Blues 8 : Autres Suggestions


See a little boll weevil keeps movin' in the air, Lordie!
You can plant your cotton and you won't get a half a bale, Lordie
Bo weevil, bo weevil, where's your native home? Lordie
"A-Louisiana raised in Texas, least is where I was bred and born", Lordie

Ai vu un petit charençon qui bougeait dans l'air
Tu peux planter ton coton, tu n'en tireras pas une balle
Charençon, charençon, dis-moi d'où tu viens ?
"Louisiannais élevé au Texas, c'est là que je me suis multiplié"

Charley Patton in Mississippi Bo Weavil Blues
(Paramount 12805), 1929
CD : Founder Of The Delta Blues (Yazoo)

Toute personne qui chante le blues crie à l'aide depuis une fosse profonde (Mahalia Jackson)







Robert Johnson : King Of The Delta Blues Singers (Columbia), USA 1961 - réédition CD (Sony), 1999
Robert Johnson : King Of The Delta Blues Singers, Vol. II (Columbia), USA 1970 - réédition CD (Sony), 2004


L’intégrale Columbia en deux compacts, qui reprend les 29 compositions enregistrées par Robert Johnson plus les 12 prises alternatives qui ont subsisté, reste évidemment une édition incontournable même si, comme la plupart des intégrales, elle a ses défauts. L’ordre choisi est en effet chronologique et 12 titres sont présentés avec leurs versions alternatives placées juste après, ce qui n’est pas forcément une bonne idée. Ceci est d’autant plus vrai que les doublons n’offrent rien de particulier : il s’agissait de prises de sécurité au cas où la copie originale aurait été endommagée et il était courant à l’époque que les ingénieurs demandent aux artistes de refaire un second enregistrement « le plus possible » identique au premier. Il est ainsi probable que toutes les chansons de Johnson aient été doublées même si on n’en a retrouvé que douze. Quoiqu’il en soit, l’amateur non complétiste peut aussi opter pour un compact unique qui reprend le LP original, King Of The Delta Blues Singers, sorti en 1961 chez Columbia. Les 16 chansons qui y figurent (plus une prise alternative inédite découverte en 1998 seulement) ont été remastérisées en utilisant les sources les mieux conservées au monde, entraînant une qualité sonore exceptionnelle qu’on ne retrouve pas dans d’autres compilations. La guitare et la voix ont une présence extraordinaire et rendent les interprétations lumineuses. En plus, toutes les faces reprises ici sont des incontournables, ce qui garantit un plaisir d’écoute incomparable.

On sait que les enregistrements furent effectués à deux endroits différents. La première session se déroula dans une chambre d’hôtel à San Antonio (Texas) pendant trois jours les 23, 26 et 27 novembre 1936 sous la supervision des ingénieurs de Brunswick Records. On raconte que Robert Johnson enregistra avec les rideaux tirés pour amortir le bruit de la rue et face tournée vers le mur dans un coin de la pièce, peut-être pour mieux se concentrer sur sa musique mais aussi probablement parce que cette position favorisait une meilleure acoustique pour la prise de son. Des 16 morceaux datant de cette session, l’album en a retenu 11 : Cross Road Blues, Terraplane Blues, Come On In My Kitchen, Walking Blues, Last Fair Deal Gone Down, 32-20, Kindhearted Woman Blues (son tout premier enregistrement), If I Had Possession Over Judgement Day, Preachin' Blues, When You Got A Good Friend et Rambling On My Mind. Robert Johnson fut rappelé six mois plus tard pour une seconde session organisée cette fois à Dallas (Texas) dans l’immeuble de Brunswick Records. Des treize nouvelles chansons enregistrées les 19 et 20 juin 1937 (un samedi et un dimanche pour éviter au maximum les bruits de l’extérieur) figurent ici : Stones In My Passway, Traveling Riverside Blues plus sa version de sauvegarde inédite, Milkcow's Calf Blues, Me And The Devil Blues et son chef d’œuvre, l’apocalyptique Hellhound On My Trail inégalé dans l’histoire de la musique populaire américaine. Soit en tout 16 titres originaux, d’une portée considérable aussi bien par les textes que par la musique et absolument essentiels au développement du genre.

Le reste des faces originales a été rassemblé sur un deuxième LP intitulé King Of The Delta Blues Singers, Vol. II, initialement sorti en 1970 et réédité en compact en 2004 avec la même qualité sonore que le premier. Présumant dans les années 60 qu’il n’existait pas de photos de l’artiste, CBS a affublé les deux pochettes de superbes dessins : le premier représente en vue plongeante un Johnson solitaire assis avec sa guitare et le second est une illustration de l’enregistrement de novembre 1936. Ces deux LP constituent un ensemble finalement plus agréable à regarder et à écouter que l’intégrale. Une intégrale qui n’en est d’ailleurs peut-être pas une puisque, selon l’auteur Tom Graves, Robert Johnson aurait enregistré 59 chansons, versions alternatives incluses, qui auraient toutes été envoyées à New York sans parler des titres perdus qu’il aurait composés mais non enregistrés et qui auraient été gravés après sa mort par des artistes ayant perpétué la tradition comme Johnny Shines ou Robert Jr. Lockwood.

Robert Johnson est mort le 16 août 1938 à l’âge de 27 ans, probablement empoisonné par un mari jaloux dans les environs de Greenwood. Peu de gens le connaissaient vraiment. L’homme était aimable, timide, maussade, indéchiffrable et parlait peu de lui. C’était un nomade perpétuellement en déplacement, à pied sur les routes poussiéreuses ou dans un train de marchandises quand il pouvait en attraper un. Comment un homme sans éducation a pu innover autant dans l’art qu’il s’est choisi reste un mystère et, pour les gens simples et superstitieux des années 30, la réponse était forcément dans la magie. Johnson avait passé un pacte avec le diable à l’un de ces carrefours ruraux où deux chemins perpendiculaires composent une croix. Lui-même d’ailleurs entretenait cette légende et bon nombre de ses chansons ont des textes ambigus qui parlent du diable. En tout cas, c’est sûr qu’il avait un chien de l’enfer à ses trousses.

Pour en savoir plus, il reste peu de choses en dehors de sa musique : une guitare Kalamazoo retrouvée chez un de ses frères, un portait en costume rayé pris dans un studio de Memphis qui figure sur la plupart des compilations et une seconde photo moins connue présentant l’artiste en chemise avec sa guitare et tirant sur une cigarette. Il en existerait même une troisième prise en compagnie de son neveu habillé en costume de marin et peut-être une quatrième avec Johnny Shines non authentifiée. Sinon, il faut se fier à la mémoire de ceux qui, à un moment ou à un autre, ont croisé son chemin : Shines, Lockwood, Son House, Howlin’ Wolf, David Edwards … mais ce ne sont que des souvenirs épars, des lambeaux d’histoire qui lèvent à peine le voile sur une légende qui restera à jamais obscure.

[ King Of The Delta Blues Singers ] - [ King Of The Delta Blues Singers, Vol. 2 ]

Little Milton : Think Of Me (Telarc), USA 2005

Né en 1934 à Inverness dans le Mississippi, il aura fallu à Milton Campbell quelques 30 années pour définir et ensuite imposer son style qui éclatera dans toute sa splendeur d’abord chez Checker, une filiale de Chess Records chez qui il éditera son premier grand succès (We’re Gonna Male It) en 1965 et ensuite, après le décès de Léonard Chess en 1969, sur le fameux label Stax de Memphis (celui qui claque des doigts) pour lequel il enregistrera quelques beaux fleurons de plus comme Waiting For Little Milton (1973), What It Is (1973) ou Blues ‘N Soul (1974). Sa musique est désormais plus orchestrale, plus cuivrée, marquée par la direction artistique d’un label qui imposa le « Deep Soul » et compta aussi dans ses rangs Isaac Hayes, Albert King et Booker T. & the MGs. Après la faillite de Stax en 1975, Milton se relogera chez Malaco pour lequel il enregistrera quatorze albums avec un succès qui ne faiblira pas. Son passage chez Telarc en 2005, soit 54 années après ses premières armes sur Sun Records, le montre dans une forme éblouissante. Voix de ténor imposante, guitare monumentale à la BB King (une seule corde jouée à la fois en alternance avec les phrases chantées), supporté par un groupe de musiciens professionnels (dont l’excellent Bruce Katz à l’orgue), Milton perpétue son art ici encore mieux mis en valeur par une production de luxe caractéristique des réalisations du label Telarc. Think Of Me est un disque de blues/R&B authentique et versatile, digne de ses meilleures productions Stax ou Malaco, avec des moments absolument irrésistibles comme ce Let Your Love Rain Down On Me qui louche vers la soul avec ses chœurs typiques, un Gonna Find Me Somebody To Love organique, humide et chaud comme un bayou de louisianne, The Blues Is My Companion en forme de slow blues torride, le funky Next To You, ou That's Where It's At avec Mark Sorrells en invité au piano. Profitez-en car cet album indémodable sera son dernier opus en studio, Little Milton ayant décédé le 4 août 2005 peu de temps après la sortie du compact.

[ Think of Me ]




They take your house and your home
They take the flesh from your bone
They take the shirt off your back
Why people like that


Why People Like That
Junior Wells : Come On In This House (Telarc), USA 2005

Parmi les hommes du blues, Junior Wells ne passe guère pour un pied tendre. Depuis ses débuts à Chicago dans les années 50, il s’est imposé dans les clubs comme un chanteur harmoniciste exalté laissant derrière lui quelques albums devenus depuis longtemps des classiques : Hoodoo Man Blues (Delmark, 1965) et, dans une moindre mesure, It’s My Life Baby (Vanguard, 1966), tout deux avec Buddy Guy comme guitariste, sont des performances remarquables. Bizarrement, après une décennie plutôt bien fournie en albums édités chez Delmark dans les années 70, Junior Wells n’a plus enregistré grand-chose même s’il a continué à se produire régulièrement aux Etats-Unis et en Europe, gardant ainsi un noyau considérable de fans amateurs de son style tranchant. Le label Telarc l’a ramené dans les studios au début des années 90 mais sans véritable succès … jusqu’à ce phénoménal Come On In This House fort remarqué qui va remporter le fameux W.C. Handy Blues Award en tant que meilleur album traditionnel de blues pour 1977. Paru une année à peine avant sa mort en janvier 1998, le bluesman y apparaît plus sage avec une voix profonde et poignante, jouant des parties d’harmonica haut perchées, concises et ciselées comme des petits bijoux. Le producteur John Snyder a conçu cet album comme un retour aux racines en choisissant un accompagnement essentiellement acoustique, quoique pas complètement. Mais la vraie bonne idée est d’avoir invité de jeunes et talentueux guitaristes, pour la plupart spécialistes de la slide, qui entrecroisent leurs six-cordes comme de la dentelle autour du chanteur vétéran. Corey Harris, Alvin Youngblood Hart, Sonny Landreth, Bob Margolin, John Mooney, Tab Benoit et le virtuose Derek Trucks transforment ainsi cet album en un véritable festival de guitares. De la magnifique reprise de Tracy Chapman (Give Me One Reason), accompagnée par un Sonny Landreth plus sobre que d’habitude sur sa National Steel, jusqu’au mélancolique Why People Like That au texte acerbe, sublimé par des échanges tranquilles mais lumineux entre Trucks et Landreth, rien ici n’est à jeter. Junior Wells n’a peut-être pas laissé derrière lui une discographie pléthorique mais son premier et son dernier disque en studio comptent parmi les réussites les plus indispensables du genre.

[ Come On In This House ]

Junior Wells : Hoodoo Man Blues (Delmark), USA 1965

Paru en 1965, le premier album de Junior Wells semble celui d’un vétéran maîtrisant toutes les ficelles du blues de Chicago. C’est aussi l’un des premiers a n’avoir pas été conçu comme une compilation de morceaux précédemment enregistrés et déjà sortis en simples mais bien comme un vrai microsillon original doté d’une atmosphère uniforme. Aidé par le producteur du label Delmark, Bob Koester, qui lui a laissé les coudées franches, Wells a choisi de donner à son projet enregistré en studio l’ambiance des tavernes enfumées du South Side de Chicago. Du coup, la musique est chaude, spontanée, dynamique, ramassée et frappe droit où il faut. Accompagné par une rythmique efficace composée du bassiste Jack Myers et du batteur Billy Warren, Wells bénéficie aussi de la présence du guitariste Buddy Guy (crédité à l’époque en tant que Friendly Chap à la demande de Léonard Chess avec qui Buddy avait signé un contrat). Guy n’avait pas encore attrapé le syndrome d’Hendrix et joue ici essentiellement en tant qu'accompagnateur rythmique perfusant les chansons d'un groove irrésistible. Le son de la guitare est parfois bizarre mais on raconte que l'ampli ayant lâché, Guy fut obligé à un moment de la session de faire passer le son par le Leslie d'un orgue Hammond présent dans le studio. Ceci dit, le roi de la fête, c’est bien Junior Wells! Sa voix est puissante et son jeu à l’harmonica organique et réellement tranchant. Il arrive même à donner à son blues des accents funky qui font parfois penser à James Brown (écoutez pour ça l’extraordinaire Snatch Back & Hold It). Good Morning Little Schoolgirl et Hoodoo Man Blues de Sonny Boy Williamson, Hound Dog de Leiber & Stoller, Yonders Wall d’Elmore James, Hey Lawdy Mama et même Chitlin Con Carne, écrit par le guitariste de jazz Kenny Burrell, sonnent comme des versions tellement définitives qu’il est difficile d’en écouter d’autres après. Bob Koester, qui créa son label en 1953 à Saint Louis avant de se reloger en 1958 à Chicago, a enregistré d’innombrables artistes majeurs de blues comme Magic Sam, Roosevelt Sykes, Big Joe Williams, Sleepy John Estes, Otis Rush et, plus récemment, Jimmy Thackery ou Popa Chubby mais Hoodoo Man Blues restera dans l’histoire comme son plus grand fait d’arme.

[ Hoodoo Man Blues ]

Steamhammer : Reflection (CBS Records), UK 1969 - réédition CD (Repertoire), 2000

Steamhammer !!!! Voici sans doute le plus sous-estimé des groupes de blues-rock anglais. Pour tout dire, moi-même ne les ai découvert qu’après avoir réécouté les prestations des guitaristes Martin Pugh et Martin Quittenton (co-auteur du célèbre bijou Maggie May qu’il sertit dans une illustre partition de mandoline) sur les premiers albums de Rod Stewart. Pourtant, dans les années 60, Steamhammer s’était fait une réputation enviable chez les amateurs de blues en mettant le feu à tous les festivals où ils se produisaient tandis que Junior’s Wailing, une de leurs premières compositions incluse sur ce LP, décrocha la timbale en Allemagne. Constitué en 1968, le groupe attendit une année avant de sortir son premier disque qui reste le plus bluesy de tous. Leur répertoire se partageait à l’époque entre compositions originales et reprises de blues interprétées avec suffisamment d’intensité et d’apport personnel pour éveiller l’intérêt. Le lead guitariste Martin Pugh était indéniablement un maître de la six-cordes. En plus d’arborer un son énorme, il affichait cette attitude laid-back irrésistible qui fit la réputation des plus grands comme Eric « Slowhand » Clapton ou Mick Abrahams. On peut l’entendre ici au sommet de sa forme sur You’ll Never Know, boogie-rock acéré emprunté au grand B.B. King, ou sur le slow blues archi-connu Twenty-Four Hours crédité cette fois à Eddie Boyd. Les morceaux composés par le groupe affichent déjà une détermination de se démarquer des douze mesures traditionnelles. Ainsi, Even The Clock évoque davantage le rock tendu des Doors avec le chanteur Kieran White (également excellent harmoniciste) dans la peau de Jim Morrison. A noter sur ce morceau la partie intéressante de flûte créditée à Harold McNair dont il faut également souligner la superbe partition jazzy dans le genre de Ian Anderson / Roland Kirk sur la plage suivante : Down The Highway. Principal compositeur, Martin Quittenton est aussi un guitariste rythmique efficace et on s’en rendra compte aisément sur le court titre instrumental Water en deux parties qui ouvre et referme cet album. Par la suite, le style de Steamhammer évoluera rapidement vers un rock plus classique (MK II et Mountains en 1970) et même progressif (Speech en 1971) mais ce premier essai, qui réserve encore la part du lion au blues, est un formidable album à redécouvrir de toute urgence. A noter que le label Repertoire a doté la réédition la plus récente d’une pochette différente du LP original qui pourrait laisser croire à un disque perdu miraculeusement retrouvé. Il s’agit bien toutefois du disque Reflection sorti en 1969 chez CBS. Aucun bonus n’a été ajouté, ce qui est un peu dommage car la réédition de MK II, enregistré lui sans Martin Quittenton, a été dotée de quatre titres supplémentaires dont la version single de Junior’s Wailing et sa face B (Windmill) gravées à la même époque que ce Reflection et avec le même line-up.

[ Reflection ]
[ A écouter : You'll Never Know - Down The Highway / On Your Road ]

Earl Hooker : Simply The Best (MCA), compilation 1999

Sur la plupart des pochettes de ses disques, Earl Zebedee Hooker pose avec une imposante guitare à double manche. C’était son métier, l’homme était guitariste. Mais comme il ne chantait guère (sa voix fut progressivement fanée par les effets de la tuberculose) et que le monde du blues n’est pas celui du jazz, il fut relégué dans l’ombre, condamné à jouer perpétuellement les seconds couteaux même sur ses propres albums. Pourtant, ses qualités de guitariste, l’un des meilleurs du Chicago Blues, suffisent amplement pour qu’on lui accorde l’intérêt qu’il mérite. Muddy Waters le savait bien et, dans les très rares cas où il acceptait de ne pas jouer lui même de la slide sur ses enregistrements, ce n’est qu’à Earl qu’il acceptait de confier l’instrument (comme sur ce fantastique You Shook Me de 1961). Malheureusement, les disques enregistrés par ce dernier, parfois dans des conditions sommaires et avec des accompagnateurs divers, ne sont pas tous à son avantage et ne reflètent qu’imparfaitement son talent. Ici, pas de problème ! Cette compilation généreuse (19 titres au compteur) abonde en titres majeurs pour une moitié issus des disques sporadiques sortis sous son nom et, pour l’autre, de sessions enregistrées pour différents artistes. Maître de la slide et adepte des effets électroniques comme la pédale wah wah et la fuzz box, Hooker n’hésitait pas à emmener son blues aux frontières du jazz et même de la country. Outre Muddy Waters déjà cité, on retrouvera ici au fil des plages quelques grand noms du blues comme son cousin John Lee Hooker, dont la renommée dépassa largement celle d’Earl (Messin' Around With the Blues, If You Miss 'Im, I Got 'Im), Sonny Terry et Brownee McGee (When I Was Drinkin), Charles Brown sur son célèbre Drifting Blues, Andrew "Big Voice" Odom (Come To Me Baby et They Call It Stormy Monday) et Johnny "Big Moose" Walker qui chante et joue du piano sur plusieurs titres. Mais le maître du jeu, c’est Earl Hooker lui-même qui subjugue par ses rifs acérés, ses glissandos furtifs, sa sonorité claire et son phrasé lumineux : écoutez par exemple l’instrumental Hookin’ de 1969 avec sa guitare frissonnante et son groove infectieux. Quelle émotion, quelle finesse, quelle classe ! En dépit d’un ou deux titres de moindre importance comme Universal Rock, ruiné par un traitement électronique désastreux, cette compilation offre une occasion unique de redécouvrir Earl Hooker dans ses meilleurs moments cueillis tout au long de sa carrière. Comme disait B.B. King en parlant de lui la larme à l’œil : personne ne joue de la slide avec une telle pureté !

[ Simply The Best ]
[ A écouter : Frog Hop - Drivin' Wheel - You Got To Lose ]

Alamo : Alamo (Atlantic), 1971 - réédition CD (Black Rose), 1999 - (Wounded Bird), 2008

Originaire du Tennessee, Alamo est un groupe de rock au son plutôt original qu’on pourrait décrire comme un croisement entre ZZ Top, Atomic Rooster et Allman Brothers Band, ceci pour rendre compte en une fois de ses principales caractéristiques : 1) un chant rugueux à la manière texane, 2) un orgue Hammond rugissant, 3) du rock et des guitares sudistes. Et il faut dire que dans ce genre où les prétendants abondent, Alamo en impose un maximum. L’organiste et chanteur Ken Woodley, le guitariste Larry Raspberry (ex The Gentrys) et leur rythmique composée de Larry Davis (basse) et Richard Rosebrough (batterie) délivrent un groove démoniaque, torride comme le désert mexicain et sans la rigueur du blues conventionnel. Toutefois l’esprit du blues, Alamo s’en nourrit à l’instar d’un Paul Rodgers et de Free dans leurs premiers albums. L’orgue forcément vintage étoffe les structures sans jamais vraiment prendre aucun solo. Ces derniers sont laissés à Raspberry et à sa guitare embrasée qui vibre dans l’espace en se démultipliant sur les canaux de la stéréo. Sur des titres comme les brûlots Got To Find Another Way, All New People ou Get the Feeling, il fait hurler sa six-cordes au cœur de l’orage déchaîné par des nappes d’orgue dont la furia déjantée rappelle les premiers hard-rock d’Uriah Heep ou de Warhorse. En dépit de cette approche killer, les chansons survivent dans le subconscient grâce à leurs mélodies fortes et un sens de l’aération indispensable dans ce genre de rock rustique. Il y a même quelques superbes ballades comme ce Soft And Gentle de 7 minutes sur laquelle la voix de Ken Woodley, qui évoque la poussière et le whiskey, fait merveille. Sans bien sûr parler des guitares empilées qui se hurlent dessus par la magie du réenregistrement. Si la production et le mixage ne sont pas au top, l’emballage est plutôt réussi avec un dessin coloré de la petite mission Alamo dans laquelle en 1836, David Crockett et deux cents Texans résistèrent farouchement au siège de l’armée mexicaine avant d’être submergés par le nombre. Alamo, le groupe, n’a pas résisté non plus devant les lois du business et n’a existé que le temps d’un unique album avant de disparaître corps et biens on ne sait trop où. Vingt-huit années plus tard, le disque est devenu culte et fait toujours le bonheur des amateurs de blues-hard-rock incendiaire. Ces gars-là auraient pu faire une carrière à la ZZ Top sans problème : ils en avaient la classe et les moyens.

[ Alamo ]
[ A écouter : All New People ]

Robin Trower : For Earth Below (Chrysalis), UK 1975

Après avoir enfin lâché son hommage à Jimi Hendrix sous la forme d’un Song For A Dreamer brillant de mille feux au beau milieu de l’album Barricades de Procol Harum, Robin Trower était prêt pour la grande aventure en solo. Si Twice Removed From Yesterday est encore un hommage à peine déguisé au légendaire guitariste, Bridge Of Sighs révèle déjà une personnalité différente, un style original à la fois planant et torturé qui se situe bien loin des flamboyantes pyrotechnies du bohémien céleste. Généralement déprécié par les amateurs par comparaison avec le précédent opus considéré comme le sommet incontesté de sa discographie, cette troisième réalisation en studio est pourtant un extraordinaire album de hard-blues-rock. Trower a acquis une dimension qui dépasse tous les espoirs mis en lui et son jeu affiche désormais une fluidité à nulle autre pareille, chaque accord se fondant malicieusement dans le suivant en une rivière de sons visqueuse. Faisant corps avec la Stratocaster du leader, la voix profonde et rauque de l’Ecossais James Dewar restera à jamais associée au patronyme de son leader. Dewar (ex Stone The Crows) s’est découvert chanteur par hasard alors qu’il répétait en studio avec Trower, subjugué de découvrir en son bassiste l'homme à la voix d’or qu’il cherchait désespérément. A ces deux piliers, il faut ajouter la batterie lourde et menaçante de Bill Lordan qui ne fait certes pas dans la dentelle mais qui contribue grandement au groove hypnotique du trio. Huit titres sur neuf sont pétris de blues sans en avoir la structure (dans les années 90 et plus tard, Trower reviendra épisodiquement à un blues plus traditionnel) et, parmi eux, au moins trois comptent parmi les classiques incontournables du style « Trower » : Shame The Devil, Confessin' Midnight et Alethea sont des hymnes mythiques du blues-rock des seventies inscrits pour toujours au panthéon de la guitare rock électrique. Quant au dernier morceau éponyme, c’est une longue plainte cotonneuse qui s’effiloche lentement avant de se perdre dans un silence qui prolonge la musique. Aucun album de Robin Trower jusqu’à Caravan To Midnight ne saurait être évité et celui-ci, comme le « Live » qui lui succèdera, encore moins que les autres !

[ For Earth Below / Live - 2 LP sur 1 CD ]

Martin Scorsese Presents The Blues: Jimi Hendrix (MCA), USA 2003 (compilation de morceaux enregistrés entre 1966 et 1970)

Mis à part l'obligatoire Red House inclus sur son premier LP, Are You Experienced (encore qu’ici, la prise soit différente), aucun morceau de cette compilation, éditée en 2003, ne fait double emploi avec l’autre grand recueil de Jimi Hendrix consacré exclusivement au blues (:blues produit par Alan Douglas en 1994 avant qu’ Experience Hendrix ne prenne le contrôle de la discographie du guitariste). Bien sûr, on retrouvera ici l’incontournable Voodoo Chile mais dans une version en concert longue de 15’ ainsi qu’un intéressant Hear My Train A Comin’ gravé au début de 1969 avec le line up initial du Jimi Hendrix Experience, soit deux titres phares dans des interprétations différentes de celles de :Blues. On a droit par contre à des morceaux moins connus comme Come On (Let The Good Times Roll), Country Blues, It's Too Bad et My Friend qui ont certes été édités sur d’autres disques d’archives mais n’en constituent pas moins, rassemblés ici, un formidable répertoire de blues authentique. A ces titres joués en groupe, on ajoutera encore un formidable Midnight Lighning avec un Hendrix particulièrement inspiré se produisant seul avec sa guitare électrique. Il est clair que les héritiers d’Hendrix ont conçu leur compilation comme une alternative à celle d’Alan Douglas, et la sortir sous le label « Martin Scorcese Presents The Blues », en tant que contribution à « l’année du blues 2003 », est un beau coup de marketing. Le fait est que ce recueil est maintenant une pièce essentielle du puzzle pour comprendre à quel point le blues constituait la base de la musique d’Hendrix. Et pour ceux qui hésiteraient encore, sachez qu’on y a inclus deux perles rares sous la forme de deux titres complètement inédits. Enregistré aux Record Plant Studios de New York le 19 mars 1969, Georgia Blues est un blues lent, presque classique, fort bien chanté par Lonnie Youngblood (ce saxophoniste peu connu, qui joue dans le style de King Curtis et qu’on appelait le Prince de Harlem, fut l’un des premiers à donner une chance au jeune Hendrix de jouer en professionnel dès 1963) tandis qu’Hendrix se concentre sur sa guitare en lâchant des jets de lave en fusion entre les phrases. Enregistré en mars 1969 aux studios Mercury de New York, Blue Window est une jam session du Buddy Miles Express qui frôle les 16 minutes, avec un Hendrix entre soul et jazz, encadré par le batteur Buddy Miles, l’orgue groovy de Duane Hitchings et une section de cuivres hypnotique. Incroyable qu’après autant d’années, on puisse encore trouver des fonds de tiroir de cette qualité qui n’aient jamais été officiellement édités.

[ Martin Scorsese Presents The Blues: Jimi Hendrix ]

Judge give me life this mornin' down on Parchman Farm
Judge give me life this mornin' down on Parchman Farm
I wouldn't hate it so bad, but I left my wife in mourn

We got to work in the mornin', just at dawn of day
We got to work in the mornin', just at dawn of day
Just at the settin' of the sun, that's when the work is done


Le juge m'a laissé la vie ce matin à la ferme de Parchman
Le juge m'a laissé la vie ce matin à la ferme de Parchman
Ca ne serait pas si mal si je n'avais quitté ma femme attristée

On part travailler dès le matin, juste à l'aube du jour
On part travailler dès le matin, juste à l'aube du jour
Et ce n'est qu'au coucher du soleil que le travail est achevé

Booker T. Washington "Bukka" White in Parchman Farm Blues
(OKeh 05683), Mars 1940
CD : Aberdeen Mississippi Blues (Saga Blues)




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