Jazz en France : une Sélection de CD


Volume 1 Volumes : [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ]


Imaginary Africa Trio Imaginary Africa Trio
[LFDS Records]


1. Toubab (11:02) - 2. The Missing Link (7:11) - 3. Fela (7:28) - 4. Qalb (10:55) - 5. Chapa (7:33) - 6. Africa Twin (7:38) - 7. Infini (4:47)

Mauro Basilio (violoncelle, électronique); Jean-François Petitjean (saxophones); Guillaume Arbonville (percussions). Enregistré live au studio AZ-Factory à Saint-Ouen (FR), les 22 et 23 février 2016. Sorti en 2017.

Ce trio porte bien son nom car s'il offre une musique qui s'inspire des mélopées du continent noir et conserve la nonchalance de ses rythmes, les images évoquées sont surtout celles d'une Afrique mythique, heureuse et enchanteresse, à l'instar de la jolie pochette colorée conçue par le dessinateur Christoph N. Fuhrer. Les rythmes sont vifs, scandés par de subtiles textures électroniques qui hypnotisent comme une litanie mandingue. Sur cette trame envoûtante qui, parce qu'elle vous met dans un état second, ressemble à une transe, les solistes s'en donnent à cœur joie. Les thèmes sont courts, quasi minimalistes, vite expédiés pour entrer dans le vif du sujet : les improvisations libres qui ramènent cette musique d'inspiration ethnique à la frontière du jazz. D'origine italienne, le violoncelliste Mauro Basilio imprime aux compositions qu'il a toutes écrites un exotisme délicieusement factice mais aussi des atmosphères diverses grâce à des sonorités synthétiques ou à des bruitages intelligemment surimposés : des vagues cosmiques sur Infini, des voix orientales appelant à la prière sur Qalb (qui signifie "le Cœur" en arabe, véritable siège de l'âme et de toutes les passions), ou des cocottes électriques et urbaines qui font monter la température sur l'excitant Fela (dont la progression afrobeat aurait franchement pu durer quelques minutes de plus). Au saxophone, Jean-François Petitjean apporte son art de l'improvisation libre, se coulant dans les rythmes luxuriants tout en tirant la musique vers plus de jazz. Quant au percussionniste Guillaume Arbonville, sa pulsation donne bien souvent l'illusion de fouler la terre d'Afrique ou de descendre en felouque l'un de ses grands fleuves. L'enregistrement a été réalisé live en studio et donne donc en principe une bonne idée de ce que la musique doit être sur scène. Et vu l'énergie, les ambiances dépaysantes et la sensation de "bien-être" qui s'en dégagent, on se saurait recommander assez, après avoir écouté ce disque, d'aller les voir en concert.

[ A écouter : Toubab (extrait) - Fela (extrait) ]



The Middle Way Stefan Orins Trio : The Middle Way
[Circum-Disc]


1. Chu (4:47) - 2. Ku (8:16) - 3. Ke (3:51) - 4. Henning Mankell (4:29) - 5. Pétales Au Vent (5:51) - 6. Wangari Maathai (4:15) - 7. Nandi (6:50) - 8. Winter Always Turns Into Spring (6:32) - 9. För (6:25)

Stefan Orins (piano); Christophe Hache (contrebasse); Peter Orins (batterie). Enregistré les 21 et 22 février 2017 à la maison par Peter Orins. Paru le 16 octobre 2017.

Mine de rien, The Middle Way est déjà le cinquième album de Stefan Orins enregistré avec un trio dont le line-up est le même depuis 1996. Né à Lille, la frontière belge n'était pas loin et les amateurs de jazz du plat pays se souviennent peut-être qu'en 1997, Stefan Orins et son quintet remportèrent au Sounds à Bruxelles le tremplin Jazz Around qui leur permit d’enregistrer un premier disque intitulé Impression sur le label Lyrae Records aujourd'hui défunt (originaire de Valenciennes et autre habitué de la scène lilloise, le guitariste Olivier Benoît qui deviendra plus tard directeur de l'Orchestre National de Jazz faisait alors partie du groupe). Depuis, le trio est revenu régulièrement jouer en Belgique : notamment au Travers en 1999, au Marni à Bruxelles en 2004, au WERF à Bruges en 2007 et, plus récemment, au Festival Jazz à Liège et à Gand en 2015. Alors, forcément, après avoir arpenté les scènes de quelques 150 concerts nationaux et internationaux, leur univers commun a eu le temps de développer de profondes racines, ce qui s'entend tout de suite à leur façon d'interagir les uns avec les autres. Fort de cette longue expérience acquise, le pianiste s'est concentré sur l'écriture de ses compositions qu'il a ensuite livrées à ses fidèles complices : libre à ces derniers de s'en imprégner et d'y apporter tous les enjolivements que leur permet leur grand talent. Ainsi, comme exemple, on écoutera Ku/Unseen sur lequel Christophe Hache colle un long et mémorable solo de contrebasse ou För que le batteur Peter Orins porte dans une autre dimension en délivrant un jeu intense et même féroce. La musique est moderne, imprévisible, parfois mélancolique avec de belles mélodies transcendées par le toucher délicat du leader (Ku/Unseen, Pétales Au Vent), et parfois nourries par un swing intense comme sur Henning Mankel. Le morceau Nandi en particulier en apprend beaucoup sur la manière dont la musique du trio se construit : l'interaction entre les trois hommes y est à son apogée, quasi télépathique, chacun complétant ou amplifiant les idées des autres en prenant des chemins de traverse dans une totale liberté d'improvisation. Vous l'aurez compris : The Middle Way est du bel ouvrage qui devrait convaincre aisément tous les fans de piano jazz moderne. C'est en tout cas, en ce qui me concerne, une vraie découverte (un Choc comme on dit dans certains magazines).

[ A écouter : The Middle Way (teaser) - Stefan Orins Trio live at Jazz Station, Bruxelles, 16/2/2013 ]



Le Coeur Des Vivants Les doigts de l’Homme : Le Cœur Des Vivants
[Lamastrock / L’autre distribution]


1. 4BC (3:49) - 2. Le Cœur Des Vivants (3:49) – 3. Là Haut (5:34) – 4. The Wait (4:03) - 5. I See The light (5:41) - 6. Amir Across The Sea (4:22) - 7. Love Song (5:42) - 8. Le vol Du Colibri (3:34) - 9. Califas (4 :47) - 10. Le Vrai Tombeau Des Morts (4:35) - 11. La Valse Du Gros (3:36) - 12. Back To life (3:34)

Olivier Kikteff (Guitare); Yannick Alcocer (Guitare); Benoît Convert (Guitare); Tanguy Blum (Contrebasse); Nazim Aliouche (Percussions). Paru le 28 avril 2017.

Pour les avoir vu jouer sur scène à plusieurs reprises, une fois au Jazz Marathon de Bruxelles il y a une dizaine d’années, et avoir chroniqué dans ces pages un de leurs premiers disques, Les Doigts de l’Homme restent dans ma mémoire comme un groupe acoustique jouant du jazz manouche avec autant d’humour que de virtuosité et s’en servant comme passerelle vers un éventail de métissages sonores parmi les plus inattendus. Si le style reste globalement le même sur ce nouvel album, le répertoire laisse d’abord l’impression d’un intense travail sur les compositions dont certaines sont vraiment belles et rafraîchissantes comme The Wait, Le Vrai Tombeau Des Morts et, surtout, le magnifique Love Song avec son lacis de guitares et sa contrebasse jouée à l’archet. Les références plurielles sont cependant toujours de mise comme sur le titre éponyme avec ses accents balkaniques ou sur Amir Across The Sea dont les gènes portent en eux une cadence africaine. La présence du percussionniste Nazim Aliouche change aussi la donne, donnant du corps aux textures, relançant les improvisations, pressant encore le jeu en soliste d’Olivier Kikteff déjà naturellement porté aux fulgurances. Son apport est d’autant plus important qu’il est parfaitement dosé : écoutez par exemple La Valse Du Gros qui commence à l’ancienne par un pétillant entrelac de cordes avant qu’à la cinquantième seconde, ne vienne s’incruster la pulsation percussive. Aussi soudainement qu’elle est apparue, cette dernière se dissipe à 1:43 pour revenir derechef 30 secondes plus tard avant d’entamer un duel décoiffant avec la contrebasse. Cette tension-détente parfaitement orchestrée est d’une redoutable efficacité, faisant voler en éclats la routine et maintenant l’intérêt de la première à la dernière note. J’aime cette musique pour sa vivacité, ses contrastes, son ouverture sans œillère, ses débordements généreux et, par dessous, cette sensibilité à fleur de peau qui la fait sortir du commun.

[ Le Coeur Des Vivants (CD & MP3) ]
[ A écouter : Le Cœur Des Vivants ]



Stéphane Escoms : Pepita Greus Stéphane Escoms : Pepita Greus
[Indépendant]


1. Pepita Greus (5:20) - 2. Bolero de Carlet (6:41) - 3. Benimodo (8:09) - 4. El Fallero (6:47) - 5. Avant de partir (6:38) - 6. Lo Cant de Valencia (6:19) - 7. Amparito Roca (4:48)

Stéphane Escoms (piano, compositions et arrangements); Rafael Paseiro (basse électrique); Alex Tran Van Tuat (drums). Enregistré le 23 mars 2016 au studio Downtown à Strasbourg. Sorti le 11 janvier 2017.

N’ayant plus rien entendu du pianiste Stéphane Escoms depuis l’excellent Meeting Point paru en 2014, c’est avec curiosité que j’aborde ce nouvel album enregistré en trio. Ça commence bien avec le titre éponyme, une reprise ensoleillée d’un paso-doble de 1925 écrit en hommage à la poétesse espagnole Angela-Josefa Greus Saez, apparemment, selon les notes de pochette, une lointaine cousine du pianiste dont les racines espagnoles s’épanouissent ici avec bonheur. Le balancement typiquement latin est brillamment assuré par une rythmique légère où l’on suit avec plaisir la basse électrique particulièrement sinueuse de Rafael Paseiro. Le Boléro De Carlet est un autre traditionnel espagnol dont l’élégante mélodie, cette fois portée par les percussions foisonnantes d’Alex Tran Van Tuat, se niche illico au creux de l’oreille. Première composition du pianiste, Benimodo porte le nom du village du grand-père de Stéphane Escoms : c’est une pièce nostalgique, quasi bucolique, incluant quelques bruitages d’ambiance indistincts évoquant une guitare à peine effleurée ainsi que les perles en bois d’un rideau qui s’entrechoquent sous la brise.

Retour à la tradition avec un des sommets du répertoire : le magnifique El Fallero, composé en 1929 par José Serrano pour les fêtes annuelles de Valencia (Las Fallas) et devenu depuis un hymne local. Interprété avec beaucoup de passion par Niuver, chanteuse cubaine installée en France, ce titre bénéficie aussi d’un arrangement superbe et d’un accompagnement dynamique par un trio en verve d’où émerge notamment un solo de basse flamboyant. Dédié à son grand-père espagnol, Avant De Partir est la seconde composition du pianiste et, une fois passée l’intrigante introduction jouée à la basse électrique, c’est encore une fois un morceau mélancolique, nourri par le souvenir de l’enfance, qui met en exergue la haute sensibilité de son auteur. Ecrit en 1914 par Pedro Sosa Lopez, Lo Cant De Valencia renoue avec les harmonies chaleureuses et les rythmes enlevés propices à l’épanchement des solistes, Rafael Paseiro se taillant une nouvelle fois la part du lion avec une belle et exaltante envolée de basse. Et le répertoire se termine sur Amparito Roca, un autre paso doble intrépide investi par Escoms dont le piano transcende la partition originale avec un enthousiasme des plus communicatifs.

Par son thème, Pepita Greus a le charme désuet d’un antique album de famille dont les photographies auraient été remplacées par des vignettes sonores mais c’est aussi et surtout une création moderne, riche, accomplie, lumineuse, émouvante et porteuse de plaisir. A écouter absolument !

[ Pepita Greus (MP3) ]
[ A écouter : Pepita Greus (teaser) ]



Guillaume Perret : Free Guillaume Perret : Free
[Kakoum Records]


1. Walk (3:00) - 2. Heavy Dance (5:47) - 3. Seduction (5:04) - 4. En Good (4:32) - 5. Inside Song (3:40) - 6. Pilgrim (5:43) - 7. Cosmonaut (4:19) - 8. She's Got Rhythm (4:54) - 9. Inner Jail (5:03) - 10. Susu (2:51) - 11. Birth of Aphrodite (4:49)

Guillaume Perret (sax ténor électrifié, soprano sax électrifié, effets, loop). Sorti le 23 septembre 2016.

Le saxophoniste Guillaume Perret est déjà l'auteur de disques très originaux dans lesquels il bousculait les conventions du jazz. Sorti en 2012, Guillaume Perret & the Electric Epic déboulait comme le tonnerre d'un soir d'été en offrant une musique fusionnelle et sauvage qui sut séduire John Zorn lui-même puisqu'elle fut éditée sur son label Tzadik. Deux années plus tard, le Savoyard remettait le couvert avec Open Me, allumant un nouveau brasier atomique quelque part au croisement entre métal, prog, zeuhl, punk et jazz-rock. Sur ce troisième opus, il revient sans son groupe Electric Epic là où on ne l'attendait pas, en solitaire et plus sage. Ce qui n'empêche pas sa musique d'être toujours aussi surprenante, inclassable et pourvoyeuse d'émotions en tout genre. Avec son saxophone relié à des machines électroniques, Guillaume Perret se fait homme-orchestre, produisant des sonorités qui évoquent aussi bien des instruments de percussion que des guitares, une basse ou des synthés. Que ce soit sur Walk en forme de promenade bucolique, le swinguant She's Got Rhythm, le souriant et mélodique En Good, ou encore sur Pilgrim qui évoque un improbable folklore balkanique, le résultat est à chaque fois bluffant. Et quand il se la joue funky comme sur Susu, sa musique futuriste s'inscrit carrément dans un perspective science-fictionnelle de jazz-bar galactique. Quant à l'envoûtant Birth Of Aphrodite, son étrange mélodie et son atmosphère à fois austère et mystérieuse referment avec brio un album mutant en tout point réussi. Certes, ce n'est pas du jazz au sens strict du mot mais aucune étiquette ne saurait aujourd'hui donner une description correcte de la musique qu'on entend ici. A vous de la découvrir maintenant !

[ Free (CD & MP3) ] [ Guillaume Perret website ]
[ A écouter : Inside Song - Pilgrim (Live at Zenith Sud Nantes) ]



Joy Pierre Bertrand : Joy
[Cristal Records]


1. Emove (3:57) - 2. Muse (7:50) - 3. White Light Alone (5:29) - 4. Heart (7:01) - 5. Fly (3:50) - 6. Mano a Mano (6:34) - 7. Black or White (4:53) - 8. Acqua (7:39) - 9. Love Song (4:20) - 10. Joy (8:58)

Pierre Bertrand (saxophones); Minino Garay (batterie & percussions); Jérome Regard (basse); Alfio Origlio (piano); Xavier Sanchez (cajon); Paloma Pradal (voix); Sabrina Romero (voix & cajon supplémentaire); Melchior Campos (voix); Alberto Garcia (voix); Sylvain Luc (guitare); Louis Winsberg (guitare); Jean-Yves Jung (piano); Edouard Coquard (cajon supplémentaire). Enregistré au studio Alhambra-Colbert (Rochefort, France). Sorti le 23 septembre 2016

Véritable musicien éclectique, créateur du Paris Jazz Big Band, avec lequel il a remporté un Django d'Or et les Victoires du Jazz en 2005, le saxophoniste et flûtiste Pierre Bertrand est également un arrangeur très sollicité en jazz comme dans le monde de la variété (Nougaro, Aznavour) ainsi qu'un compositeur prolifique de musiques de films et de génériques d'émissions comme justement celle de la cérémonie des Django d'Or. Attiré par la fusion et les musiques du monde, il est aussi le créateur de la Caja Negra, un collectif auquel ont participé des invités prestigieux comme le guitariste Louis Winsberg, le percussionniste argentin Minino Garay et la chanteuse de flamenco Paloma Pradal, avec lequel il enregistra en 2010 un premier disque sous son nom. Aujourd'hui, entouré de musiciens issus de ce projet, il publie un second album qui expose de nouvelles idées en termes de mélodies et d'arrangements. Sous une pochette d'un rouge flamboyant se niche un disque dont les dix compositions révèlent une vision artistique bien affirmée.

Ouvrant le répertoire, Emove avec ses chœurs et son saxophone soprano voluptueux s'inscrit d'abord dans un jazz européen classique pendant la moitié de sa durée avant de basculer dans une seconde partie plus rythmée dans un style latin qui n'est pas sans évoquer l'esprit de Chick Corea (en version acoustique) mais aussi, à un certain moment de son évolution, celui du Pat Metheny Group (période Still Life). Ce genre de fusion douce et latine, qui n'a rien à voir avec le smooth jazz, est exploré dans les superbes morceaux intitulés Heart, Fly, Acqua et Joy, tous enluminés par de légères harmonies vocales à trois ou quatre voix. L'intégration de chanteurs sans paroles dans les orchestrations leur apporte beaucoup de fraîcheur tout en augmentant considérablement leur potentiel de séduction. D'autres plages relèvent d'un jazz plus conventionnel dont les thèmes inspirés servent de tremplin à des improvisations de toute beauté, délivrées par le leader mais aussi par ses compagnons de fortune : le piano de Alfio Origlio derrière le soprano lyrique de White Light Alone est d'une belle limpidité tandis que Love Song, joué au ténor par Bertrand, bénéficie d'un court mais beau solo de guitare électrique de Sylvain Luc. L'autre guitariste virtuose, Louis Winsberg (ex Sixun) est, quant à lui, présent sur plusieurs autres titres dont Joy et Acqua qui mettent en exergue sa technique aux influences multiples. En définitive, ces musiques d'aventures sont d'une rare élégance tandis que leur palette sonore est richement colorée, ce qui est normal vu l'influence patente qu'ont eu les rythmes espagnols et sud-américains sur leur conception. On n'a en tout cas aucune difficulté à se laisser porter par le flot de ces notes vagabondes qui génèrent l'optimisme et font, en fin de compte, lever la joie promise dans le titre de l'album.

[ Joy (CD) ] [ Cristal Records ]
[ A écouter : Teaser de l'album Joy ]



Contrasts Matthieu Marthouret Bounce Trio (feat. Serge Lazarevitch) : Contrasts
[We See Music Records]


1. Kind Folk (7:04) – 2. It Should Have Been A Normal Day (3:02) – 3. Charade (Impro 1A) (0:26) – 4. Bounce One (8:53) – 5. Keepin It Quiet (7:05) – 6. Smog (Impro 1C) (0:22) – 7. J.Z. (4:27) – 8. Shine On Your Crazy Diamond (8:07) – 9. Rage (Impro 2) (0:33) – 9. Innocent Victims (5:03) – 11. Equilibrium (Impro 3) (0:33) – 12. Bounce Ten (6:06)

Matthieu Marthouret (organ, Moog, claviers); Toine Thys (tenor saxophone, clarinette basse); Gauthier Garrigue: drums + Serge Lazarevitch: guitare sur 1, 2, 3, 4, 6, 8, 9, 10, 11) et Nicolas Kummert (voix sur 10).

Pour illustrer la pochette de son deuxième album, le Bounce Trio a choisi cet alignement de Cadillac plantées dans le sol qui constitue une étonnante sculpture exposée à Amarillo (Texas). Difficile à justifier mais peut-être n'est-ce après tout qu'un clin d'oeil aux pochettes psychés signées Hipgnosis qui décoraient les albums de Pink Floyd dont l'emblématique Shine On You Crazy Diamond est repris ici dans une version à la fois respectueuse et expressive. Le fait que les voitures forment avec le sol le même angle que les faces du prisme de Dark Side Of The Moon pourrait confirmer cette explication qui en vaut bien une autre. Quoiqu'il en soit, la musique de Contrasts s'inscrit davantage dans la ligne des combos avec orgue qui, depuis Jimmy Smith, font vibrer le jazz d'un groove aussi sensuel qu'infectieux.

En ouverture, Kind Folk installe un swing suave sur une harmonie sophistiquée qui rappelle l'esthétique de son compositeur, le regretté trompettiste Kenny Wheeler. La main droite de Matthieu Marthouret danse sur le clavier de son orgue Hammond dont les notes se faufilent entre le saxophone de Toine Thys et les accords subtils de Serge Lazarevitch. Mais dès It Should Have Been A Normal Day, une composition plus abstraite du guitariste, la musique se diversifie grâce en partie au son magnifique de la clarinette basse. Toujours à la recherche d'une phrase originale, Toine Thys a décidément développé sur cet instrument un style singulier particulièrement attachant. L'ambiance change encore sur Bounce One avec l'introduction d'un Moog dont le leader tire des cocottes funky aux effets garantis. Plus inattendu encore est le nostalgique Innocent Victims, écrit en hommage aux victimes des attentats terroristes de Paris en 2015, qui bénéficie de la voix de Nicolas Kummert en invité dont les étranges vocalises, littéralement incrustées dans un arrangement vaporeux, ressemblent à des lamentations spectrales. Ajoutez encore un J.Z. groovy dédié à Joe Zawinul, un Keepin' It Quiet au tempo gentiment chaloupé propice à de superbes envolées successives de sax et d'orgue ainsi qu'un Bounce Ten en forme de rebond festif à la métrique complexe et l'on aura compris qu'on tient là un groupe (et un disque) à géométrie variable correspondant à la forte personnalité des musiciens impliqués. On ne manquera pas aussi de mentionner le jeu agile, clair et attentif du batteur Gauthier Garrigue, nouveau maître inventif du rythme déjà entendu aux côtés du trompettiste David Enhco, qui assure un soutien impeccable en toutes circonstances. Vu l'énorme diversité stylistique de ce disque qui porte son nom comme un étendard (Contrastes), celui qui choisira d'écouter attentivement cette musique ne saurait s'ennuyer une seule seconde.

[ Contrasts sur Bandcamp ]
[ A écouter : Contrasts (EPK - Teaser) ]



Album Paris Sébastien Paindestre : Album Paris
[La Fabrica’Son]


1. Scottish Folk Song (4:04) - 2. Jazz'titudes (5:46) - 3. Gaza-Paris-Jérusalem (6:56) - 4. Mother Nature's Son (5:42) - 5. Blues for Violaine (4:32) - 6. Louise-Anne (6:04) - 7. La paindestrerie (3:47) - 8. Round' Radiohead (3:49)

Sébastien Paindestre (p, Fender Rhodes), Jean-Claude Oleksiak (b), Antoine Paganotti (dr) + Nicolas Prost (ss). Enregistré les 14 et 15 décembre 2015 au studio des Egreffins. Sorti en juin 2016.

Imaginez un trio qui existe depuis une quinzaine d'années. Au vu de l'inconstance qui caractérise cette époque, c'est déjà un événement en soi. Ecoutez-Moi, leur premier album de 2005, révélait une approche intuitive et contrastée propre à décrire d'une manière impressionniste les rencontres et les aléas de la vie. En 2008, Parcours confirmait à la fois l'originalité des compositions, la beauté des harmonies et la fluidité d'un trio en nette progression créatrice. Enfin, sorti en 2010, Live @ Duc des Lombards entérinait en concert, et donc en direct, toutes les qualités de ce groupe hors pair dont la musique chaleureuse était encore magnifiée par une prise de son exemplaire. Et voilà, six années plus tard, cet Album Paris abordé avec le même enthousiasme que jadis mais aussi avec une nouvelle attitude œcuménique, inspirée d'autres aventures musicales, qui a poussé le leader un peu plus loin en dehors des clous.

Ainsi à côté d'un Jazz'titudes où l'on retrouve toutes les qualités et le classicisme du trio acoustique d'hier, le répertoire offre une reprise inattendue de Mother Nature’s Son interprétée au Fender Rhodes. la mélodie y est limpide tandis que son développement d'une déconcertante fluidité et "un peu paresseux sous le soleil" ne se départit jamais de la sérénité de la composition originale écrite par Paul McCartney. L'alternance entre piano acoustique et Rhodes électrique, d'un titre à l'autre mais aussi parfois au sein d'un même morceau (Scottish Folk Song et Paris-Gaza-Jérusalem), permet d'astucieux contrastes qui révèlent un monde intérieur foisonnant tout en apportant à l'album une diversité de ton bien agréable. Par contre, quel que soit la formule instrumentale choisie, on a toujours comme autrefois cette impression fugace de partager avec le compositeur des émotions ressenties qui échappent au simple domaine musical. Blues For Violaine groove tout du long avec aisance, le Rhodes tricotant autour d'une rythmique en verve tandis que La Paindestrerie renoue avec un post-bop sur lequel le pianiste se laisse aller à une exubérance virtuose qui lui est peu coutumière. On comprend à l'écoute de ces deux derniers titres le rôle essentiel du tandem composé de Claude Oleksiak à la contrebasse et d'Antoine Paganotti à la batterie, dont le jeu dynamique relève davantage du dialogue que du simple accompagnement. Le temps d'une ballade dédiée à sa fille (Louise-Anne), et le disque se termine sur une rencontre singulière entre le pianiste et un saxophoniste classique, Nicolas Prost, qui interprètent en duo une composition inspirée par l'univers aventureux du groupe de rock alternatif Radiohead, décidément fort courtisé par les musiciens de jazz (Brad Mehldau, Jamie Cullum, Yaron Herman...). Cette pièce sophistiquée, élégante et lyrique qui décloisonne encore un peu plus la musique de Sébastien Paindestre et qui nous laisse en finale complètement sous le charme est probablement déjà un écho d'autres belles surprises à venir.

[ Album Paris (CD & MP3) ]
[A lire : chroniques de Ecoutez-Moi - Parcours - Live @ Duc des Lombards ]
[ A écouter : Gaza-Paris-Jerusalem (live au Studio de l'Ermitage, Paris, 15/01/2016) ]



MoOvies Médéric Collignon & Jus De Bocse : MoOvies
[Just Looking Productions]


1. Snow Creatures (12:01) - 2. Dirty Harry's Creed (5:30) - 3. Scorpio's Theme (6:29) - 4. Brubaker Adagio's and Coda (3:50) - 5. The Talking of Pelham 1,2,3 (2:55) - 6. The Pelham's-Moving-Again Blues (5:10) - 7. The Way to San Mateo (6:57) - 8. Robbery Suspect (4:36) - 9. Money Runner (3:50) - 10. End Titles (4:01) - 11. Money Montage (5:02) - 12. Up Against the Wall (5:48) - 13. Magnum Force (2:02)

Médéric Collignon (cornet, voc, effets); Yvan Robillard (el-p); Emmanuel Harang (el-b); Philippe Gleizes (dr). Enregistré au Studio Meudon, Meudon, décembre 2014. Sorti en février 2016.

Après Shangri-Tunkashi-La qui gravitait autour de l'univers de Bitches Brew et A La Recherche Du Roi Fripé dédié à King Crimson, le nouveau projet de l'enfant terrible du cornet de poche s'inspire à nouveau des glorieuses seventies. Mais cette fois, c'est l'univers des polars américains et leurs bandes sonores qui ont alimenté son imaginaire. Ceux qui se sont un jour passionnés pour des films comme Magnum Force, Bullitt, Dirty Harry, Brubaker, The Lost Man, Dollars, ou The Taking of Pelham 123, ont encore en tête les musiques inspirées par le jazz qui sous-tendent le suspense et les scènes d'action de ces thrillers urbains. Quincy Jones, David Shire, Jerry Fielding et surtout Lalo Schifrin furent les créateurs de cette nouvelle tendance qui, depuis, a émulé de nombreux compositeurs de bandes sonores. Pas question toutefois pour Collignon de recopier simplement ses sources d'inspiration. Comme à chaque fois, il transcende avec brio et une bonne dose d'humour le matériau d'origine pour en donner sa propre vision, un peu à l'instar du faux poster de film illustrant la pochette sur laquelle le leader pose, tel Clint dans Magnum Force, avec un revolver transformé en tromblon par le pavillon de sa trompette. Mais les rythmes sont jubilatoires, les mélodies fantastiques, les arrangements ciselés avec amour, les solos déchaînés, et c'est sans parler des folles parties de scat et des scènes d'ambiance qui parsèment le répertoire comme le fameux monologue de Clint Eastwood (Do you feel Lucky, punk?) ou des extraits parlés de The Taking Of Pelham 123. Aux côtés du cornettiste, l'autre grande vedette du disque est Yvan Robillard qui joue du piano électrique Fender Rhodes avec une déconcertante agilité, apportant cette couleur essentielle et cette touche funky qui font partie du genre depuis ses origines. Il faut avoir entendu son groove sur le Snow Creatures de Quincy Jones pour comprendre combien son apport est ici essentiel. En tout cas, vu la luxuriance et le pouvoir évocateur de ce disque qui donne envie de revoir ces anciens films, les metteurs en scène modernes de thrillers souhaitant mettre en musique folles poursuites, traques obsessionnelles et tensions à répétition peuvent appeler Médéric Collignon: il a prouvé que non seulement il connaît tous les rouages de ces légendaires soundtracks mais aussi qu'il peut les tordre au gré de ses envies pour en tirer de nouvelles émotions. C'est tellement géant qu'on veut un volume 2: They Call Me Mister Tibbs, In The Heat Of The Night, The Thomas Crown Affair, The Gauntlet, The Getaway, The Outfit..., il y a tant d'excellentes bandes-son dont les sillons attendent encore d'être revisités.

[ MoOvies (CD & MP3) ]
[ A écouter : Dollars (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) - Les Pirates du Métro (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) - Bullitt (live au Triton, Les Lilas, 23/01/2014) ]



Panorama Circus : Painter Of Soul
[Life Style / L’Autre Distribution]


1. Feathers Waits For Weights (5:03) - 2. Wind Of Wise (3:47) - 3. Interlude Piano Loop N°1 (1:50) - 4. Crazy Latin Stuff (5:08) - 5. The Return Of Chewbacca (2:02) - 6. Beyond The Blue Floyd (5:11) - 7. Song For Ellie [Electro Mix] (1:53) - 8. Free Metal Morphing (5:57) - 9. Interlude Piano Loop N°2 (1:52) - 10. Time Is Infair Part 1 (3:30) - 11. Time Is Infair/Part 2 (2:10) - 12. Painter Of Soul (12:22)

Jean-Francois Blanco (programmations, samples, scratches, effets); Matthieu Jérôme (piano, synthétiseurs); Vincent Courtois (violoncelle); Philippe Gleizes (batterie); David Aknin (batterie, cymbales); Jean-Philippe Morel (contrebasse); Thomas de Pourquery (saxophone alto); David Neerman (vibraphone); Elise Caron (voix, flûte traversière); Médéric Collignon (cornet, voix); Tea Hjelmeland (voix); Maxime Delpierre (guitare) - Enregistré au Studio Lifestyle Sounds à Paris en 2014. Sorti en 2015.

Si Painter Of Soul est une bonne surprise, c'est d'abord parce que la musique proposée est enivrante mais aussi parce que cette création à la croisée des chemins entre plusieurs genres est originale, et enfin, parce que ce genre de fusion à géométrie variable, presque entièrement instrumentale, est finalement assez rare. Les maîtres du jeu en sont le pianiste Matthieu Jérôme, plutôt porté sur l'improvisation que permet le jazz, et Jean-François Blanco qui ne jure que par les samples, la programmation et les bidouillages sonores qu'il peut tirer de ses platines et de ses machines. Leur musique toutefois est beaucoup plus riche que ce qu'on pourrait attendre d'un simple collage entre jazz et hip-hop, un amalgame qui, par ailleurs, a déjà été mille fois tenté. La raison en est simple: c'est que le tandem de choc, tout en préservant la cohérence d'un projet bien conçu, a su s'entourer d'un casting de musiciens exceptionnels qui viennent étoffer et agrémenter leurs compositions. Ainsi passe-t-on au fil des plages d'un Wind Of Wise relax (on dit maintenant chill-out) porté par la voix céleste et la flûte traversière d'Elise Caron à un Return Of Chewbacca tout en rythmes où brille avec intensité la batterie foisonnante de Philippe Gleizes, via un Crazy Latin Stuff agité par le saxophone du bouillonnant Thomas De Pourquery. Des interludes rêveurs au piano viennent ici et là calmer le jeu, histoire de se régénérer un peu avant d'affronter d'autres escapades non formatées. Les moments forts ne manquent pas mais il y en a au-moins deux qui sont immanquables. Le titre éponyme d'abord qui débute lentement comme une ample vague sonore sur laquelle vient se greffer la guitare avide de liberté de Maxime Delpierre qui, en un clin d'oeil, détourne la musique vers le grand inconnu. Et puis, l'époustouflant Free Metal Morphing avec ses dissonances et ce solo terriblement pertinent et efficace du cornettiste Mederic Collignon, décidément insurpassable dans ce genre de dérive fusionnelle évoquant le Miles Davis électrique des 70's. Voici un album réjouissant qui gomme les frontières entre prog, jazz, fusion classique et musiques actuelles et qui le fait avec un naturel et un aplomb qu'on n'attend généralement pas de la part d'un premier essai. Recommandé!

[ Painter Of Soul (CD & MP3) ]
[ A écouter : Feathers Waits For Weights - Painter Of Soul ]



Henry Texier : Sky Dancers Henry Texier : Sky Dancers
[Label Bleu]


1. Mic Mac (11:08) - 2. Dakota Mab (8:21) - 3. Clouds Warriors (7:49) - 4. He Was Just Shining (9:33) - 5. Mapuche (7:35) - 6. Hopi (7:48) - 7. Navajo Dream (1:52) - 8. Comanche (11:39) - 9. Paco Atao (4:06)

Sébastien Texier (saxophone alto, clarinette alto, clarinette), François Corneloup (saxophone baryton), Nguyên Lê (guitare), Armel Dupas (piano, piano électrique), Henri Texier (contrebasse, composition), Louis Moutin (batterie). Enregistré au Studio Gil Evans à Amiens en septembre 2015. Sorti en février 2016.

Tous les films hollywoodiens le disent: les Indiens d'Amérique n'ont pas le vertige et c'est pour cette raison qu'ils ont participé à la construction des gratte-ciel, en particulier ceux de New- York. C'est à ces "danseurs du ciel" qu'Henry Texier, depuis longtemps fasciné par la culture amérindienne et son rapport à la nature, a dédié son nouvel album, embarquant avec lui des complices de longue date comme Sébastien Texier, Louis Moutin et François Corneloup ainsi que deux nouveaux venus extérieurs à son monde: le pianiste Armel Dupas et le guitariste Nguyên Lê. Ce dernier étant absent sur le premier titre Mic Mac, la musique y est plus classique dans un style post-bop avec de beaux solos de saxophone et de piano acoustique. Mais à partir de Dakota Mab, la présence de Lê apporte une consonance plus moderne, voire fusionnelle d'autant plus qu'il est propulsé par la frappe énergique du batteur Louis Moutin et qu'Armel Dupas est passé à l'électricité. Ça groove et, à quatre-vingt et un ans, le contrebassiste ne montre aucun signe de faiblesse. Emporté par la frénésie euphorisante de son orchestre, il contribue avec la même verve qu'autrefois au son collectif tout en se réservant quelques solos bien affirmés indiquant, en définitive, qui est le vrai patron. Sur le très beau He Was Just Shining, Texier a rendu hommage à Paul Motian (qui fut le batteur de l'un de ses plus beaux disques : Respect, sorti en 1997) en écrivant une mélodie sinueuse et indolente qui finit par s'installer durablement dans la mémoire. Sur Mapuche et sur Dakota Mab, la rythmique (basse et batterie combinées) résonne comme des tambours de guerre tandis que le contrebassiste joue seul sur Navajo Dream. Et si Commanche est un morceau épique en forme de cavalcade sauvage au beau milieu d'une sierra désertique, le disque se clôture en apesanteur sur un atmosphérique Paco Alto qui s'élève bien au-dessus de la dernière poutrelle du plus haut des buildings américains. Sky Dancers est un album d'évasion que l'on vit comme un rêve éveillé.

[ Sky Dancers (CD & MP3) ]
[ A écouter : Mic Mac - Mapuche - Dakota Mab live au Triton, Les Lilas, 19/12/2015 - Sky Dancers (album complet) ]



Serge Lazarevitch, Nicolas Thys, Teun Verbruggen : Free Three Serge Lazarevitch, Nicolas Thys, Teun Verbruggen : Free Three
[Igloo]


1. One More Time (1:16) - 2. Mid Life Crisis (2:01) - 3. Cats In The Garden (4:31) - 4. One For Snowden (2:36) - 5. Keep Dancing In D (2:54) - 6. Through The Red Sands (2:45) - 7. Long Island City (3:51) 8. Drifting & Diving (2:12) - 9. Until Then (4:48) - 10. Rush Hour (1:36) - 11. Carla, Bill & Charlie (5:22) - 12. Strumming In C (3:28) - 13. Factory Dreams (2:06) - 14. Time To Wake Up (2:20) - 15. It Should Have Been A Normal Day (1:48) - 16. See You Later (6:27) - 17. Conversation With Rosetta (4:36)

Serge Lazarevitch (guitare); Nic Thys (contrebasse); Teun Verbruggen (batterie, effets électroniques). Sorti en avril 2016.

Depuis l'excellent A Few Years Later sorti en 1997 sur Igloo Records, le guitariste français Serge Lazarevitch a évolué hors des radars belges, ses activités plurielles s'étant principalement concentrées dans son pays d'origine où son nom est apparu bien souvent lié à des organismes prestigieux comme, entre autres, l'Orchestre National de Jazz, le Festival de Marciac, Radio France ou des conservatoires divers. Mais voilà qu'en 2015, il refait surface dans le plat pays pour donner quelques concerts, notamment avec Toine Thys et Ben Sluijs, alors qu'aujourd'hui sort ce nouvel album en trio avec le bassiste Nicolas Thys et le batteur Teun Verbruggen. Un disque judicieusement intitulé Free Three qui comprend dix-sept pièces courtes à géométrie variable tournant pour la plupart autour des trois minutes. Ce sont autant d'études où le guitariste aborde une grande variété de styles, se jouant des frontières musicales et créant, avec le soutien infaillible de ses deux complices, des mini-espaces colorés qui, mis bout à bout, finissent pas constituer une fougueuse épopée. Ainsi, d'un One More Time ou d'un Cats In The Garden très épurés et intimistes dans l'esprit d'un Bill Frisell à un Conversation With Rosetta où les boucles ne sont pas sans rappeler le style "ambient" expérimental de Robert Fripp, en passant par Rush Hour et ses giclées de guitare acide évoquant cette fois la fusion agressive d'un John Scofield, Lazarevitch fait le tour des possibilités de la guitare contemporaine sans pour autant transformer son disque en catalogue disparate. Car ce puzzle sonore dégage tout du long une sorte de limpidité, la musique coulant sans bavardage d'un titre à l'autre, faisant naître des souvenirs enfouis ainsi que des émotions aussi diverses que fugaces. Comme sur Drifting & Diving qui plonge l'auditeur en apnée dans une univers liquide ou sur It Should Have Been A Normal Day dont le thème terriblement nostalgique rend hommage aux victimes des récents attentats de Paris. Verbruggen fait crépiter sa batterie (littéralement sur One For Snowden et sur Factory Dreams) tandis que la contrebasse de Thys, d'une redoutable efficacité, suit le leader telle une ombre facétieuse (écoutez son solo sur Long Island City pour en savoir plus). Quant à Lazarevitch, sa guitare (une Telecaster?) a un son clair qui enchante et son travail sur les timbres rend la musique particulièrement expressive tout en tirant les différentes plages dans des directions imprévisibles. Certes, Free Three célèbre à sa manière la guitare et les guitaristes, mais c'est aussi avant tout un champ de découvertes dont les innombrables facettes mettent en relief l'immense potentiel créatif des musiques libres, improvisées et interactives.

[ Free Three (MP3) ] [ A Few Years Later (CD & MP3) ] [ Cover Art & Infos]
[ A écouter : Serge Lazarevitch sur Soundcloud - One More Time (Free Three + One live in Narbonne, 23/7/2014) ]



Manu Katché : Unstatic Manu Katché : Unstatic
[Anteprima Productions]


1. Introduccion (2:20) - 2. Unstatic (5:15) - 3. Flame & Co. (5:55) - 4. City (3:56) - 5. Blossom (5:48) - 6. Daze Days (4:33) - 7. Rolling (6:03) - 8. Ride Me Up (4:51) - 9. Trickle (4:23) - 10. Out of Sight (4:14) - 11. Presentation (3:19)

Manu Katché (dr), Jim Watson (claviers); Tore Brunborg (saxophones); Luca Aquino (trompette); Ellen Andrea Wang (contrebasse); Nils Landgren (trombone). Sorti le 11 mars 2016.

En préalable, il est bon de rappeler deux choses à propos de Manu Katché. La première est qu'il fut longtemps le batteur des stars comme Peter Gabriel, Sting, Tracy Chapman, Joni Mitchell ou Jan Garbarek mais que ça ne l'a pas empêché de créer sa propre musique. La seconde est qu'après un premier essai pop-rock encore impersonnel (It's About Time, 1992), il s'est rapidement imposé dans le monde du jazz en créant pour ECM une musique originale qui croise avec bonheur les subtiles mélodies glacées de la Scandinavie et les rythmes chauds hérités de ses ancêtres ivoiriens. Son nouvel album Unstatic ne fait rien d'autre que poursuivre dans la même veine sauf que le batteur compositeur a étoffé les ingrédients de son menu et essayé de nouvelles épices, ce qui est largement suffisant pour que l'on succombe une fois de plus à sa nouvelle production.

En effet, à son quartet de base incluant Jim Watson aux claviers, Tore Brunborg aux saxophones et Luca Aquino à la trompette, il a cette fois ajouté la jeune contrebassiste norvégienne Ellen Andrea Wang qui vocalise aussi avec le leader sur le mélancolique Blossom. Sa contribution est réjouissante surtout sur les compositions les plus rythmées qui n'auraient jamais sonné ainsi en son absence. Sur quelques morceaux comme City, Jim Watson troque ses claviers habituels (piano et orgue) contre un piano électrique Wurlitzer qui fit les beaux jours des années 60 (c'est avec lui que Ray Charles enregistra son fameux What'd I Say) et qui apporte un côté funky réjouissant. Mais la plus grande surprise du répertoire est d'avoir invité sur cinq morceaux le tromboniste et grand maître européen du jazz R&B, le Suédois Nils Landgren qui, en duo avec Aquino, constitue une mini section de cuivres, une première dans un album de Manu Katché. Son groove souple et naturel est immédiatement reconnaissable sur le titre éponyme, sur Rolling et sur Introduccion en forme de salsa. Sinon, le répertoire est d'une belle variété avec comme constantes la saveur des mélodies et la frappe stylée du leader, gorgée de soul, qui fait sonner la musique comme en rêvent tous les batteurs du monde. N'oublions pas de mentionner les rôles clés du saxophoniste Tore Brunborg, dont le jeu au départ très scandinave à la Garbarek s'affirme de plus en plus comme une voix originale, ainsi que du trompettiste italien Luca Aquino dont la sonorité veloutée, et parfois trafiquée, évoque au gré des plages aussi bien Tomasz Stanko, que Nils Petter Molvaer ou Paolo Fresu. Sur le dernier titre, Manu Katché présente ses musiciens un à un comme dans un concert. Une idée originale qui témoigne incidemment de sa fierté d'avoir à ses côtés un tel panel de talents. Savamment dosé sur le plan de l'énergie, des climats et des sonorités, Unstatic se révèle au final être l'un des projets les plus captivants de Manu Katché. Le genre de disque dans lequel on entre facilement et dont on a bien difficile à ressortir.

[ Unstatic (CD & MP3) ] [ Manu Katché sur Anteprima ]
[ A écouter : Unstatic (trailer) - Manu Katché Quintet live au Zéphyr (13/02/2016) ]



Si Tu Regardes Laurent Rochelle Okidoki Quartet : Si Tu Regardes
[Linoleum Records / L'Autre Distribution]


Morgen (6:33) - Airports (5:44) - Synchronicity (9:09) - Cevennes (7:28) - Echo Bird, Sing A Song To Me (8:53) - Okidoki Blues (1:34) - Okidoki (5:35) - Si Tu Regardes (9:02) - Zeit (7:05) - Le Temps Oublié (4:38)

Laurent Rochelle (clarinette basse, sax soprano, compositions); Anja Kowalski (voix, textes); Frédéric Schadoroff (piano, effets); Olivier Brousse (contrebasse); Eric Boccalini (batterie). Enregistré et mixé par Boris Béziat à Toulouse (France). Mastérisé par Pierre Jacquot à Paris. Sorti en 2016

Ouvert à diverses formes musicales, du classique au jazz en passant par l'école répétitive de Philip Glass, le saxophoniste et clarinettiste français Laurent Rochelle sort un premier disque de longue durée avec le quartet Okidoki auquel s'est jointe, pour trois titres sur dix, la chanteuse bruxelloise Anja Kowalski. Echappant aux habituels critères du jazz conventionnel, les compositions de Si Tu Regardes s'inspirent souvent de musiques modales basées sur des ostinatos sans pour autant tomber dans le piège d'un minimalisme robotique aux beats répétés à l'infini. Et puis d'abord, ici, tout est acoustique même dans ce genre de boucles que l'on confie habituellement à des synthétiseurs, si bien que la musique garde un côté organique même si elle louche avec envie sur un imaginaire cybernétique. Prenez le morceau Okidoki par exemple: son motif de clarinette basse débouche rapidement sur un groove échevelé, comme les machines n'en produiront jamais, qui rend possible de juteux échanges entre les quatre musiciens. Basse, batterie, piano et clarinette basse deviennent alors intriqués dans de foisonnants échanges qui montent en spirale et éclatent en feu d'artifice avant de retomber en finale, comme par magie, sur le motif initial. A l'autre bout du spectre, Morgen est une pièce réflective hantée par un texte déclamé en allemand par Anja Kowalski et où les notes de piano enveloppées par la réverbération apportent leur part de spiritualité éthérée avant qu'un imposant solo du leader n'occupe tout l'espace. Entre ces deux extrêmes, le programme offre toutes sortes de réjouissances comme le passionnant solo de clarinette basse sur la rythmique endiablée de Synchronicity, ou Airports dont les tourneries obsessionnelles évoquent la frénésie qui prévaut dans de ce genre d'endroit, ou encore le titre éponyme sur lequel le leader démontre dans une improvisation élégiaque qu'il maîtrise autant les subtilités du saxophone soprano que les basses fréquences de sa clarinette. Une mention spéciale doit être réservée au pianiste Frédéric Schadoroff très présent partout et qui captive aussi bien par son jeu néo-classique introduisant certains morceaux (Cevennes ou Zeit par exemple) que par son accompagnement efficace et ses improvisations fluides et inspirées où chaque note compte. Cet album séduit d'emblée pas seulement parce qu'il combine ambition et accessibilité ou qu'il regorge de belles mélodies mais aussi parce qu'il contribue à élargir la notion d'éclectisme en musique de jazz. A découvrir.

[ MP3 & CD sur Bandcamp ]
[ A écouter : Aurores (titre hors album) ]



River Silver Michel Benita and Ethics : River Silver
[ECM]


Back From The Moon (5:49) - River Silver (4:37) - I See Altitudes (5:54) - Off The Coast (6:13) - Yeavering (03:46) - Toonari (05:58) - Hacihi Gatsu (4:43) - Lykken (06:02) - Snowed In (06:21)

Matthieu Michel (bugle); Miyeko Miyazaki (koto); Eivind Aarset (guitare, électronique); Michel Benita (contrebasse); Philippe Garcia (batterie). Enregistré en avril 2015 à Lugano (Suisse). Sorti le 15 janvier 2016

Le bassiste français Michel Benita a formé son quintette Ethics en 2010 en réunissant autour de lui des musiciens d'origine et de style très différents: le guitariste norvégien Eivind Aarset subjugué par les sonorités électroniques et qui joua jadis avec Nils Petter Molvaer; La kotoïste japonaise Mieko Miyazaki; le trompettiste suisse Matthieu Michel qui a joué entre autre avec le guitariste Serge Lazarevitch; et le batteur Philippe Garcia qui collabora avec Benita aux albums d' Erik Truffaz. Une formation sans œillère donc, ouverte sur le monde avec toutes les possibilités que cela implique. River Silver, qui marque l'entrée d'Ethics chez ECM (mais pas celle de Benita qui a fait partie des projets d'Andy Sheppard sur le label berlinois), poursuit dans la même veine que celle de leur premier disque sorti en 2010: un jazz atmosphérique et voyageur qui se distingue par la fusion de timbres inédits résultant en de somptueuses et singulières textures. La musique coule comme la rivière du titre, serpentant au travers de cultures diverses qui sont phagocytées et intégrées dans le concept. Outre les mélodies originales écrites par le contrebassiste, le programme inclut une composition de la Japonaise pour basse et koto (Hacihi Gatsu); un titre folk de Kathryn Tickell, célèbre joueuse de cornemuse originaire de Northumbrie (Yeavering); et une ballade norvégienne du compositeur Eyvind Alnaes (Lykken). Enveloppé dans un léger voile électronique, rehaussé par une contrebasse en état de grâce, soutenu par une harpe japonaise à la sonorité mélancolique, le bugle de Mathieu Michel délivre d'amples et profondes phrases mélodiques qui mettent le monde à sa portée en totale apesanteur. Enregistré à l'Auditorio Stelio Molo RSI de Lugano dans des conditions optimales, River Silver est à nouveau l'une des très grandes réussites à mettre à l'actif de ce producteur visionnaire qu'est Manfred Escher.

[ River Silver (CD & MP3) ]
[ A écouter : Michel Benita & Mieko Miyazaki : Hacihi Gatsu (2010) - River Silver (teaser) - Michel Benita & Ethics : Haikool (live à Paris, Octobre 2010) ]



Hangosh Yochk'o Seffer, François Causse feat. Didier Malherbe : Hangosh (L'homme Primitif)
[Acel]


Hang J (4:54) - Titly (14:01) - Zongora (8:50) - Houlousi (5:07) - Enartloc (5:15) - Zeta « La ruche » (3:55) - Fajdalom (6:32) - Stella by Starlight (8:41)

Yochk'o Seffer (saxophone sopranino et ténor, Harmoniseur, piano, sculptures sonores); François Causse (hang, batterie, vibraphone, percussions); Didier Malherbe (houlousi et vents). Enregistré aux Studios FC, date non précisée. Sorti en février 2016

Le saxophoniste et multi-instrumentiste Yochk'o Seffer restera probablement dans l'histoire pour avoir successivement joué dans les années 70 avec Magma et Zao. C'est pourtant bien réducteur car, en dehors de ces deux formations cultes, Seffer a aussi participé à une multitude de projets, pour la plupart avant-gardistes, et enregistré sous des noms divers une soixantaine d'albums. Intitulé Hangosh (la voix de l'homme primitif, sujet d'un tableau de Seffer figurant dans le livret), ce nouveau disque, réalisé avec le percussionniste François Causse (Gong, Zao) et le souffleur Didier Malherbe (Gong) en invité, est à la hauteur des musiques hors normes pratiquées depuis plusieurs décennies par ces trois vétérans. Et évidemment, chaque pièce musicale est un voyage en soi sous-tendu d'une réflexion esthétique (après tout, Seffer est aussi peintre et sculpteur), sociale ou philosophique. Ainsi Hang J, superbe mélopée méditative jouée par un sopranino sur un tapis de percussions métalliques (obtenues à partir de cet instrument nommé hang récemment développé en Suisse), évoque-t-il sans peine la pensée immobiliste et sereine d'un Lao Tseu tandis que Houlousi, composé par Malherbe, invite à parcourir sur le dos d'un chameau cette mythique piste de la soie aux confins de deux mondes. Quant à Fajdalom dont les gammes modales et nostalgiques renvoient à la Hongrie, c'est un hommage aux racines et au folklore du pays d'origine de Seffer, ainsi qu'à la langue magyare comme point d'appui pour sa propre évolution. En plus du saxophone, le leader y joue aussi du piano, improvisant des notes qui cristallisent en une fascinante structure sonore aux formes imprécises. Mais le programme comprend aussi de multiples références aux aînés, ceux qui ont nourri l'imaginaire du musicien à travers plusieurs décennies: John Coltrane avec la ballade Enartloc dont le développement est basé sur l'harmonie cyclique de Giant Steps; Béla Bartok avec Zongora qui inclut un vertigineux maelstrom musical; Ornette Coleman avec La Ruche et ses trois saxophones ténors superposés; et enfin la tradition du jazz en général avec Stella By Starlight, ce standard de Victor Young datant de 1944 dont on reconnaît les accords au piano mais qui finit par se perdre dans une improvisation inédite. De la Zeuhl progressiste au free jazz en passant par les musiques ethniques, il n'y a guère de sonorités auxquelles Yochk'o Seffer soit imperméable. Aujourd'hui comme hier, toujours vif et bondissant, il continue avec ses valeureux complices à faire jaillir de brûlantes et imprévisibles beautés.

[ Hangosh (L'homme Primitif) (CD & MP3) ]
[ A écouter : Y. Seffer / F. Causse/ D. Malherbe : Kuruk (extrait) - F. Causse/ D. Malherbe/ Y. Seffer : Hangos (extrait) ]



Yvonnick Prene : Breathe
[Indépendant]


Blues Comes Down The Seine (5:47) - Looking Up (7:33) - Breathe (5:14) - Got To Go (5:38) - Mr Tix (5:14) - The Comedian (5:14) - Armorica (5:05) - As Night Falls (4:50)

Yvonnick Prene (harmonica); Peter Bernstein (guitare); Jared Gold (orgue); Allan Mednard (drums). Enregistré le 20 décembre 2015 au Trading 8S Studio, New Jersey. Sorti en février 2016

Sorti en 2015, Merci Toots permettait d'entendre l'harmoniciste Yvonnick Prene dans la plus simple des configurations: un harmonica et une guitare. Cette approche dépouillée bénéficiait toutefois à l'harmoniciste dont on pouvait entendre parfaitement toutes les inflexions les plus subtiles. En comparaison, Breathe offre une musique aux textures plus riches, et plus moirées aussi. C'est que le leader et son harmonica chromatique sont ici partie intégrante d'un quartet de musiciens talentueux basés à New York incluant le guitariste Peter Bernstein (qui a joué régulièrement avec Brad Mehldau, Larry Goldings et Joshua Redman), l'organiste Jared Gold (spécialiste du Hammond B3), et le jeune batteur Allan Mednard (membre des quartets de Aaron Parks et Kurt Rosenwinkel). Grande nouveauté également par rapport au disque précédent qui ne comportait que des reprises, tous les thèmes sauf deux sont de la plume de Yvonnick Prene. Et sur ce point, il convient de bien souligner que, non seulement, ses mélodies sont fluides et attachantes mais aussi que ses sources d'inspiration sont particulièrement diversifiées: du léger Armorica en forme de bossa nova nonchalante et ensoleillée au groovy Mr Tix avec son orgue alerte, en passant par le calypso de The Comedian qui évoque la joyeuse ritournelle du St Thomas de Sonny Rollins, ça joue avec enthousiasme, télépathie et beaucoup de classe. Quant aux deux reprises, Got To Go de Monty Alexander et Looking de Michel Petrucciani, elles complètent judicieusement un programme sans faute de goût. Impeccablement mixé et produit, Breathe est un album séduisant qui confirme les qualités d'instrumentiste d'Yvonnick Prene, harmoniciste expressif et souvent émotionnel dans la ligne d'un Toots Thielemans, mais qui cette fois met aussi en exergue un réel talent de compositeur.

[ Yvonnick Prene Website ]
[ A écouter : Breathe ]



Stanley Clarke / Biréli Lagrène / Jean-Luc Ponty : D-Stringz
[Impulse!]


Stretch (3:30) - To and Fro (6:18) - Too Young to Go Steady (7:30) - Bit of Burd (3:30) - Nuages (5:17) - Childhood Memories (Souvenirs D'enfance) (5:40 ) - Blue Train (6:15) - Paradigm Shift (6:49) - Mercy, Mercy, Mercy (6:33) - One Take (4:00)

Stanley Clarke (b) - Biréli Lagrène (gt) - Jean-Luc Ponty (violon). Enregistré du 24 au 27 août 2014. Sorti en novembre 2015

L'année 2015 aura été fertile pour le violoniste Jean-Luc Ponty qui, en plus de collaborer avec l'ancien chanteur de Yes, Jon Anderson, a aussi participé à cette session organisée avec le bassiste légendaire Stanley Clarke et le guitariste Bireli Lagrene. Dans la lignée de The Rite Of Strings (1995), également joué en trio par Ponty et Clarke mais avec Al Di Meola comme troisième larron, cet album acoustique enregistré à Bruxelles offre l'occasion d'échanges inspirés et parfois enflammés entre les trois vedettes. Le seul reproche que l'on peut faire ici est que le répertoire n'offre guère de surprises. A l'exception d'un nouveau titre écrit par Jean-Luc Ponty, tous les morceaux du répertoire sont soit des standards très connus (comme Blue Train de Coltrane, Mercy Mercy Mercy de Joe Zawinul, la ballade Too Young To Go Steady immortalisée par Coltrane, ou l'incontournable Nuages de Django Reinhardt), soit des reprises de compositions écrites par l'un des membre du trio mais déjà interprétées auparavant dans d'autres contextes comme le très beau Paradigm Shift de Clarke qui figurait sur son Jazz In The Garden avec Hiromi et Lenny White; Stretch de Lagrene issu de ses années Blue Note (Acoustic Moments, 1990); et To And Fro de Ponty qui est la dernière plage de son disque The Acatama Experience (2007). Sinon, le style global est un jazz post-bop accessible sur lequel les trois complices conversent avec une déconcertante agilité. La touche exotique autrefois apportée par la tendance au flamenco d'Al Di Meola est ici assurée par l'inclination naturelle de Bireli Lagrene vers le jazz manouche (comme sur Stretch et, bien sûr, Django) et c'est un régal d'entendre les lignes de basse de Clarke s'immiscer avec bonheur dans ce style qui lui est probablement moins connu. Au total, D-Stringz qui n'offre rien de bien neuf, reste quand même un disque très agréable à écouter d'autant plus que la qualité sonore est d'une perfection quasi absolue.

[ D-Stringz (CD & MP3) ]
[ A écouter : D-Stringz (teaser) ]



Antoine Hervé : Complètement Stones
[RV Productions / Distribution Harmonia Mundi]


Can't You Hear Me Knocking (5:12) - Honky Tonk Women (7:22) - Angie (3:57) - I Can't Get No Satisfaction (4:27) - As Tears Go By (3:15) - Factory Girl (4:58) - You Can't Always Get What You Want (4:20) - Wild Horses (6:09) - Sympathy For The Devil (4:07) - Backstreet Girl (5:02) - Ruby Tuesday (4:15) Paint In Black (5:51)

Antoine Hervé (piano) - François Moutin (contrebasse) - Philippe « Pipon » Garcia (batterie). Enregistré au Studio de Meudon (France) en novembre 2014. Sorti en avril 2015

Si les chansons des Beatles, aux mélodies plus sophistiquées, ont connu de multiples interprétations en jazz, celles des Rolling Stones, en dépit de l'intérêt de leur batteur Charlie Watts pour cette musique, n'ont guère servi de tremplin à des jazzmen. Trop simples? Trop basiques? Peut-être, mais le fait est que garder l'impact et l'énergie des tubes de Jagger-Richards tout en offrant des versions alternatives suffisamment intéressantes pour l'amateur de musique improvisée nécessite un important travail préalable d'altération des rythmes et des harmonies, voire des mélodies. C'est-ce qu'a tenté avec bonheur le pianiste Antoine Hervé, compositeur érudit et improvisateur talentueux qui, dans les années 80, dirigea l’Orchestre National de Jazz alors qu'il n'avait que 28 ans.

Débuter ce disque par Can't You Hear Me Knocking de l'album Sticky Fingers est déjà une bonne idée : c'est quasiment le seul morceau des Stones qui inclut une longue et véritable improvisation (initialement jouée par le saxophoniste Bobby Keys suivi du guitariste Mick Taylor) et qui se prête donc sans grand changement à un traitement jazz. Hervé et ses complices, le contrebassiste François Moutin et le batteur Philippe Garcia, en conservent le groove un peu ralenti et s'en donnent à cœur joie dans une interprétation funky totalement festive. Honky Tonk Women est également une belle réalisation qui parvient à transmettre avec force le seul dénominateur commun existant entre le rock des stones et sa version jazz : le blues qui tombe comme la grêle en même temps que les accords vigoureux plaqués sur le piano. On attendait toutefois le trio au tournant sur les reprises de ces slows qui furent jadis des tubes populaires calibrés pour les radios. Mais As Tears Go By, Angie, Backstreet Girl et Ruby Tuesday ont été détournés avec grâce et prennent d'autres couleurs tout en conservant suffisamment du charme vintage des mélodies originales pour activer la mémoire. On est ici bien loin d'une simple relecture agrémentée de quelques chorus. Et si Sympathy For The Devil sonne un peu trop enjoué face à l'épopée tribale et maléfique qui ouvrait Beggars' Banquet, Wild Horses, à l'origine une chanson country, se transforme dans son interprétation en piano solo en une ballade saturnienne de toute beauté. Enfin, introduit par la contrebasse véloce de Moutin qui va aussi s'approprier le thème et jazzifié ensuite en une composition élégante et pleine de swing, c'est un étonnant Paint It Black décalé qui referme de bien belle manière un album dont la réussite est d'autant plus remarquable que le pari de faire du jazz avec les Stones était osé voire scabreux. Ecoutez ce disque: les titres en sont connus mais la musique est à découvrir! [P. Dulieu]

[ Complètement Stones (CD & MP3) ]
[ A écouter : Can't You Hear Me Knocking (live au CC Juliobona, Lillebonne, 13/01/2015 - As Tears Go By (album version) ]



Déambulations Jean-Paul Daroux Quartet : Déambulations
[ACM Jazz]


Vent d'Est Dans les Vignes (4:55) - Sur les Traces du Promeneur Silencieux (5:37) - La Véritable Histoire d'Ernesto Guevara (5:17) - La transe de la Chenille Velue (6:33) - Déambulations Nocturnes (8:13) - What After the Sea (5:09) - The Eternal Question (4:35) - Deep Diving (5:32) - Doux Parfum d'Ecume (3:54) - Carnaval au Père Lachaise (3:48)

Jean-Paul Daroux (piano et compositions), Samy Thiébault (saxophone, flûte), Benjamin Moine (contrebasse), Gilles Le Rest (batterie). Sorti en Juin 2015

L'album s'ouvre sur une pièce tranquille à laquelle son compositeur, Jean-Paul Daroux, a attribué un intitulé poétique : Vent d'Est Dans les Vignes. Un nom qui va bien à cette musique au lyrisme feutré faisant affluer des images pastorales et des dégradés de couleurs printanières. Dans son chorus, le saxophone de Samy Thiébault virevolte comme une abeille en gardant tout du long une sonorité douce tandis que le pianiste qui lui succède renforce cet impressionnisme sonore qui ravira les amoureux des coteaux verts et des vendanges. Attiré dans sa prime jeunesse par Debussy, Jean-Paul Daroux en a manifestement gardé une lointaine appétence pour le sensoriel qui l'amène à traduire en notes des images, des couleurs et des émotions. Il y associe dans cette nouvelle production un sens du mouvement, concrétisé par le jeu fluide et vivace du saxophoniste, qui met en relief un goût pour les voyages en général et sur la mer en particulier. Ainsi, Parfum d'Ecume affiche la quiétude d'une paisible promenade marine. Les musiciens se concentrent sur l'essence d'une élégante mélodie qui respire le grand large tandis que Samy Thiébault souffle dans sa flûte avec la sereine évidence d'un navigateur au long cours. Dans la même veine expressive à dominante maritime, What After the Sea confirme la capacité du quartet à ouvrir des espaces qui font rêver.

Les mélodies sont particulièrement soignées et beaucoup sont remarquables comme celle de La véritable Histoire d'Ernesto Guevara qui recèle en son cœur un drôle de parfum latin un peu trouble et nostalgique collant comme un gant à l'image ambiguë du grand révolutionnaire. Et sur La transe de la Chenille Velue, stratégiquement placé au centre du compact, le quartet s'envole en rompant l'harmonie d'un répertoire globalement plus propice à dépayser qu'à étourdir. Ici, le piano devient plus syncopé et le saxophone plus coltranien tandis que la rythmique, composée de Benjamin Moine à la contrebasse et de Gilles Le Rest à la batterie, dévoile son potentiel dans un registre plus dynamique. Tout cela est fort bien rendu par un enregistrement et un mixage attentifs qui ont su préserver les nuances, la balance et les belles sonorités acoustiques des instruments En fin de compte, Déambulations est un titre parfaitement approprié à cette musique belle et accessible dont on ne peut qu'être heureux d'en avoir partagé les moments de grâce. [P. Dulieu]

[ Déambulations (CD & MP3) ]
[ A écouter : Vent d'Est Dans les Vignes (extrait) ]




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