L'Art Progressif : les plus belles pochettes de disques


- Partie VI -


[ Partie I - Partie II - Partie III - Partie IV - Partie V - Partie VII ]


Genesis : Foxtrot

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Des cavaliers sociopathes

Agé de 27 ans, l'illustrateur Paul Whitehead a déjà derrière lui les pochettes de Trespass et de Nursery Cryme quand il aborde celle du quatrième disque de Genesis : Foxtrot. Comme d'habitude, Paul s'investit à fond dans le projet en organisant des réunions avec le groupe avant de finaliser sa peinture à l'huile. Si Nursery avait pris pour thème le jeu du croquet (dont un rappel figure en miniature au verso de la pochette du nouvel album), Foxtrot adopte plutôt celui de la chasse au renard, une autre activité emblématique de l'aristocratie britannique.

Au verso, les quatre cavaliers (inspirés par ceux de l'Apocalypse citée dans Supper's Ready) ont poursuivi la renarde jusqu'à la rive mais cette dernière s'est réfugiée sur une banquise. La scène est fort ambiguë en ce qu'elle décrit plutôt une chasse à l'homme avec quatre sociopathes masqués à la Orange Mécanique traquant une pauvre jeune fille affublée d'une robe rouge et d'un masque de renard. On notera que le cheval le plus à droite est terriblement excité à la vue de la fille-renarde : un détail bien caché qui a dû échapper aux censeurs de l'époque pourtant particulièrement actifs aux Etats-Unis.

D'autres éléments issus de l'univers du groupe ont été ajoutés comme la plante (Hogweed) et le maillet flottant sur l'eau, ou les hommes saints marchant sur la pelouse (Super's Ready) mais aussi des symboles divers dont la signification reflète des préoccupations plus générales : les dauphins pour la sensibilisation à la pollution, le sous-marin nucléaire pour protester contre la présence de la flotte navale américaine au large des côtes d'Écosse… etc.

En général, les designers et artistes s'inspirent de l'univers des musiciens pour créer leurs pochettes mais dans ce cas, l'échange s'est fait dans les deux sens. Ainsi, bien que la chasse au renard ne soit jamais évoquée dans Foxtrot ni dans The Musical Box, Peter Gabriel apparut sur scène le 28 septembre 1972, soit près de 3 mois après la sortie de l'album, en portant un masque et une robe rouge empruntée à sa femme Jill dans une interprétation mémorable du personnage équivoque de la fille-renarde.

La pochette n'a pas été bien acceptée par les membres du groupe qui l'ont trouvée nettement moins réussie que les précédentes. La couverture du disque suivant, Selling England By The Pound, ne lui sera d'ailleurs plus confié quoique Paul Whitehead explique plutôt ce désistement par son déménagement en Californie qui l'aurait empêché de travailler à nouveau avec le groupe. Une dernière chose : les trois peintures originales, réalisées par Paul Whitehead pour Genesis, ont été volées lorsque Charisma a été vendu à Virgin dans les années 80. Depuis, elles ont disparu. Mais récemment, l'illustrateur les a repeintes à nouveau : c'est à ma connaissance le seul cas dans l'histoire du disque où des pochettes d'albums ont été refaites une seconde fois à l'identique par leur concepteur.
Francesca Sundsten pour King Crimson

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Les étranges créatures de Francesca Sundsten

L'artiste américaine Francesca Sundsten est décédée le 7 août 2019 à l'âge de 59 ans. Elle est l'auteur de peintures étranges, en général des portraits, qui se distinguent par une présence et un réalisme proches des œuvres de la Renaissance. Incidemment, elle était mariée à Bill Rieflin, un batteur de Seattle qui joua longtemps avec R.E.M. avant de rejoindre en 2014 la nouvelle mouture à trois batteries de King Crimson. C'est aussi à partir de cette date que Francesca Sundsten fut choisie pour représenter l'univers visuel du groupe aussi bien sur les pochettes des disques que sur les posters annonçant les tournées.

Dans ce cadre, elle réalisa notamment le fameux cyclope du coffret Radical Action to Unseat the Hold of Monkey Mind. Cette créature fantastique, mais qui semble pourtant bien réelle, interpelle celui qui la regarde d'autant plus que le costume classique ainsi que la présence de fumée et d'une cigarette déposée dans un cendrier accentuent l'impression de réalisme. Il ne faut pourtant y voir aucun message particulier : à un journaliste qui lui posa un jour la question "pourquoi cette cigarette ?", Francesca répondit laconiquement "parce qu'il fume". Surgi de l'inconscient de l'artiste, le cyclope est juste là, telle un être possible qui vous regarde droit dans les yeux, inconscient de sa propre étrangeté et avec l'air de penser "qu'est ce qu'il y a de bizarre et pourquoi me regardez-vous ainsi ?"

Avec Francesca Sundsten, Robert Fripp avait à nouveau trouvé une grande artiste capable de représenter visuellement une partie de sa musique. Il est bien dommage que sa disparition prématurée ait mit fin aussi rapidement à cette récente et brillante association. R.I.P. Francesca Sundsten.

Van Halen : 1984

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Le paradis selon Van Halen

Les pochettes les plus réussies sont définitivement celles qui expriment avec force soit l'esprit de la musique trouvée à l'intérieur, soit une attitude liée aux musiciens qui l'interprètent. En ce sens, cette pochette du sixième album de Van Halen sorti en 1984 est une totale réussite d'ailleurs devenue iconique et célébrée dans le monde entier (elle figure entre autres dans la liste des 100 plus belles pochettes de tous les temps, publiée par Rolling Stone Magazine).

Elle a été créée par l'artiste Margo Nahas qui avait déjà travaillé à l'époque sur quelques pochettes célèbres notamment pour Stevie Wonder (The Secret Life Of Plants) et Fleetwood Mac (Tusk). Le groupe lui avait en fait commandé un autre dessin totalement différent que Margo refusa de faire pour des raisons techniques mais en tombant par hasard sur cette image dans le portfolio de l'artiste, Eddie Van Halen, son frère Alex, David Lee Roth et leur manager optèrent pour elle à l'unanimité.

On peut penser que les deux chérubins espiègles et décontractés au bas de la Madone Sixtine de Raphaël fut une source d'inspiration mais Margo Nahas travailla plutôt à partir d'un modèle réel : l'enfant d'un ami, âgé de deux ans (dont on peut voir une photo sur le site CoverOurTracks), coiffé comme une rock star et à qui elle donna des cigarettes en chocolat. Une fois son modèle peint, elle ajouta un ciel bleu et dessina quelques nuages, la table en marbre et les ailes pour donner à l'image un aspect céleste.

Ce dessin une fois rendu public connut un succès immédiat. Certains y ont vu à tort une photo de David Lee Roth petit. Mais ce n'est qu'un angelot aux yeux bleus à l'air à la fois innocent et malicieux, peut-être déjà corrompu par le rock'n'roll, qui fume une cigarette en se soustrayant au regard de Dieu.
Dream Theater : Train Of Thought

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Le mauvais oeil

L'image mystérieuse de Train Of Thought est empruntée à l'un des grands photographes du siècle : Jerry N. Uelsmann, né à Détroit en 1934. Uelsmann est connu pour ses montages photographiques ambigus qui déforment la réalité en juxtaposant des scènes ou des objets reconnaissables mais n'ayant apparemment aucune relation entre eux. Celle au recto de la pochette est d'ailleurs un hommage à Max Ernst (1891-1976), peintre d'origine germanique qui fut le précurseur du Surréalisme.

D'autres photographies célèbres de Uelsmann sont reproduites à l'intérieur du livret, toutes dans le style de l'artiste : des combinaisons de personnages, de mains, d'arbres, de nuages, de châteaux de sable et autres éléments qui composent des fresques fantasques en noir et blanc plus insolites les unes que les autres. Le plus étonnant est que ces juxtapositions sont construites sans recours à l'ordinateur mais plutôt par un travail d'alchimiste en chambre noire considérée par l'artiste comme un véritable laboratoire de recherche audiovisuelle.

Ces tableaux singuliers provoquent une réaction immédiate chez ceux qui les regardent. En choisissant ces images pour illustrer leur disque, Dream Theater n'aurait pu faire un meilleur choix : elles transportent le futur auditeur dans un monde parallèle, inconnu, menaçant et le placent instantanément dans un état émotionnel qui le rend beaucoup plus réceptif à la musique sombre qui va s'emparer de lui. Avec celle du premier album de Black Sabbath, cette pochette maléfique constitue sans doute ce qu'on a fait de mieux dans le genre.

[ Le site de Jerry N. Uelsmann ]
Led Zeppelin I

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Rocket ou gros ballon

La réalisation de la pochette de Led Zeppelin I fut confiée à George Hardie, un designer qui travaillera plus tard avec Hipgnosis pour The Dark Side of the Moon et Wish You Were Here. Mais en 1968, Jimmy Page voulait une image du Hindenburg prise durant la catastrophe de mai 1937 quand le dirigeable explosa en flammes à son arrivée à Lakehurst, New Jersey, après un vol atlantique. Page se fixa sur la célèbre photo de Sam Shere mais dans son esprit, nul doute que le dirigeable devait ressembler davantage à une rocket surgissant des flammes qu'à un gros ballon en forme de cigare s'écrasant au sol.

Hardie ne trouvait pas l'idée géniale et tenta bien de proposer quelques dessins alternatifs mais, le guitariste n'en démordant pas, il dut se résoudre à suivre sa vision. Pour éviter les problèmes juridiques, il fit une copie du cliché à l'encre noire. L'image fut adoptée par Page alors même que le nom du groupe n'avait pas encore été trouvé. Ce dernier ainsi le logo du label Atlantic seront ajoutés plus tard dans une belle couleur turquoise tranchant sur le noir et blanc du dessin. C'est ainsi que sortit le premier pressage de Led Zeppelin I, tiré à moins de 2000 exemplaires avant que quelqu'un ne décide que l'orange conviendrait mieux que le turquoise. La pochette fut donc modifiée avant d'être réimprimée dans une seconde version qui est celle que la plupart connaissent. Les disques de la première version "turquoise" devenus très rares sont aujourd'hui estimés à environ 2000 euros par les collectionneurs.

L'album sera réédité à de multiples reprises au fil des ans mais sans plus jamais que le visuel n'en soit changé sauf en 2014, pour la version Deluxe dont le verso est affublé du même graphisme en négatif. Quant à George Hardie, il a déclaré que cette pochette pourtant célèbre, pour laquelle il fut payé 60 dollars, n'avait rien de spécial ni rien d'assez original pour qu'il s'en glorifie. Il arrive parfois qu'on ne mesure pas l'importance de garder les choses simples !
Lasse Hoile : Muzak

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Lasse Hoile pour Porcupine Tree

Pour assoir son image, Steven Wilson, comme beaucoup d'autres artistes avant lui, s'est assuré les services d'un graphiste/photographe/cinéaste capable de donner une identité visuelle à son univers musical. Le Danois Lasse Hoile vient de publier un album retraçant ses huit années de travail avec le groupe prog le plus célèbre depuis la renaissance du genre dans les années 90 : Porcupine Tree.

Présentées hors de leur contexte musical, ces images parfois horrifiques interpellent, et dérangent même, mais leur beauté noire n'échappera à personne. Ce luxueux recueil intitulé Muzak réunit beaucoup de clichés rares ou inédits à côté d'autres plus connus comme ceux des pochettes de Deadwing ou Fear Of A Blanket Planet ainsi que des interviews et des détails techniques. Le monde de Lasse Hoile, qui se met parfois lui-même en scène comme sur la pochette d'In Absentia, est certes étrange et sombre mais nul ne niera qu'il représente à merveille les tourments que Steven Wilson, avec ou sans Porcupine Tree, excelle à décrire dans ses chansons.

Muzak: The Visual Art of Porcupine Tree, 240 pages. Tree Flood Gallery Publishing (10 Juin 2019)
Paul Is Live

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Alléluia ! Paul est bien vivant !

A la fin des 60's, une rumeur se répandit que Paul McCartney était mort en 1966 dans un accident de voiture et qu'il avait été remplacé par un sosie. La pochette d'Abbey Road en 1969 transforma cette rumeur en légende urbaine : certains y ont vu John Lennon, de blanc vêtu, en saint homme ; Ringo avec son costume noir en ordonnateur de pompes funèbres ; et George Harrison en fossoyeur. Le défunt étant Paul McCartney qui marche pieds nus en décalage avec les autres et tient une cigarette a la main droite alors qu'il est gaucher. Quant à la plaque de la VW, elle est censée indiquer que Linda McCartney Pleure (LM Weeps) et que Paul aurait eu 28 ans s'il avait vécu (28IF).

Mais en 1993, pour son splendide album live enregistré pendant la tournée Off The Ground, Paul McCartney décida de revenir sur cette pochette. Il demanda alors à l'artiste Erwin Keustermans de retoucher l'une des photos originales de la session Abbey Road selon ses indications. Les Beatles furent d'abord gommés de l'image. La plaque de la VW fut modifiée pour indiquer que Paul est bien vivant et était alors âgé de 51 ans (51IS). Enfin un nouveau cliché fut pris avec Paul promenant Arrow, un descendant de sa fameuse chienne Martha (Martha My Dear), qui seront coupés-collés via Photoshop sur l'image originale modifiée. Cette fois le "Beatle" est bien chaussé, marche en phase et tient la laisse à la main gauche.

Et pour ceux qui n'auraient pas encore compris, ce double album enregistré en concert est intitulé Paul Is Live qu'on peut aussi comprendre comme « Paul est vivant ». Ainsi prit fin une bonne fois pour toutes le plus étrange et morbide des canulars montés, avec l'assentiment de l'intéressé, à propos d'un musicien populaire.
The Lamb Lies Down On Broadway

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Comment Peter Gabriel est devenu punk

Pour la première fois dans leur longue histoire de designers, Storm Thorgerson et Aubrey Powell de la firme Hipgnosis furent pris de court. The Lamb Lies Down On Broadway était leur première commande pour Genesis et ils souhaitaient mettre toute leur créativité au service du groupe mais les spécifications de Peter Gabriel qui, à l'époque, avait tendance à tout contrôler, furent tellement nombreuses et précises qu'ils n'eurent pas le choix : il ne leur restait que l'option de réaliser un storyboard avec des vignettes illustrant les diverses scènes de l'histoire, juste comme on le fait pour préparer un film. Excepté le fait que dans ce cas, les dessins furent remplacés par des photographies en noir et blanc prises dans des caves et souterrains de Londres avec un modèle nommé Omar dans le rôle de Rael, le jeune artiste portoricain des rues de New York qui annonçait déjà la vague punk.

Toutefois, les hommes d'Hipgnosis ont quand même introduit une grande idée, celle de faire sortir Rael du cadre de la dernière photo à droite, en y laissant une empreinte blanche, de façon qu'il puisse revenir contempler les photos précédentes ou, si l'on veut, des moments de sa vie passée. On reconnaît dans les différentes vignettes, Rael paniqué par le son des bris de verres (The Waiting Room), Rael dans les rapides (Riding the Scree / In The Rapids), le corridor de The Carpet Crawlers … Etc.

L'album est dense, crypté et marque, par sa musique comme par sa pochette, une nette rupture avec les disques précédents. L'insistance de Peter Gabriel à écrire tous les textes lui-même entraîna des frictions avec les autres musiciens d'autant plus que ses problèmes personnels l'empêchèrent d'y travailler de façon constante. Mais il était déjà parti dans un autre univers où Genesis n'avait plus sa place. D'après Thorgerson, la pochette, tout comme l'œuvre elle-même, fut compliquée et longue à réaliser. Mais surtout, il est impossible de la comprendre ou de l'apprécier si l'on n'a pas exploré en détail les péripéties de cette fable surréaliste et inachevée … qui, globalement, est restée hermétique à la plupart des gens (même le célèbre journaliste Chris Welsh, pourtant un des plus ardents défenseurs du groupe, la qualifiera d'éléphant blanc). Quant à Peter Gabriel, il a en tout cas été satisfait du travail d'Hipgnosis qui a été réengagé pour réaliser les pochettes de ses trois premiers albums en solo.
In Rock

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Gillan et Blackmore présidents !

Deep Purple n'était pas le genre de groupe à se soucier des pochettes de ses albums. Aussi, pour In Rock, ce fut leur manager Tony Edwards qui s'en occupa. Son idée fut de surimposer les têtes des musiciens sur celles des présidents américains sculptés dans le rocher du Mont Rushmore, soit dans l'ordre de gauche à droite : Ian Gillan pour George Washington ; Ritchie Blackmore pour Thomas Jefferson ; Jon Lord pour Theodore Roosevelt ; et Roger Glover pour Abraham Lincoln. Quant à Ian Paice, son visage serait ajouté à droite des quatre autres. Pour réaliser sa vision, Tony Edwards s'adressa à la firme de designers londonienne Nesbit, Phipps and Froome.

Un cliché du Mont Rushmore fut d'abord sélectionné dans des archives photographiques. Ensuite des photos furent prises des cinq membres de Deep Purple. Leurs têtes furent découpées et, après manipulation des couleurs pour obtenir celle de la roche, collées sur la photo agrandie du Mont Rushmore. Une fois les raccords peints, un ciel bleu-pâle a été retenu comme fond tandis que le nom du groupe et le titre de l'album furent également dessinés à la main sur le collage final. Il ne restait plus ensuite qu'à rephotographier le résultat de ce travail entièrement manuel.

Sans doute par manque de temps, le recto de la couverture fut reproduit à l'identique au verso, ce qui est rare dans le cas d'une pochette double tandis que l'intérieur est beaucoup plus banal avec un fond noir, du texte et des clichés en noir et blanc des musiciens.

L'impression de la pochette fut confiée à la célèbre firme britannique Garrod & Lofthouse Ltd, une des rares à pouvoir garantir la conformité des couleurs. Il en est résulté une couverture laminée double dont l'impact à sa sortie dans les bacs fut extraordinaire : jamais une pochette de rock n'avait représenté avec autant de force et de simplicité la puissance monumentale d'un groupe dont l'influence s'étendra à travers plusieurs décennies de musique populaire. A part deux autre pochettes moins réussies pour Deep Purple (Burn et la compilation 24 Carat Purple), la firme Nesbit, Phipps and Froome n'a jamais retravaillé dans le monde de la musique. Quant au manager Tony Edwards, décédé en 2010 et qui travailla pour Deep Purple de 1967 à 1976, on peut imaginer qu'il fut aussi à l'origine de quelques bonnes idées pour d'autres pochettes du groupe.
We're Only In It For The Money

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Frank Zappa contre les Beatles

A la fin des années 60, Zappa était un révolutionnaire qui n'hésitait pas à aller à contre-courant du système et ne se gênait pas non plus pour lancer des critiques acerbes sur à peu près tout, comme sur le mouvement hippie ou sur les Beatles dont il estimait qu'ils n'étaient motivés que par l'argent. Avec l'humour potache qui deviendra sa signature, Il attaqua d'ailleurs de front ces deux institutions en 1968 dans l'album We're Only In It For The Money des Mothers of Invention. Avec des titres comme Who Needs The Peace Corps ?, Take Your Clothes Off When You Dance ou Flower Punk, le disque entier est une critique sarcastique du flower power. Quant à la pochette en forme de parodie du Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, elle fut réalisée en juillet 1967 à New York par le photographe Jerry Schatzberg, choisi parce qu'il avait photographié les Rolling Stones en drag queens pour le 45 tours Can You See Your Mother, Baby, Standing In The Shadows ?

Toutefois, contrairement à celle des Beatles, la pochette de We're Only In It For The Money montre, en plus des Mothers habillés en drag queens et de leurs mannequins, un certain nombre de célébrités bien réelles posant au milieu d'un champ de fruits et de légumes (sans fleurs). Herbie Cohen, Cal Schenkel, l'épouse de Frank, Gail, ainsi que Jimi Hendrix que l'on aperçoit à droite étaient bien présents lors de la séance photo. Cal Schenkel y ajouta par la suite des collages additionnels selon les indications de Zappa (on reconnaît entre autres Elvis Presley, David Crosby et Capt. Beefheart côtoyant Einstein, Nosferatu et Lee Harvey Oswald). Sur la double pochette intérieure figurait une autre photo des musiciens en drag queens sur fond jaune. Enfin, au verso, une troisième photo montrait les Mothers de dos avec un des musiciens, Jim Sherwood, de face pour parodier celle des Beatles photographiés de face avec McCartney de dos (le mystérieux cliché qui fit naître l'étrange rumeur que McCartney était mort et remplacé par un sosie).

Paul Mccartney aurait pu trouver ces parodies amusantes mais ça n'a pas été le cas et, si Zappa et lui se sont bien téléphoné, ils ne se sont pas entendus. Les Beatles et le label Capitol sont des gros poissons protégés par une armée d'avocats. Du coup, dans la paranoïa ambiante, la sortie de We're Only In It For The Money fut retardée, les paroles censurées et la pochette du LP modifiée en remplaçant la couverture par la photo de l'intérieur. Plus tard, quand l'album fut reconnu comme l'un des plus grands disques de rock de tous les temps, Zappa qui était toujours furieux s'écria en fronçant son épaisse moustache « qu'on récompense ceux qui ont censuré cet album plutôt que moi. » We're Only In It For The Money finira quand même par retrouver sa pochette initiale en 1995 lors de sa réédition en CD par Rykodisc.
McCartney 1970

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Paul, Linda et les cerises

Quand le premier album de Paul McCartney est sorti, les fans se sont interrogés sur la signification de sa belle pochette montrant des cerises glacées autour d'un bol de jus rouge. Pour certains, l'éparpillement des cerises, initialement réunies dans le bol, symbolisait l'éclatement des Beatles, chaque membre évoluant désormais seul et de façon indépendante. Pour d'autres, la bande blanche du muret représentait le chemin de la vie que McCartney allait désormais parcourir en solitaire. A moins biens sûr que la pochette ne soit qu'une illustration de la célèbre expression anglaise "Life is just a bowl of cherries" (ou son contraire).

Aujourd'hui, il semble beaucoup plus probable qu'il s'agit d'une belle photo … sans aucune signification particulière. Elle a été prise par Linda Eastman-McCartney, photographe professionnelle, et il existe un cliché la montrant assise sur un muret avec les fameuses cerises étendues à ses côtés, peut-être placées là pour attirer les oiseaux (comme celui que l'on voit au centre de la pochette intérieure). Attirée par le jeu des couleurs, Linda a dû prendre un cliché artistique qui s'est retrouvé au recto de l'album sans aucune raison particulière.

Enregistré entre décembre 1969 et février 1970, pendant la difficile période marquant la fin des Beatles et sorti en avril 1970, McCartney est l'œuvre d'un musicien retranché chez lui en famille. Aidé par Linda, Paul a tout joué et fait lui-même (hormis une partie technique assurée par deux ingénieurs du son d'Abbey Road), produisant ainsi le premier des disques de rock "intimistes" enregistrés à la maison (ce qui deviendra bientôt une mode) et, bien qu'il ait été fort critiqué à sa sortie y compris par ses anciens complices, je trouve qu'il est très réussi, à cause justement de cette simplicité et de l'intimité qui le caractérisent.

Ceci explique aussi que McCartney ait choisi de l'illustrer par des photos personnelles, certaines prises par sa femme Linda dans le cadre strictement familial, comme cette image au verso montrant Paul en Écosse portant sa fille Mary dans son blouson. Un autre superbe cliché de la part de cette grande photographe américaine qui a toujours eu l'art de saisir sur le vif les moments les plus intimes des musiciens.
Malcolm Garrett

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Malcolm Garrett et l'esthétique des 80's

Si Hipgnosis et Storm Thorgerson sont emblématiques du graphisme des albums des 70's, on peut dire que Assorted iMaGes et Malcolm Garrett (avec Peter Saville qui fera l'objet d'un autre article) le furent tout autant pour les 80's. Le désigner anglais fut l'un des premiers à introduire la technologie digitale dans l'art des pochettes. Le style global de la musique rock, désormais appelée New Wave, ayant changé, il était indispensable de lui associer un nouveau concept graphique différent de celui de la décennie précédente. Désormais, les images, parfois dessinées sur commande par des illustrateurs spécialisés (comme Paul Nagel pour Rio de Duran Duran) seraient arrangées selon une esthétique nouvelle aussi moderne que distincte.

Quelques-unes des pochettes les plus remarquables de Malcom Garrett, hormis celles iconiques réalisées pour Buzzcocks, Duran Duran et Culture Club, incluent New Gold Dream de Simple Minds, True Colours de Level 42 et More Blank Than Frank de Eno. La combinaison de lignes, de couleurs, du logo et des images donne à ces pochettes une identité originale dont le design sera abondamment copié d'autant plus qu'il est bien adapté au nouveau média, le disque compact, qui commençait à prendre de l'ampleur au détriment du LP.

Ce sont aussi Garrett et/ou sa firme Assorted iMaGes qui ont créé, sur un ordinateur Apple, les nouveaux logos de Yes pour 90125 et Big Generator ainsi que le design de plusieurs disques de Peter Gabriel dont Us. Garrett est également impliqué dans le visuel des productions du label Real World de Gabriel. Comme le Walkman Sony ou Les clips de MTV, les pochettes stylisées de Malcolm Garrett resteront à jamais attachées à la mémoire culturelle collective des 80's.

All Things Must Pass

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Le jardinier de Friar Park

Sorti en novembre 1970, All Things Must Pass est le premier disque en solo de George Harrison après la séparation des Beatles et le second, après McCartney, à être édité par un membre des Beatles cette année-là. Pour beaucoup, ce triple album révéla la personnalité musicale de George Harrison, la plupart du temps éclipsée par les talents envahissants de McCartney et Lennon.

La photo de la pochette fut prise par Barry Feinstein (partenaire du designer Tom Wilkes) sur la pelouse principale de Friar Park, un domaine avec un manoir victorien néo-gothique situé dans l'Oxfordshire que George Harrison venait de racheter quelques mois plus tôt. Comme dira le journaliste Derek Taylor : « Friar Park est un rêve sur une colline et il est arrivé chez la bonne personne au bon moment ». On y voit George assis au beau milieu de quatre des innombrables nains de jardin qui peuplaient la propriété. Ces quatre nains renversés (dont on pense qu'ils représentent les Beatles) avec George Harrison assis au milieu symbolisent la libération artistique du guitariste de toutes les contraintes qui lui furent imposées au sein du groupe.

Le titre All Things Must Pass (Tout Doit Passer) se rapporte au même thème et souligne clairement que le temps des Beatles est définitivement révolu. Par ailleurs, ce morceau qui avait été présenté aux membres du groupe lors des séances « Get Back » pour l'album Let It Be et qui avait été sèchement refusé par Lennon et McCartney, se retrouve ici comme l'étendard glorieux d'un Harrison enfin libre de produire tout ce qu'il voulait (on peut incidemment entendre une version démo de ce titre enregistré par les Beatles sur la compilation Anthology 3).

Harrison immortalisera à plusieurs reprises Friar Park dans des chansons (Crackerbox Palace, Ballad of Sir Frankie Crisp - Let It Roll inspirée par l'ancien propriétaire du manoir, The Answer's At The End), dans des photos (notamment celle avec son père à l'intérieur de la double pochette de l'album Thirty Three & 1/3) et dans des clips vidéos (Ding Dong Ding Dong, True Love...). Au fil du temps, Harrison devint le jardinier de son domaine où il passa de plus en plus de temps jusqu'à sa mort en novembre 2001. A ceux qui le visitaient dans sa propriété, George disait : « parfois, je pense que je vis sur la mauvaise planète. C'est génial quand je suis dans mon jardin mais à la minute où j'en sors, je ne peux m'empêcher de penser : mais qu'est-ce que je fais ici ? »

Crosby, Stills & Nash

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Front Porch Blues

Cet album légendaire imposa le folk-rock comme un courant populaire alternatif au blues-rock. Mélodies splendides, harmonies vocales somptueuses, textes à portée sociale (notamment à propos de la mort de Robert Kennedy) et ambiances relaxantes inspireront des dizaines de groupes et pas seulement en Californie (des Eagles à Marvin, Welch & Farrar). Même Miles Davis fut apparemment conquis puisqu'il a repris le thème de la fragile chanson Guinevere pour une de ses longues improvisations fusionnelles au temps de Bitches Brew.

Alors qu'il conduisait dans Hollywood en compagnie du designer Gary Burden, Graham Nash repéra une petite construction abandonnée sur le boulevard Santa Monica qui pourrait convenir pour une session photographique. Le trio y revint donc plus tard en compagnie du photographe Henry Diltz qui prit plusieurs clichés du groupe posant dans un fauteuil sous le porche dans l'ordre inverse du nom du groupe qui n'était pas encore défini à l'époque. Une fois le nom Croby Stills & Nash officiellement adopté quelques jours plus tard, Henry Diltz et les musiciens revinrent au même endroit pour prendre un nouveau cliché, cette fois dans le bon ordre, mais entre-temps, la maison avait été détruite. Les choses furent donc laissées en l'état quitte à créer la confusion chez les fans.

Le batteur Dallas Taylor, qui n'était pas présent ce jour-là, a été rajouté graphiquement par Gary Burden sur la photo et apparaît à la fenêtre au verso. Sur la pochette du LP de 1969, le grain et les couleurs quasi-pastels sont superbes mais au fil des innombrables rééditions, la qualité d'impression de la photo originale a considérablement varié, allant de teintes très pâles presque sépia à des teintes vives faisant ressortir le bleu intense des jeans. Quant à Dallas Taylor, pourtant resté en bons termes avec les membres du trio, il n'apparaît plus sur la pochette de la réédition HDCD remastérisée et étendue de 2006 pour laquelle, apparemment, on a préféré utiliser la photo non retouchée.

Ed Unitsky

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Le voyage fantastique d'Ed Unitsky

On entend parfois dire qu'avec l'avènement du compact, les temps modernes n'ont plus connu d'artistes ayant associé un graphisme spécifique à un groupe musical comme le firent jadis Storm Thorgerson avec Pink Floyd ou Roger Dean avec Yes. Pourtant, il en existe plusieurs dont le visuel immédiatement reconnaissable permet d'identifier sinon un groupe particulier, du moins un style de musique. C'est le cas pour Ed Unitsky.

Originaire de Biélorussie, Ed Unitsky crée des mondes surréalistes en combinant peintures, collages et manipulations photographiques. Ses œuvres très nombreuses ont plu à beaucoup de musiciens et groupes de toutes origines qui, d'Unitopia à Mandalaband en passant par Moongarden et Starcastle, les ont utilisées pour les pochettes de leurs albums. Parmi ses plus belles réalisations figurent notamment celles faites pour deux groupes de prog modernes : The Tangent et The Flower Kings.

Pour The Tangent, Ed a réalisé une dizaine de pochettes dont la plus marquante reste celle de leur premier disque : The Music That Died Alone. A l'opposé des fabuleux mondes d'Elton Dean souvent glacés et figés, ceux d'Ed Unitsky apparaissent au contraire moites et vivants, peuplés de forêts arborescentes et d'oiseaux multicolores.

Pour The Flower Kings, il a réalisé une œuvre majeure avec la pochette de The Sum Of No Evil dans laquelle il brode sur le thème des hippies (et leur véhicule emblématique que fut le combi VW) tout en faisant référence au voyage de Nemo, et se fend ainsi d'une pochette géniale complètement en phase avec la musique et les textes de Roine Stolt.

Ed Unitsky est un de ces artistes talentueux particulièrement desservis par le format CD qui ne rend pas justice aux innombrables détails fourmillant dans ses images. A quand un livre au format LP présentant ses plus beaux graphismes ?

Et incidemment, si l'envie vous prend d'écouter les galettes cachées sous ces attrayantes pochettes, n'hésitez surtout pas !
Il arrive que la musique s'élève au niveau des œuvres picturales qu'elles ont inspirées (et inversement !)



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