Blues : le British Blues



Londres entra en contact avec le Folk-Blues via Leadbelly et Big Bill Broonzy à partir de la fin des 40’s mais il a fallu attendre les années 50 pour que le Blues s’insinue timidement dans les clubs anglais. Ce furent des orchestres de jazz traditionnel comme ceux de Ken Colyer ou Chris Barber qui commencèrent à réserver une place à ce genre musical (alors appelé Skiffle) au sein de leurs concerts ouvrant par la même occasion la porte à des musiciens passionnés comme Alexis Korner et Cyril Davies qui resteront dans l’histoire comme les premiers évangélistes du Blues britannique. Soutenu par des tournées de bluesmen plus électriques comme Muddy Waters, B.B. King ou Sonny Boy Williamson, le Blues intéressa soudain une pléiade de jeunes musiciens anglais qui se mirent à collectionner les productions du label Chess et à en transposer les thèmes au sein de leurs propres groupes. Certains d’entre eux allaient devenir des légendes du Rock comme Keith Richard, Brian Jones ou Mick Jagger qui fondèrent les Rolling Stones dès 1962 mais aussi Jimmy Page (Led Zeppelin), Alvin Lee (Ten Years After), Mick Abrahams et Ian Anderson (Jethro Tull), Jeff Beck ou Eric Burdon (Animals). D’autres allaient faire du Blues l’essentiel de leur art et y resteraient plus ou moins fidèles au fil des années : Eric Clapton, Mick Taylor, John Mayall, Rory Gallagher, Stan Webb, Peter Green, Kim Simmonds et Tony McPhee pour ne citer que les plus connus.


A la fin des années 60, le blues anglais offrait à côté des classiques du répertoire une quantité appréciable de compositions originales reflétant des thèmes sociaux distincts. Et surtout, il avait acquis un son unique différent de son modèle américain tout en mettant l’accent sur une certaine virtuosité instrumentale. Si bien que, d’une manière étrange, il fit alors le voyage inverse et s’exporta aux USA, influençant à son tour des dizaines de groupes et allant même jusqu’à transformer le Blues authentique de Chicago ou d’ailleurs en une musique moins rugueuse et davantage acceptée par un public blanc uniquement friand jusque là de chansons populaires rock et country. Par ailleurs, les musiciens britanniques en quête d’une légitimation de leur art cherchèrent à initier des rencontres avec les bluesmen américains (confer Blues Jam In Chicago avec Fleetwood Mac, Otis Spann et Willie Dixon). Ces sessions mixtes, aujourd’hui devenues légendaires, témoignent de ce que les uns et les autres ont gagné dans ces échanges : pour les blancs, une forme de respectabilité et pour les noirs, le succès commercial et un meilleur niveau de vie. En définitive le blues boom anglais fut une bonne affaire pour tout le monde, artistes et mélomanes. Au cours des années 70, l’intérêt des Anglais pour le Blues s’est progressivement émoussé et, après les vagues punk et new-wave, il est retourné dans les clubs d’où il était issu. Toutefois, d’excellents nouveaux artistes ou groupes de Blues ont continué à surgir régulièrement de la scène britannique, perpétuant ainsi le genre jusqu’à aujourd’hui avec des hauts et des bas et d’innombrables variations : Lee Brillaux et Dr Feelgood, Nine Below Zero, The Blues Band et le plus célèbre de tous, l’Irlandais Gary Moore qui fut à l’origine d’un second Blues Boom en Europe avec son excellent album Still Got The Blues paru en 1990.


Les disques qui suivent illustrent le meilleur de ce que l’on appelle le British Blues, des années 60 à nos jours. Pour être complet, il faudrait bien sûr y ajouter certains titres extraits d’albums produits par des groupes de Rock qui ne sont pas repris ici parce que le Blues ne constitue chez eux qu’une partie, certes essentielle, mais pas majeure de leurs disques. On citera seulement pour mémoire les fabuleuses interprétations de I Just Want To Make Love To You, I’m A King Bee, Little By Little ou Confessin’ The Blues par les Rolling Stones (1964) ; Worried Life Blues de Muddy Waters par les Animals (1965) ; Spoonfull et Rollin’ And Tumblin’ par Cream (1966) ; Help Me et Spoonful de Willie Dixon sur le premier LP de Ten Years After en 1967 ; I Ain't Superstitious de Dixon encore par Jeff Beck (Truth, 1968) ; et encore Willie Dixon avec You Shook Me et I Can’t Quit You Baby sur le premier Led Zeppelin (1969) ; Goin' Down Slow de James Burke Oden par Free (Tons Of Sobs, 1969) ; Still A Fool de Muddy Waters par The Groundhogs sur Scratching The Surface (1968) ; Who Do You Love? de Bo Didley sur le premier disque de Juicy Lucy (1969)…

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The Yardbirds : Five Live Yardbirds (EMI/Columbia), UK 1964
Originaire de Londres, les Yardbirds acquirent une certaine notoriété quand ils remplacèrent les Rolling Stones en septembre 1963 en tant que groupe à demeure du Club Crawdaddy de Richmond. C'est d'ailleurs l'impresario du Club, Giorgio Gomelsky, qui devint leur manager et le producteur de ce premier album enregistré le 13 mars 1964 au légendaire Club Marquee pour le label EMI/Columbia. Peu de groupes commencent leur carrière par un disque "live", et celui-ci ne comprend en plus que des reprises. Bo Diddley, Chuck Berry, Sonny Boy Williamson, Howlin' Wolf, Slim Harpo, Eddie Boyd et John Lee Hooker sont en effet les auteurs ou les interprètes originaux de ces grands classiques qui composent un répertoire quasi entièrement dédié au Chicago Blues. Mais l'originalité des Yardbirds réside ailleurs. D'abord dans une approche hyper énergique qui dynamite les versions antérieures en leur insufflant une nouvelle vie. Ensuite, par l'inclusion de "rave up" qui sont des interludes instrumentaux installant un climat d'intense excitation. Pour ça, les Yardbirds bénéficient d'une arme secrète: le guitariste Eric "Slowhand" Clapton, alors encore un puriste du blues, qui donne ici les premiers indices de ce qu'il deviendra plus tard, un authentique héro de la six cordes avec le blues au bout des doigts. Quant à la dynamique très basique de l'enregistrement, il ne saurait occulter le choc d'adrénaline innoculé par cette bande de garage rockers sans qui Led Zeppelin, Cream ou le jeff Beck Group n'auraient jamais existé.

[ Five Live Yardbirds (CD & MP3) ]

John Mayall & The Bluesbreakers with Eric Clapton (London / Deram), UK 1966
Ceci est l’album séminal du British Blues et probablement celui qui eut le plus grand impact sur l’évolution du mouvement et même du Blues en général. Bien que la prestation de John Mayall soit tout à fait honorable et que l’apport d'Hughie Flint (drums) et de John McVie (basse) ne saurait être occulté, la vraie vedette estEric Clapton. Inspiré par Buddy Guy et les trois King (Albert, B.B. et Freddie), le guitariste domine littéralement le répertoire constitué de standards et de compositions du leader, inventant des riffs d’une puissance jamais entendue jusqu'ici. Et surtout, il y a ce son énorme et dévastateur ! Clapton a branché sa Gibson Les Paul dans un de ces nouveaux amplificateurs à tubes concoctés par Jim Marshall (surnommé the father of loud) et il a calé les potentiomètres à fond, inventant ainsi une tonalité qui définira celle de la plupart des grands albums de Blues-Rock électrique de ces 40 dernières années. On peut d’ailleurs voir ce fameux ampli sur une photographie de studio au dos de la pochette, une image iconique qui contribuera largement à étendre sa renommée. Le disque a été réédité en compact dans une version remastérisée avec deux titres supplémentaires, soit au total 12 plages reprises en mono (avec une guitare très présente comme dans le LP original de juillet 1966) et en stéréo (avec une balance plus conventionnelle). A noter que Clapton fait aussi ses débuts de chanteur sur une reprise de Robert Johnson intitulée Ramblin' On My Mind mais là, il n’a convaincu personne. Aucune importance d'ailleurs puisque après la sortie de ce magistral opus, il fut considéré comme le plus grand des guitaristes de Rock à tel point qu’on pouvait même lire sur les murs de Londres : « Clapton is god ».

[ John Mayall Website ] [ Ecouter / Commander ]

Peter Green's Fleetwood Mac (Blue Horizon), UK 1968
Fleetwood Mac, nommé d’après sa rythmique composée de Mick Fleetwood (drums) et de John McVie (basse), comprenait aussi les guitaristes, compositeurs et chanteurs Jeremy Spencer et Peter Green. Ce premier disque sorti chez Blue Horizon est entièrement dédié au Blues mais affiche une étonnante dualité due aux styles très différents de ses deux solistes. D’un côté Spencer joue essentiellement en slide des morceaux composés ou directement inspirés par le grand Elmore James comme les excellents Shake Your Moneymaker, My Heart Beat Like A Hammer ou My Baby's Good To Me. Un style plutôt populaire dont Spencer ne se départira pratiquement jamais au fil des albums et qui finira par lasser mais qui, sur ce premier opus, apparaît encore frais et sincère. De l’autre, Peter Green affiche un phrasé fluide, clair et souvent lyrique, explorant des directions multiples allant du simple Blues-rock de Long Grey Mare (avec Green à l’harmonica) à un surprenant Looking for Somebody sur lequel le guitariste innove en mixant une structure de blues classique avec un zeste de calypso. Il approfondit encore davantage cette dernière formule sur If I Loved Another Woman, une sorte de calque de sa composition la plus célèbre, Black Magic Woman, qui apparaîtra une année plus tard sur l’album English Rose et qui finira logiquement entre les mains latines de Carlos Santana. L’album offre d'autres suprises comme cette reprise étrange du Hellbound On My Trail de Robert Johnson avec un Spencer inattendu au piano ou The World Keep On Turning avec Peter Green jouant sur une guitare acoustique un riff accrocheur à la manière de Son House. L’album grimpera rapidement jusqu’à la quatrième place du Top Ten britannique où il restera logé plus d’une année. Pas mal pour un album de Blues et un premier essai, non ?

[ Fleetwood Mac ] [ Ecouter / Commander ]

Chicken Shack : 40 Blue Fingers, Freshly Packed and Ready To Serve (Blue Horizon), UK 1968
A l’instar d’Eric Clapton, la source d’inspiration majeure du guitariste de Chicken Shack est Freddie King dont il reprend ici avec un certain brio l’instrumental San-Ho-Zay. Mais si Stan Webb réussit encore à séduire avec un second instrumental dont il est l’auteur (Webbed Feet), on reste dubitatif devant ses capacités limitées de chanteur. De toute façon, l’originalité du groupe, on la doit à Christine Perfect qui, sans être une pianiste accomplie, n’en apporte pas moins une fraîcheur unique dans un style alors complètement dominé en Grande-Bretagne par la gent masculine. Elle chante en plus de façon convaincante sur ses deux compositions (le superbe When The Train Comes Back et You Ain't No Good) qui comptent parmi les meilleurs titres de l’album. Elle n’est sans doute pas pour rien dans le succès que remporta en Angleterre Chicken Shack qui parviendra même à placer son second opus (OK Ken ?, 1969) dans le Top Ten. C'est d'ailleurs elle qui leur donnera leur unique Hit en 1969 en interprétant une version du célèbre titre immortalisé par Etta James : I'd Rather Go Blind. Le groupe tombera rapidement dans l’oubli quand elle quittera provisoirement la scène musicale pour accompagner John McVie qu’elle avait épousé en août 1968. Après un disque en solo sans intérêt (Christine Perfect, 1970), elle rejoindra Fleetwood Mac en 1970 après le départ de Peter Green et c’est sous le nom de Christine McVie qu’elle poursuivra sa carrière au sein de ce groupe avec l’immense succès que l’on sait (Rumours, 1977).

[ Stan Webb ] [ Ecouter / Commander ]

Ten Years After : Ssssh (Deram / EMI), UK 1969
En juin 1969, Ten Years After enregistre Ssssh, en juillet il apparaît au Festival de Jazz de Newport (une première pour un groupe de Rock) et le mois suivant, il dynamite la foule agglutinée devant la scène de Woodstock avec un Goin’ Home tellurique qui, intégralement repris dans le film consacré au festival, le catapultera dans la légende. Ce troisième disque en studio, qui se départit légèrement du Blues-Rock pur des débuts en tentant une timide percée vers des chansons plus Rock (Bad Scene malgré un interlude jazzy réjouissant) ou Pop (If You Should Love Me), a profité de cette reconnaissance tardive et inattendue. Il faut dire que l’essentiel est toujours là. Il se niche dans cette fusion inclassable de Blues, de Rock, de Boogie et de Jazz qui est la marque du groupe depuis sa formation en 1967 et ce disque en comprend une bonne dose : I Woke Up This Morning transcendant avec férocité les vieux Blues classiques du Delta, Two Time Mama et sa guitare slide, The Stomp avec son orgue groovy qui n’est rien d’autre que ce que son titre suggère et enfin la seule reprise du disque, le fameux Good Morning Little Schoolgirl de Sonny Boy Williamson dans une version déjantée de 7 minutes. Cette fois, TYA a gardé le contrôle de la production et ça se sent : le travail sur le son est bien meilleur qu’avant et les effets spéciaux sont parfaitement intégrés. Bon d’accord : les paroles sont nulles (même le texte réécrit du standard de Williamson est une catastrophe), le guitariste n’est ni compositeur ni le monstre de technique qu’on pourrait imaginer à première écoute et le reste du groupe s’avère correct sans plus. Mais il y a cette volonté de transcender le Blues fondateur, cette énergie incandescente, ces riffs tueurs et ces solos dévastateurs qui décollent en d’implacables ascensions. Alvin Lee était un mitrailleur de triples croches et, à l’instar de son homonyme Bruce pour les arts martiaux, un authentique Rapid Fire.

[ Alvin Lee & TYA ] [ Ecouter / Commander ]

Keef Hartley Band : Halfbreed (Deram), UK 1969
Keef Hartley est lui aussi un transfuge des groupes de John Mayall avec qui il apparaît la première fois sur The Blues Alone en 1967 bien que l’album de Mayall où on pourra le mieux apprécier son jeu précis et économe est le superbe Crusade (1967) enregistré avec Mick Taylor (gt), John McVie (b) et Chris Mercer au saxophone ténor. Le premier album du Keef Hartley Band sort chez Deram deux années plus tard et on peut y entendre une conversation téléphonique, intitulée non sans humour Sacked (viré), au cours de laquelle Mayall annonce au batteur qu’il ne fait plus partie des Bluesbreakers (on notera dans la même ligne d’idée le thème de l’instrumental Hartley Quits sur l’album Bare Wires de Mayall). Outre Hartley, le groupe est composé de Gary Thain (Uriah Heep), Peter Dino Dines aux claviers ainsi que Spit James et Miller Anderson aux guitares, ce dernier qui officie également comme chanteur réapparaîtra plus tard dans des groupes comme Savoy Brown et T.Rex. A côté de compositions originales, le répertoire comprend deux reprises : le fameux Leaving Trunk de Sleepy John Estes et Think It over/Too Much to Take de B.B. King. Mais, comparé aux autres groupes de Blues anglais, ce qui distingue le Keef Hartley Band est une solide section de cuivres, composée de Henry Lowther et Harry Beckett (trompettes), Lyn Dobson (sax ténor, flûte) et Chris Mercer (sax ténor), qui donne parfois à sa musique un côté jazzy ou plutôt Soul / R&B qui s’amplifiera encore dans ses albums ultérieurs. Dans l’histoire du British Blues, Halfbreed est un disque important par sa vision progressive et qui vaut la peine d’être redécouvert. On ne manquera pas d’admirer la double pochette écarlate du LP avec un Keef Hartley arborant de pied en cap une superbe tenue de guerrier indien des Amériques, une culture à laquelle il semble particulièrement accroché puisqu’elle refera surface à de nombreuses reprises sur ses différentes productions (sans parler de ses apparitions scéniques remarquées). Enfin, sachez que le KHB s’est produit le deuxième jour du festival de Woodstock de 1969, entre John B. Sebastian et Santana, où il a interprété 40 minutes de musique extraite de Halfbreed. Malheureusement, cette prestation de l’un des rares groupes anglais figurant au programme est tombée dans l’oubli total vu qu'elle ne figure sur aucun disque ni bande vidéo du légendaire festival.

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John Mayall : Blues From Laurel Canyon (London / Deram), UK 1969
John Mayall, au sommet de sa forme créatrice, abandonne sa section de cuivres et ses tendances jazzy (Bare Wires, également excellent) pour revenir à un Blues épuré. Enregistré en 3 jours à l’été 1968 dans les studios Decca à Londres avec un nouveau line-up constitué depuis une semaine à peine, Blues From Laurel Canyon retrace avec simplicité et candeur les vacances de Mayall à Los Angeles et sa découverte de la cité des anges. Il retrouve par la même occasion une âme de bushman en visitant les canyons des alentours et préconise un retour à la nature avant de payer une visite à ses potes du groupe Canned Heat, attachés comme lui à la redécouverte d’un Blues authentique (The Bear avec son introduction calquée sur le célèbre On the Road Again). Le guitariste Mick Taylor y délivre des solos maîtrisés dans un style fluide et avec un son parfait tandis que Mayall lui-même est parfait au chant, à l'harmonica, à l'orgue et à la seconde guitare. La musique coule d’un thème à l’autre sans interruption portée par une rythmique aussi subtile qu’efficace, composée de Colin Allen à la batterie et de Stephen Thompson à la basse. Mine de rien, Mayall venait d’enregistrer son plus bel album (sans les Bluesbreakers) et l’un des meilleurs du British Blues mais il ne fera rien pour garder son quartet magique : Taylor, dévoyé par Jagger, rejoindra le groupe mythique des Rolling Stones pour quelques uns de leurs grands opus (Sticky Fingers et Exile on Main Street) tandis que Colin Allen intègrera l’éphémère mais excellent Stone The Crows avec la chanteuse Maggie Bell et le guitariste Les Harvey. Seul Thompson restera fidèle au bluesman pour un autre album exemplaire enregistré en acoustique et sans batterie (The Turning Point, 1969).

[ John Mayall Website ] [ Ecouter / Commander ]

Ten Years After : Live At The Fillmore East 1970 (Chrysalis), UK 1970 (2 CD - édition 2002)
Après leur flamboyante prestation à Woodstock en 1969, Ten Years After remet la gomme en février 1970 sur la scène du fameux Fillmore East de New York. Ces douze titres brûlants enregistrés au cours de deux concerts par l’un des plus grands ingénieurs du son de l’époque, Eddie Kramer (Jimi Hendrix, Led Zeppelin, Beatles, Rolling Stones et bien d’autres sans oublier le festival de Woodstock) témoignent de l’incommensurable énergie du groupe et de sa fusion stellaire de Blues, de Rock et de Jazz. Sur des reprises comme les incontournables Good Morning Little Schoolgirl, Help Me et Spoonfull empruntés à Sonny Boy Williamson et à Willie Dixon ou sur les classiques de Chuck Berry que sont Sweet Little Sixteen et Roll Over Beethoven ou encore sur leurs propres compositions dont un Love Like A Man pyromane et Working On The Road qui seront repris bientôt sur un de leurs meilleurs albums, Cricklewood Green, Alvin Lee fait voler ses doigts agiles à travers les 22 cases de sa Gibson ES335 écarlate. Et pour une fois, grâce à la production cristalline, ses acolytes sortent de l’ombre : Chick Churchill scotché à son orgue Hammond s’avère après tout indispensable au son du groupe, Leo Lyons impressionne un peu à la basse et Ric Lee, coupable d’un solo oiseux sur The Hobbit, n’en est pas moins capable de caresser ses fûts avec un feeling jazzy. Evidemment, la fête n’aurait pas été complète sans cet I'm Going Home d’anthologie, Alvin Lee réitérant son exploit de Woodstock en électrisant la foule subjuguée par son boogie survitaminé. Le meilleur disque du groupe en live loin devant Undead (Deram, 1968) et Recorded Live (Chrysalis, 1973).

[ Alvin Lee & TYA ] [ Ecouter / Commander ]

Savoy Brown : Looking In (London / Deram), UK 1970
Excellente émanation du British Blues, Savoy Brown n’est pourtant pas aussi connu que les autres combos cités sur cette page. La raison en est peut-être le comportement autoritaire du membre fondateur et guitariste Kim Simmonds qui forçait ses acolytes à le quitter les uns après les autres. Ainsi, cet album réunit pour la dernière fois autour du leader, Lonesome Dave Peverett au chant et à la seconde guitare, Tony Stevens (b) et Roger Earl (dr), un trio qui choisira bientôt la liberté pour fonder Foghat, un groupe de Boogie-Rock qui remporta un succès estimable aux USA dans les années 70. Quoiqu’il en soit, cet album est une réussite presque inespérée, le groupe s’étant retrouvé en studio sans chanteur après la démission soudaine de l’excellent Chris Youlden (écoutez-le sur Raw Sienna, le précédent album) et contraint de confier les vocaux à Peverett qui, heureusement, s’en est bien tiré. La musique, essentiellement une affaire de Blues-Rock et de Boogie, est d’une étonnante séduction, joliment arrangée et interprétée avec naturel et un côté cool qui la rend très agréable. Simmonds en leader inspiré joue apparemment sans effort, introduisant à l’occasion un peu de Jazz dans son Blues mais en s’interdisant toute déviation vers un Rock trop Hard. Emballé dans une jolie pochette (double à l’époque du LP) conçue par David Ansley qui évoque davantage le Rock Progressif que le Blues, Looking In est un disque original qui procure une grande satisfaction.

[ Savoy Brown / Kim Simmonds Website ] [ Ecouter / Commander ]

Rory Gallagher : Irish Tour (Polydor / BMG), IRLANDE 1974
Originaire du Compté de Donegal en République d’Irlande, Rory Gallagher tomba dans la marmite du Blues quand il était petit, ce qui lui donna le temps d’en étudier toutes les formes, du Folk rural et acoustique de Leadbelly au Blues urbain et électrique de Freddie King. Malgré une dizaine d’albums en studio presque tous réussis, ses plus grands disques sont ceux gravés lors de concerts et, parmi ces derniers, Irish Tour est le meilleur. En janvier 1974 dans les villes de Belfast, Dublin et Cork, à une époque où les attentats décourageaient tout artiste d’aller s’y produire, Gallagher s’est lâché en une extraordinaire prestation gorgée d’énergie. Accompagné par son trio habituel composé de Rod De'Ath à la batterie, Gerry McAvoy à la basse et Lou Martin aux claviers, Rory Gallagher chante, joue de l’harmonica et de la guitare et électrise son public (il est chez lui) totalement conquis par tant de sincérité. Que ce soit sur des reprises (I Wonder Who de Muddy Waters, Too Much Alcohol de J.B. Hutto ou As the Crow Flies de Tony Joe White dans une vesion acoustique) ou sur ses propres compositions (Cradle Rock, Tattoo’d Lady, A Million Miles Away, Who’s That Coming, et l’incroyable Walk On Hot Coals dans une version marathon de 11 minutes), le leader conserve tout du long une intensité maximale, improvisant avec cœur et âme, osant sur sa vielle Stratocaster toujours vaillante des débordements qui procurent le frisson. Pour faire bonne mesure, Rory a encore ajouté, sur ce qui était à l’époque un double LP, une jam session (Back On My Stomping Ground) enregistrée sur le Lane Mobile Unit pendant la tournée. Ce chant d’amour au Blues le plus pur est une merveille, presque un miracle et Irish Tour sans conteste le meilleur album live de Blues-Rock jamais enregistré de ce côté-ci de l’Atlantique.

[ Rory Gallagher Webpage ] [ Ecouter / Commander ]

Gary Moore : Still Got The Blues (Charisma), IRLANDE 1990
Né à Belfast, cet Irlandais fut d’abord influencé par Peter Green à qui il acheta une antique Gibson Les Paul qui devait devenir son instrument majeur. Tout en prêtant ses talents à pas mal de groupes et musiciens comme Thin Lizzy, Colosseum II, Rod Argent, Greg Lake et le batteur Cozy Powell, Gary Moore parsème aussi les années 80 de ses propres réalisations dans un style Heavy Metal. Muni d’une technique de guitare qu’il a longuement perfectionnée au long des deux dernières décennies, l’Irlandais décide soudain de revenir à ses racines, fait appel à quelques vétérans comme Albert Collins, Albert King, Mick Weaver et George Harrison et enregistre Still Got The Blues : le premier grand album de Blues des années 90 et celui qui charriera un nouveau Blues boom en Europe. Il y paie bien sûr son tribut à sa première idole Peter Green en interprétant son fameux Stop Messin' Around mais aussi à Clapton et aux Bluesbreakers avec une version de All Your Love de Otis Rush à côté d’autres reprises et de ses propres compositions (5 sur 13 titres). Harrison joue de la slide sur son That Kind of Woman tandis que les Bluesmen restent dans leur style habituel. Moore lui joue un croisement de Blues et de Métal avec un son énorme et moderne, une palette d’effets et ce genre de précision virtuose que l’on acquiert au sein des groupes de Heavy Rock. Bien sûr les puristes feront la moue en considérant que le Blues authentique ne saurait s’acoquiner avec des démonstrations pyrotechniques à la Joe Satriani. Pourtant, regardez la pochette en noir et blanc avec la photo d’Hendrix sur le mur, la Gibson, les disques et l’ampli Marshall dans un coin : elle s’inscrit tout droit dans les souvenirs et, dans la pénombre de cette chambre close, si l’âme du Blues ne saurait être la même que celle des Noirs américains, elle n’en est pas moins bien présente.

[ Gary Moore Website ] [ Ecouter / Commander ]

Eric Clapton : From The Cradle (Reprise), UK 1994
Depuis les Bluesbreakers avec John Mayall en 1966, Eric Clapton aura attendu 28 ans pour refaire un disque entièrement consacré au Blues. Aucune composition originale dans ce retour aux sources mais 14 titres plus ou moins célèbres empruntés à Leroy Carr, Lowel Fulson, Freddie King, Muddy Waters, Willie Dixon et quelques autres. Clapton n’a rien perdu de sa fougue initiale mais il a par contre gagné en expérience : ses solos de guitare sont parfaitement construits, la maîtrise du son est totale, l’émotion est intense et l’humilité sans reproche. Et surtout, aucune de ces reprises n’est un simple calquage : toutes ont désormais le style unique du maître imprégné dans leurs structures. Pour cette performance, Clapton a non seulement réaffirmé son amour de la musique bleue mais aussi celui qu’il porte aux guitares : il en a utilisé près de 50 de sa collection personnelle : de la Gibson ES-335 du temps de Cream à sa fameuse Fender Stratocaster blanche modèle E.C. en passant par des Martin acoustiques, une Zemaitis 12-cordes et quelques Dobros préparés. S’il n’y avait la voix, courageuse certes mais incapable par ses limites de rivaliser avec les chants puissants des géants qui ont écrit ces chansons immortelles, From The Cradle compterait probablement parmi les dix meilleurs albums de Blues moderne post Chicago. Mais même avec ce handicap, il n’en est pas si loin !

[ Eric Clapton Website ] [ Ecouter / Commander ]


Autres sélections à écouter présentées par ordre chronologique.
(les disques indiqués en rouge sont recommandés)

  • 1962 - Alexis Korner : R&B From The Marquee (Decca)
  • 1964 - Alexis Korner : Red Hot from Alex
  • 1965 - Graham Bond : There's a Bond Between Us (Edsel)
  • 1966 - Cream : Fresh Cream (Polydor)
  • 1967 - John Mayall : A Hard Road (with Peter Green) (Deram)
  • 1967 - John Mayall : Crusade (London)
  • 1967 - John Mayall : The Blues Alone (Ace of Clubs Records)
  • 1967 - Ten Years After : Ten Years After (Verve)
  • 1968 - Aynsley Dunbar Retaliation : The Aynsley Dunbar Retaliation (Liberty)
  • 1968 - Duster Bennett : Smiling Like I'm Happy (Blue Hozizon)
  • 1968 - Fleetwood Mac : Mr. Wonderful (Blue Hozizon)
  • 1968 - Jethro Tull : This Was (Chrysalis)
  • 1968 - John Mayall : Bare Wires (Deram)
  • 1968 - Ten Years After : Undead [Live] (Deram)
  • 1968 - Aynsley Dunbar Retaliation : Doctor Dunbar's Prescription (Liberty)
  • 1969 - Chicken Shack : O.K. Ken ? (Blue Horizon)
  • 1969 - Fleetwood Mac : English Rose (Epic)
  • 1969 - Fleetwood Mac : The Pious Bird Of Good Omen - Compilation (Blue Hozizon)
  • 1969 - John Mayall : The Turning Point [Live] (Polydor)
  • 1969 - Savoy Brown : Blue Matter (Deram)
  • 1969 - Ten Years After : Stonedhenge (Deram)
  • 1969 - The Groundhogs : Blues Obituary (Imperial)
  • 1970 - Derek & The Dominos : Layla And Other Assorted Love Songs (Polydor)
  • 1970 - Fleetwood Mac : Blues Jam In Chicago (Blue Hozizon)
  • 1970 - Savoy Brown : Raw Sienna (Deram)
  • 1970 - Taste : On The Boards (Polydor)
  • 1971 - The London Howlin' Wolf Sessions (avec Eric Clapton et Charlie Watts) (Chess)
  • 1971 - Rory Gallagher : Rory Gallagher (Polydor)
  • 1972 - John Mayall : Jazz Blues Fusion [Live] (Polydor)
  • 1972 - The London Muddy Waters Sessions (avec R. Gallagher et S. Winwood) (Chess)
  • 1973 - Derek & The Dominos : In Concert [Live] (Polydor)
  • 1973 - Rory Gallagher : Tattoo (Polydor)
  • 1973 - Rory Gallagher : Blueprint (Polydor)
  • 1975 - Climax Blues Band : Stamp Album (Plum Records)
  • 1982 - The Blues Band : Brand Loyalty (Arista)
  • 1992 - Gary Moore : After Hours (Charisma)
  • 1993 - John Mayall : Wake Up Call (Silvertone)
  • 1993 - Paul Rodgers : Muddy Water Blues - A Tribute to Muddy Waters (Victory Music)
  • 1995 - John Mayall : Spinning Coin (Silvertone)
  • 1995 - Gary Moore : Blues For Greeny (Charisma)
  • 2000 - Eric Clapton : Riding With the King (WB/Reprise)
  • 2003 - John Mayall & The Bluesbreakers and Friends : 70th Birthday Concert [Live] (Eagle)
  • 2004 - Eric Clapton : Me And Mr. Johnson (Warner Bros.)





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