b) dont l’efficacité et la discrétion dans ce contexte murmuré sont exemplaires. Bien sûr, après trois titres dans la même veine, la musique se fait languissante et le risque d’indolence guette. Mais l’on se sent soudain mieux quand Paduart et Galliano se réchauffent un peu les doigts sur un quatrième titre plus délié et swinguant que les autres (Horlogeries). A quelques thèmes originaux ont été ajoutés d’anciennes compositions revisitées dans l’esprit de la session comme Illusion Sensorielle, Après l'Amour ou 20.000 Lieues Sous les Mers de Paduart ou encore Giselle de Galliano (Laurita, 1995). Les mélodies sont souvent belles et les improvisations des deux solistes en prolongent naturellement l’évidente fluidité. Si vous aimez le jazz avec cordes et le son de l’accordéon, la musique plus reposante que tonique, la rêverie davantage que l’aventure, il est probable que ce disque ne vous laissera pas indifférent.

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Guy Cabay : On The Jazz Side Of My Street Guy Cabay : On The Jazz Side Of My Street
[IGLOO IGL 181], 2005


L’homme de Polleur (près de Spa en Belgique) est un touche-à-tout facétieux. Diplômé de musicologie à Liège, il est professeur d’histoire du jazz, pédagogue, vibraphoniste, chanteur, compositeur, amateur de musique brésilienne et c’est aussi un amoureux de la langue wallonne. Ce disque est un peu un mélange de tout ça. On y trouve des chansons en patois de Liège (dont un pamphlet anti-Bush) mais aussi une interprétée dans la langue de Voltaire (Belle Marquise d’Amour Mourir) et une autre surprenante en anglais dont le texte résulte de la combinaison de titres de standards : Just in time, yesterday, round about midnight by singing in the rain, I met ma satin doll, my funny Valentine … Les titres instrumentaux purement jazz constituent heureusement la majorité du répertoire avec neuf morceaux sur les treize. Et là, le swing est roi avec Cabay en styliste du vibraphone entouré de Jacques Pirotton à la guitare et d’une rythmique particulièrement en verve constituée de Benoît Vanderstraeten à la basse électrique et de Bruno Castellucci à la batterie. Les musiques y sont généreuses et chantantes, sans esbroufe ni bavardise, et s’appellent par des noms qui font référence à ceux qui les ont inspirées : Billy Strayhorn Sur les Champs Elysées, Laurindo’s Atmosphère, Gigue for Django ou, en forme de clin d’œil pour les connaisseurs, Bach’s Groove. Et il y a même une vraie perle dans le lot : l’extraordinaire Thelonious In Woodstock interprété dans un style moderne proche de la fusion, transcendé par un Alexandre Cavalière mutant qui a délaissé le jazz manouche pour une incroyable impro évoquant davantage Jean-Luc Ponty au temps de Frank Zappa. Bref, si vous aimez la chanson dialectale (un peu) et le swing (beaucoup), cet album est pour vous et, sachant ce qui vous attend, je ne vois aucune raison que vous en soyez déçu.

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Ivan Paduart : Alone Ivan Paduart : Alone
[ALONE Records], 2003


Ivan Paduart électrique ou acoustique, en quartet ou quintet, avec des invités ou en trio. Enfin, car ça fait longtemps qu’on l’attendait celui-ci, en solo. L’homme, son piano, ses compositions, ses improvisations, sa sensibilité … et ce sentiment d’aisance qui flotte sur les touches d’ivoire. Quelque part, le pianiste explique que ce disque a été enregistré en trois sessions différentes, qu’il les a espacées dans le temps pour mieux les préparer, pour mieux se préparer ! Contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre, il ne s’agit pas de longues improvisations monotones mais de plages très courtes entre deux et trois minutes. Il y en a 23 au total : certaines sont des compositions qu’on pourrait croire jouées en lecture d’une partition écrite, ramassées sur elles-mêmes, compactes ; d’autres sont de petits moments improvisés qui ne s’éternisent guère. Toutes sont introspectives, nuancées, vivantes. Au-delà des mélodies, des harmonies, elles racontent de petites histoires brèves qui enchantent l’esprit tels les contes de fées d’Andersen. Au fil des plages, on a juste le temps de reconnaître quelques unes de ses plus belles mélodies récentes comme Igor, Solstice d’été, Zen ou encore ce Blue Landscapes avec son enchaînement d’accords inspiré. Paduart revisite même le fameux thème de Michel Legrand qui illumina un des derniers disques de Bill Evans, You Must Believe In Spring, le seul titre de l’album qui ne soit pas de sa plume : 8 compositions, 14 improvisations libres, une reprise. Ce disque qui procède par petits moments est comme un tableau impressionniste : c’est une quête de lumière, une vision personnelle totalement subjective, une suite d’instants fugitifs aux contours à peine esquissés que l’on se plaira à rejouer jour après jour sans que jamais l’on ne s’en lasse.

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Quetzal : Q = mc2 Quetzal : Q = mc2
[TRAVERS TRA 007], 2004


Le disque démarre comme une formule 1. Les lignes fulgurantes du saxophone de Frédéric Delplancq sont affûtées comme un rasoir et son improvisation, soutenue par le Fender Rhodes de Marc Mangen qui s’enroule autour comme une liane, est à la fois mordante et enivrante. La rythmique est gonflée à bloc et l’ambiance est à la fusion ou, en tout cas, à une sorte de Jazz Funk électrique stimulant qui doit faire des étincelles sur scène. Ca s’assagit parfois un peu comme sur The Stage à la mélodie plus développée mais tout en gardant un côté funky mis en exergue par une batterie sèche et précise et une basse électrique atmosphérique sur lesquelles planent respectivement les ombres de Stéphane Galland et d’Hatzi. Talisman, plus free dans son interprétation, est une belle surprise avec ses bruitages de synthé et une improvisation de saxophone qui part dans tous les sens : décidément, Delplancq a du souffle, des idées et un tempérament de feu. A partir de The Heavy Thing, cinquième titre du répertoire qui en comprend dix, le disque laisse quand même apercevoir quelques limites. La lassitude guette et l’on se prend à rêver de trois choses : un arrangement digne de ce nom, un trompettiste qui aurait nourri la flamme en se confrontant au saxophone et une guitare électrique pour faire monter le magma à la surface. Restent quand même le très climatique Life Treasures avec en intro un superbe solo de basse électrique joliment mis en valeur par le piano de Mangen et Silver and Cold à la mélodie épurée sur un groove parfait pour accompagner un road movie imaginaire. Finalement on sort de cette musique fumante et tonifiante en se disant qu’avec un zeste de maturation et un soupçon d’envergure, Quetzal pourrait se bien métamorphoser rapidement en une irrésistible machine à Fusion.

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