Blues 3 : Autres Suggestions


I got a black cat bone, I got a mojo too.
I got John the Conqueror, I'm gonna mess with you.
I'm gonna make you, pretty girl, lead me by the hand,
then the world will know I'm the Hoochie-Coochie Man.
J'ai un os de chat noir et un gris-gris aussi.
j'ai une racine magique et je vais m'occuper de toi.
Cette jolie fille va me prendre par la main,
et le monde entier saura que je suis un magicien.
Hoochie Coochie Man, Willie Dixon / Muddy Waters, 1954

Hound Dog Taylor & the HouseRockers : Beware Of The Dog (Alligator Records), USA 1976

Hound Dog Taylor n'a probablement aucune idée de ce qu'est une partition musicale et ne connaît pas davantage que les cinq ou six accords dont sont constitués les Blues les plus basiques. Son instrument de prédilection est une guitare japonaise bon marché et il n'est pas sûr que son accordage en open tuning soit tout à fait juste. Quant à son ampli, c'est un Sears Roebuck bas de gamme dont le haut parleur a beaucoup souffert après des heures de vol avec le volume à fond. Mais Theodore Roosevelt Taylor, chasseur de femmes impénitent, buveur d'alcool invétéré et fumeur de cigarettes à la chaîne (il est mort d'un cancer en décembre 1975 à l'âge de 59 ans), n'en a rien à cirer. A l'instar d'Elmore James (dont il reprend ici le fameux Dust My Broom), il joue de la slide mais comme un Punk, avec une énergie phénoménale et en se donnant à fond. Sa voix rauque façonnée par le whiskey et la fumée ne faiblit jamais et incite le public à se lever comme un seul homme à son cri de ralliement : Roll Your Moneymaker! Quant à ses fameux HouseRockers, ce sont deux allumés comme lui qui l'accompagnent dans ses tournées infernales : Brewer Phillips qui joue la plupart du temps des lignes de basse sur une seconde guitare électrique à six cordes et le batteur Ted Harvey scotché au rythme du leader. Doté d'un sixième doigt à la main gauche (il en avait un aussi à la main droite avant de le couper au rasoir), Taylor est un phénomène et sa vie, commencée dans le Delta du Mississippi et poursuivie dans les clubs de Chicago, mériterait un roman pour être racontée. D'ailleurs, c'est à cause de ce personnage fascinant que le producteur Bruce Iglauer a créé le label Alligator qui allait devenir un des plus fameux labels spécialisés dans la musique de Blues. Ses deux albums enregistrés en studio (Hound Dog Taylor & The Houserockers, 1971 et Natural Boogie, 1973) sont tout simplement incroyables mais mieux vaut encore se ruer sur ce disque posthume enregistré en concert en 1974, à Evanston et à Cleveland, et édité en 1976 avec tout le respect qu'Iglauer portait à son protégé. Son Blues / Boogie / Rock abrasif est si élémentaire et le son tellement primitif qu'ils en deviennent primordiaux. Taylor avait coutume de dire : après ma mort, ne faites pas une tête d'enterrement, faites la fête. Ce disque est là pour vous inciter à respecter sa volonté !

[ Hound Dog Taylor Website ] [ Beware Of The Dog ]

Arthur "Big Boy" Crudup : Rock Me Mamma (When The Sun Goes Down : The Secret History Of Rock & Roll Vol. 7) (RCA), USA 1941 - 1954 (versions remastérisées - réédition 2003)

Arthur "Big Boy" Crudup n'a pas une voix exceptionnelle ni une technique de guitare au-dessus de la moyenne mais une de ses compositions enregistrée en 1946, le fameux That's All Right Mama, attira l'intérêt d'un jeune rocker blanc nommé Elvis Presley qui en fit son premier Hit sur le label Sun à Memphis en 1954, un Elvis qui reprendra encore plus tard deux autres de ses compositions : So Glad You're Mine et My Baby Left Me. Né à Forest dans le Mississippi en 1905, Crudup fera l'essentiel de sa carrière à Chicago où il lui faudra attendre pour vivre décemment d'être découvert par le producteur de Blues, Lester Melrose, qui l'intégrera dans son écurie Bluebird chez RCA. Les trois premières plages de cette excellente compilation remastérisée (mais non chronologique) sont évidemment les trois titres repris par Presley mais, au-delà de cette concession au marketing, cet album de 22 chansons est aussi un excellent résumé de la carrière de Crudup chez RCA avec tous ses grands succès depuis Death Valley Blues gravé en 1941 juqu'à If You've Ever Been To Georgia de 1954, date à laquelle il quittera le label après de multiples négociations pour tenter de recueillir les deniers de ses efforts. En réécoutant ce disque, la façon personnelle de chanter de Crudup, son accompagnement de guitare amplifiée rudimentaire mais carré, ses solos concis et efficaces et ses thèmes simples mais immédiatement accrocheurs, on se dit qu'après tout l'homme est bien digne de ce patronyme dont la légende l'a affublé : le « Père du Rock'n'Roll », un genre qui n'allait pas tarder à déferler sur la planète dès le milieu des années 50.

[ Arthur "Big Boy" Crudup ] [ Arthur "Big Boy" Crudup : Rock Me Mamma ]
[ A écouter : That's All Right Mama - If You Ever Been To Georgia ]

Sonny Boy Williamson : The Real Folk Blues / More Real Folk Blues (Chess), USA 1957-1964

Dans l'histoire du Blues, Sonny Boy Williamson est une énigme. Non seulement sa date de naissance est incertaine (1899 ?) mais son vrai nom n?est même pas connu (Alex ou Willie Miller ?) pas plus d'ailleurs que ses origines dans le Delta du Mississippi. Après avoir emprunté pour des raisons mercantiles le nom d'un autre harmoniciste célèbre pourtant encore en vie, Miller finira par devenir le « vrai Sonny Boy » après la mort de John Lee "Sonny Boy" Williamson décédé de mort violente à Chicago en 1948. Quoiqu'il en soit, ce numéro II est un sacré personnage aussi réputé pour son chant ponctué de zébrures d'harmonica que pour ses compositions dont beaucoup se sont incrustées comme d'inusables standards du blues. Ce compact réunit deux LP célèbres édités jadis par le label Chess : The Real Folk Blues et More Real Folk Blues. En fait il s'agissait à l'époque de compilations de sessions multiples enregistrées entre 1960 et 1964, baptisées ainsi pour profiter du succès en Europe de la fameuse tournée « American Folk Blues Festival ». Sonny Boy y avait en effet fait forte impression en volant chaque soir la vedette dans une Angleterre qui découvrait le Blues authentique et n'allait pas tarder à en tirer profit. En compagnie d'autres Bluesmen célèbres comme Buddy Guy, Matt Murphy ou Robert Lockwood Jr aux guitares, Otis Spann ou Lafayette Leake aux claviers, Willie Dixon à la basse et Clifton James à la batterie, le leader délivre ici un blues électrique passionnant, insufflant des poussées de fièvre avec son harmonica dont il module le son en l'enveloppant de ses longs doigts. Combinant des effets de tremolo et de wah-wah à un contrôle total du souffle tout en forçant le peigne à résonner à des notes singulières, Williamson arrive à tirer de son instrument bon marché (un Hohner Marine Band à 10 trous) des sonorités fascinantes qui inspireront d'innombrables virtuoses de l'orgue à bouche comme James Cotton et Junior Wells.

[ Sonny Boy Williamson II ] [ Ecouter / Commander ]

John Jackson : Don't Let Your Deal Go Down (Arhoolie), USA 1965-1969

Superbe émanation du Blues rural, voici John Jackson, sa voix chaude de baryton, sa guitare acoustique jouée en finger picking dans le style Piedmont et sa bonne humeur qui ne l'a jamais quitté depuis qu'il assurait les fêtes campagnardes dans sa Virginie natale. Superbe compilation concoctée par le label Arhoolie à partir de trois LP, Don't Let Your Deal Go Down réunit 26 titres enregistrés avec une excellente qualité sonore entre 1965 et 1969. Tous les styles appartenant au genre sont ici représentés comme le Folk traditionnel (Boats Up the River, Reuben et une superbe version de l'inusable John Henry), le Ragtime (Blind Blake's Rag et John's Rag), la slide guitare (l'incroyable Knife Blues), le Country Blues et les chansons à danser sans oublier quelques reprises empruntées à des maîtres plus anciens comme Blind Blake (Police Dog Blues) et Blind Boy Fuller (Rattlesnakin' Daddy). A l'aise sur tout ce qu'il joue, Jackson se laisse même aller à gratter le banjo sur If Hattie Wants To Lu, Let Her Lu Like A Man. Dans une atmosphère relax, Jackson perpétue ainsi l'esprit coloré de la guitare ragtime telle qu'on la jouait jadis dans les Appalaches sur la Côte Est des Etats-Unis. Grâce à un transfert impeccable sur CD et un travail de réédition appréciable au niveau des notes de pochette, ce compact représente une superbe introduction non seulement à l'oeuvre de Jackson mais aussi au Blues rural acoustique qui, ce n'est pas si courant, peut ici être apprécié avec un confort d'écoute des plus agréables. Et pour les amateurs de guitare, sachez que tous les titres (sauf celui joué au banjo) ont été retranscrits (paroles et musique) dans un recueil portant le même nom que l'album également disponible chez Arhoolie.

[ John Jackson ] [ Ecouter / Commander ]

Slim Harpo : The Excello Singles Anthology (Hip-O), USA 1957-1971 (2 CD, enregistrements remastérisés, 2003)

Né en 1924 à Lodbell (près de Baton Rouge en Louisiane), James Moore commença à se produire dans la région, partout où on voulait bien de lui, sous le nom de Harmonica Slim. Jusqu'à ce que la chance lui sourit en la personne de Lightnin' Slim qui le présenta à Jay Miller, producteur du label de Blues Excello basé à Nashville. Après avoir accompagné Slim à partir de 1955, il saisit sa chance en enregistrant son premier titre deux années plus tard, le fameux I'm A King Bee qu'il sortira sous un nom de scène tout neuf : Slim Harpo (dérivé de harp : harmonica). Un succès immédiat fut sa récompense pour ce titre qui restera son morceau fétiche et à qui il donnera plusieurs suites sur le même thème : Buzz Me Babe, Buzzin et My Little Queen Bee. Slim Harpo appartient à la même école que Jimmy Reed. On appelle ça le Swamp Blues (le Blues des Marais, ceux de la Louisiane bien sûr) et il se caractérise par un style traînant (on dit laid-back en américain) porté par un rythme paresseux mais lanscinant joué relax sur une guitare électrique. Son chant moite et spongieux comme l'atmosphère lourde du bayou, entrecoupé de notes incisives jouées à l'harmonica, est composé de petites phrases qui sont autant de métaphores amusantes pour adultes (Well I'm a king bee, want you to be my queen. Together we can make honey, the world ever never seen...). Il évoluera plus tard en s'essayant à des morceaux de plus en plus R&B avec un succès toujours croissant : Baby Scratch My Back (utilisé en 1992 dans le film Rush), Tip On In, Te-Ni-Nee-Ni-Nu, That's Why I Love You jusqu'à I've Got My Finger On Your Trigger avec ses cuivres à la Otis Redding. En 1970 alors qu'il est au sommet de sa gloire, il est atteint d'une attaque cardiaque à Baton Rouge. Les blancs se souviennent de lui grâce aux appropriations de son style et de ses compositions que firent, entre autre, les Rolling Stones (I'm a King Bee et Shake Your Hips), les Kinks (Got Love If You Want It), les Them (Don't Start Crying Now), les Pretty Things (Raining In My Heart) et le grand Van Morrisson (Don't Start Crying Now). Mais comme disait Mick Jagger lui-même en 1968, quel intérêt d'écouter les Rolling Stones jouer I'm A King Bee quand on peut toujours entendre l'original ! Ce double album est une superbe anthologie chronologique et remastérisée des 44 faces éditées en simple par le label Excello entre 1957 et 1971 : il contient l'essentiel de son art.

[ Excello Album Discography ] [ Ecouter / Commander ]

ZZ Top : Tres Hombres (London Records), USA 1973 - CD remastérisé + 3 titres en bonus (Rhino), 2006

Quand les trois irréductibles poilus se sont mis à injecter des synthétiseurs dans leur musique, ils ont perdu leur âme et tout ce qui faisait la qualité de cet album. En 1973, le trio n'était encore qu'un groupe de Blues-Rock comme on pouvait en voir des dizaines dans les bars du Texas mais il était armé comme personne pour faire mouche à tous les coups : un guitariste extrêmement doué en la personne de Billy Gibbons et une rythmique en or massif composée de Dusty Hill à la basse et de Frank Beard à la batterie ; un shuffle lancinant propre à lever la poussière ; et des chansons toutes simples avec des textes dont l'humour ne vole pas plus haut qu'une blague de cow-boy. Prenez La Grange par exemple, dédié à un bordel devenu célèbre suite au film The Best Little Whorehouse in Texas avec Burt Reynolds et Dolly Parton (1982), ce n'est qu'un Blues à un accord basé sur le fameux Boogie Chillen de John Lee Hooker à moins que ce soit sur le Shake Your Hips de Slim Harpo, mais personne n'ira contester qu'il s'agit là d?un boogie incendiaire dont le groove laid-back transcende son irréductible simplicité. En fait, tous les disques qui viendront après tenteront d'appliquer la même formule (sans nécessairement y parvenir), aussi est-il inutile d'aller chercher ailleurs une meilleure émanation de leur musique. Qu'ils soient vêtus de costumes hyper-chiqués ou qu'ils jouent les comiques de service dans Back to the Future III, ZZ Top reste un groupe de bouseux avec des « derringer » dans les bottes dont le talent réside tout entier dans ces blues & boogie à ras de terre et au son dévastateur. Il paraît même qu'à l'époque, Gibbons jouait avec un peso à la place d'un plectre pour faire bruisser ses cordes comme un vol de mouche dans le désert. Là, ils étaient bons, crédibles et tellement plus authentiques que dans leurs clips sur MTV. Si vous n'écoutez qu'un seul disque de cette bande de gâchettes sudistes, que ce soit celui-ci et après, ramenez-les à la frontière.

[ ZZ Top Website ] [ Ecouter / Commander ]

Stevie Ray Vaughan and Double Trouble : Texas Flood (Epic), USA 1983 - CD remastérisé + 4 titres en bonus (Sony / Epic / Legacy), 1999

Nommé d'après un titre de Otis Rush, le trio Double Trouble enregistra son premier LP en 1983 : Texas Flood reste aujourd'hui l'émanation la plus authentiquement Blues du guitariste Stevie Ray Vaughan alors accompagné par Chris Layton (dr) et Tommy Shannon (ex-bassiste de Johnny Winter à Woodstock en 1969). Enregistré en trois jours à l'hiver 1982 dans le studio privé de David Bowie (qui l'avait rencontré quelques mois plus tôt au festival de Jazz de Montreux et qui lui demandera de jouer sur Let's Dance), Texas Flood révèle toutes les références du Texan : Albert King, Lonnie Mack, Otis Rush, Buddy Guy et surtout Freddie King dont il a copié le son et la technique singulière du vibrato sans oublier Jimi Hendrix à qui on le compare parfois et dont il s'amusait à interpréter sur scène les classiques Voodoo Child et Third Stone From The Sun. Sur sa vieille Frender Stratocaster (datant du début des années 60 et qu'il appelait Number One), SVR avait l'habitude d'installer des cordes épaisses et de les accorder un demi-ton plus bas que la normale pour mieux les torturer : du coup, le son plonge vers le grave et ses riffs acérés affichent une résonance particulière. Collection mémorable de titres chantés, d'instrumentaux incandescents et de blues lents à donner le frisson sans oublier un Lenny plutôt jazzy en hommage à son épouse, ce premier disque renferme au moins quatre morceaux qui comptent parmi les classiques de SRV dont un Texas Flood avec son flot de cordes étirées à l'extrême, un Testify hendrixien et pyrotechnique et ce fameux boogie Pride And Joy jeté d'un trait comme une signature. En plus d'une courte interview, le compact remastérisé offre quatre titres supplémentaires : le Slow-Blues Tin Pan Alley, non retenu pour le LP initial, et trois enregistrements en concert à Hollywood datant de septembre 1983 dont une reprise de Lonnie Mack (Wham!) et un Mary Had A Little Lamb bourré de prouesses mais qui ne perd jamais le bon sens de la concision. Bien sûr les afficionados ont pris le temps d'étudier en détail le son, le phrasé et les riffs du maître mais qu'ils n'oublient jamais que ce qui fait toute la force et la grandeur de cet album est avant tout une affaire de passion et de feeling. Car il y avait bien davantage dans la tête de l'homme de Dallas que dans son équipement et ses dix doigts.

[ Stevie Ray Vaughan Fan Club ] [ Ecouter / Commander ]

Willie Dixon : Poet Of The Blues (Columbia/Legacy), USA 1947 - 1970

Cette compilation comprend 16 titres enregistrés par Dixon pour Columbia parmi lesquels figurent quelques une de ses plus célèbres compositions à côté de titres plus rares comme O.C. Bounce, Money Tree Blues, ou Signifying Monkey. Evidemment, on pourra préférer les versions légendaires et plus extrêmes de Willie Mabon (Seventh Son), Howlin' Wolf (Spoonful, Little Red Rooster et Back Door Man), Otis Rush ou Little Milton (I Can't Quit You Baby) ou encore de Muddy Waters (I'm Your Hoochie Coochie Man) enregistrées pour Chess (et compilées dans l'indispensable coffret Willie Dixon : The Chess Box) mais, bien que Dixon ait participé d'une manière ou d'une autre à ces enregistrements Chess, il n'en était pas vraiment la vedette. Sur ces faces par contre, Dixon est omnipotent, à la fois compositeur, arrangeur, chanteur et contrebassiste. Les chansons sont ici concises, sculptées dans le roulis du piano plutôt que par les guitares et la voix est certainement beaucoup moins puissante et expressive que celle des ténors du Blues que sont Wolf ou Waters mais, à l'écoute de ces mélodies qui enchantèrent jadis les princes du Blues-Rock que furent Rod Stewart, Cream, Eric Clapton, Jeff Beck, The Allman Brothers Band, les Doors, les Rolling Stones ou Led Zeppelin, il ne s'en dégage pas moins un charme authentique et absolument irrésistible. Les neuf derniers titres remontent à 1947 et ont été enregistrés par le trio vocal The Big Three qui, outre Dixon à la contrebasse, comprenait le pianiste Leonard "Baby Doo" Caston et Ollie Crawford à la guitare. Le compact offre également sept plages qui datent de 1970 et qui sont extraites d'un LP (qui en comprenait 9) intitulé I'm The Blues enregistré par Dixon pour Columbia. On les reconnaîtra facilement : le bassiste y est cette fois entouré d'un supergroupe de bluesmen officiant à Chicago : Shaky Jake à l'harmonica, Sunnyland Slim au piano, Johhny Shines à la guitare et Clifton James à la batterie. Malgré la disparité entre les deux séries d'enregistrements séparées par quelques vingt années, ce disque, en dehors des sessions Chess, est l'un des rares sur le marché actuel à rendre vraiment justice à un homme qui contribua à la définition du Blues moderne de Chicago et lui procura ses plus mémorables fleurons.

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[ A écouter : I'm Your Hoochie Coochie Man ]

Champion Jack Dupree : Blues From The Gutter (Atlantic / Atco), 1958

Né en 1910 à la Nouvelle Orléans, la vie de William Thomas Dupree commence comme une tragédie puisque il perd ses parents à seux ans à la suite d'un incendie qui, selon lui, aurait été allumé par le Ku Klux Klan. Il est alors accueilli dans un orphelinat, le même que celui fréquenté plus tôt par Louis Armstrong. Il apprend la musique là où il peut jusqu'à sa vingtième année avant de filer vers le Nord, à Chicago, à Detroit et finalement à Indianapolis où il devient boxeur professionnel tout en jouant à l'occasion du piano. C'est ainsi qu'au fil d?une centaine de combats, il gagnera son surnom de « Champion Jack » probablement en hommage au boxeur Jack Johnson. En 1940, il fait ses débuts discographiques chez Okeh Records pour qui il enregistre son fameux Junker's Blues (dont Fats Domino s'inspirera largement en 1949 pour son premier hit Fat Man). Après un passage en tant que cuisinier dans la Navy et une période où il est prisonnier des Japonais pendant la seconde guerre mondiale, il gagne New-York où il enregistre pour des labels divers une multitude de disques parfois sous des noms d'emprunt. En 1953, il signe chez King Records et assoit sa réputation en gravant son plus célèbre morceau : Walking the Blues. Il passe ensuite chez RCA en 1956 avant de sortir en 1958 ce qui reste aujourd'hui son meilleur album : Blues From The Gutter (le Blues de la gouttière). Enregistré en stéréo à New York pour Atlantic et produit par le quintessenciel Jerry Wexler (patron du label avec Ahmet Ertegun), cette superbe collection est une ode au « barrelhouse » Blues de New Orleans. Les huit compositions du leader plus deux traditionnels (Frankie And Johnny et Stack-O-Lee) sont chantés par Dupree avec une voix prenante et littéralement portés par un shuffle infectieux de piano renforcé par un petit groupe de musiciens compétents dont Pete Brown au saxophone et Ennis Lowery à la guitare. Excepté un Nasty Boogie en forme de boogie woogie aussi souple que véloce, le reste se décline en tempo lent ou moyen sur un balancement spontané et irrésistible. Les textes à ne pas prendre trop au sérieux (il ne consommait pas de drogue et buvait peu) sont politiquement incorrects et parfois même à la limite du scabreux : Well, the T.B. is alright to have. But your friends treat you so lowdown (T.B. Blues = Toilet Bowl Blues) ; Some people crave for chicken, and some crave for a house steak. But when I get loaded lord I don't want my milk and cake (Junker's Blues). Une année après ce coup d'éclat, Dupree s'installera de façon permanente en Europe où il contribuera à l'éclosion du Blues Boom, enregistrant avec Eric Clapton, Keef Hartley, Tony McPhee, John Mayall et pour le label Blue Horizon de Mike Vernon et s'assurant ainsi un niveau de vie enviable pour un bluesman noir.

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Bukka White : Aberdeen Mississippi Blues: The Vintage Recordings 1930-1940 (Document DOCD 5679) - Compilation remastérisée (2003)

Né près de Houston dans le Delta du Mississippi entre 1902 et 1909, Booker T. Washington White enregistra ses premiers 14 titres en une session unique pour le label Victor à Memphis le 26 mai 1930 : essentiellement des country blues dans le style de Blind Willie Johnson et quelques gospels avec une chanteuse baptiste bien que White n'ait jamais montré un intérêt particulier pour la religion. On retrouve sur cette compilation les quatre titres ayant survécu de cette lointaine époque (les dix autres sont restés inédits et ont depuis probablement été détruits). Suite à la grande dépression, il faudra attendre 1937 pour le retrouver sur disque chez Vocalion pour qui il enregistre deux nouveaux titres dont le célèbre Shake 'Em On Down qui deviendra un classique repris par des dizaines de bluesmen (dont Mississippi Fred McDowell et R. L. Burnside). Booker, mal orthographié par le label, devient Bukka et le chanteur guitariste conservera ce surnom jusqu'à la fin de sa vie. A la même époque, il est mêlé à une sombre histoire d'agression qui se solde par un meurtre et se retrouve emprisonné au pénitencier de Parchman Farm pour trois années : il y recevra la visite de John et Alan Lomax (Library of Congress) qui enregistreront sur place deux nouvelles chansons le 23 mai 1939 (Sic 'Em Dogs On et Po' Boy). Libéré en 1940, Bukka repart à Chicago et, en mars de la même année, enregistre pour les labels de Lester Melrose, Vocalion et Okeh, les blues les plus indispensables de sa carrière dont Aberdeen Mississippi, Parchman Farm et Fixin' To Die (ce dernier titre entrera dans la légende après sa reprise par Bob Dylan sur son premier album édité chez Columbia en 1961). Le père de Bukka qui était un travailleur du rail a dû influencer son fils qui s'inspira si bien du rythme des trains à vapeur pour scander ses compositions : The New 'Frisco Train, The Panama Limited et surtout Black Train Blues et Special Stream Line déboulent comme d'antiques locomotives propulsées par la planche à laver de l'inénarrable Washboard Sam. Bukka, qui ne fait pas dans la dentelle, frappe littéralement sa guitare accordée en open tuning dont il joue comme d'un instrument de percussion, ponctuant des textes autobiographiques chantés ou déclamés d'une voix rustique et tonitruante : That's that fast Special Streamline leavin' outta Memphis, Tennessee goin' into New Orleans. She runnin' so fast the hobos don't fool with this train. They stand on the track with their hat in their hands (Special Stream Line). Bukka White enregistrera d'autres albums plus tard dans les années 60 et 70 en tirant tout ce qu'il peut de sa vielle guitare National aux cordes d'acier mais personne n'argumentera sur le fait que l'essentiel de son art est inscrit dans ces 20 premières plages gravées entre 1930 et 1940.

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