Le Jazz s’est tellement élargi que, hormis les parties improvisées, il n’a parfois plus grand-chose à voir avec le swing, la soul, le funk ou le blues qui sont à l’origine du genre. La musique de Pirly Zurstrassen (c’est lui qui a composé l’entièreté du répertoire de cet album) prend sa source ailleurs et, bien que celle-ci se situe incontestablement en Europe, elle n'est pas facile à localiser. Une ritournelle populaire ici, un peu de folklore d'Europe centrale plus loin, une ébauche de jazz de chambre, un début de bal musette, une mélodie orientale qui se replie sur elle-même … les ondes sonores prennent l’air, s’éparpillent dans tous les sens et bonne chance à l’entomologiste qui pense pouvoir les rattraper. Commencez par Taratatarentelle pour avoir une idée : sur un air de danse, le piano, la clarinette, l’accordéon, le sax et le violon s’entrelacent, font la fête et tournoient comme des volutes de fumée dans l’air azur. Alexandre Cavalière prend un solo de violon rempli de toute cette nostalgie dont on le sait capable tandis que les frontières s’estompent. Subsiste alors une ambiance joyeuse qui place l’auditeur en apesanteur. Aucun exotisme de pacotille ici, tout semble neuf même si l’on devine que les artistes ont laissé les portes grandes ouvertes et que leur nourriture est multiculturelle. Les musiciens se connaissent parfois depuis longtemps : Daniel Stokart et Piet Verbist jouaient déjà avec Zurstrassen en 1992 au sein du H Septet (Hautes Fagnes) tandis que Kurt Budé et Zurstrassen cohabitent au sein du Musica dal Vivo depuis 2003. Pas étonnant que ce septet montre une telle cohésion et une si étonnante vivacité : écoutez Colchide avec ses percussions en intro, la vibration de la contrebasse, le piano égrenant la mélodie, le sax aux accents mélancoliques, le violon qui butine et l’orchestre tout entier qui se met à vibrer comme une castagnette andalouse. Quel crescendo ! Quelle finesse ! Quelle imagination surtout ! Tous les titres sont passionnants et aptes à stimuler l’imaginaire. Et quand l’album se referme sur le piano si expressif de cet envoûtant Rappel qui se tord sur lui-même tel un ruban de Möbius, on a l’impression d’avoir glissé au bord d’une longue trajectoire imprévisible. Qu’on le veuille ou pas, ce siècle est celui de la musique dématérialisée et de l’œcuménologie des genres. Musicazur enregistre encore des compacts mais il a choisi de ne plus entretenir de rapports étroits avec une quelconque forme musicale et de flotter à sa guise dans le grand large d’un univers esthétique non codifié. Si vous vous sentez un jour à l’étroit chez vous, allez donc prendre l’air avec cette musique dans les oreillettes : Zurstrassen et ses potes ont trouvé une recette magique qui rend le pas léger et met les cœurs en fête.
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