L'Art Progressif : les plus belles pochettes de disques


- Partie V -


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A Trick Of The Tail

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Un tour diabolique

Pour la pochette de A Trick Of The Tail (1976), premier album de Genesis sans Peter Gabriel, Hipgnosis proposa un concept finalement assez simple : enfiler sur une double couverture tous les personnages des chansons dessinés à l'instar d'anciennes gravures victoriennes. Plus attrayant que celui réalisé par la même firme pour le précédent disque (The Lamb Lies Down On Broadway), le résultat est un triomphe de simplicité et d'efficacité. L'acheteur potentiel est immédiatement subjugué par la texture et la couleur ancienne du carton ainsi que par les petits dessins qu'il rattachera plus tard aux textes imprimés à l'intérieur. Par ailleurs, cette pochette représente à la perfection la musique de Genesis tout en indiquant de façon subliminale, après l'ambitieux The Lamb, un retour aux contes et aux ambiances féériques des premiers disques du groupe.

Pour ce projet, l'homme d'Hipgnosis désigné à la tâche n'était ni Storm Thorgerson, qui eut toutefois l'idée du concept, ni Aubrey Powell, mais plutôt l'illustrateur Colin Elgie. Ce dernier dessina séparément sur des parchemins les personnages qu'il découvrait au fur et à mesure en lisant les textes. Il les disposa ensuite selon une longue ligne horizontale et ajouta par-dessus le titre de l'album ainsi que le logo du groupe qui servira encore pour Wind And Wuthering. On reconnaît ainsi de droite à gauche le diable cornu et doté d'une queue de A Trick Of The Tail dont les paroles sont inspirées par le livre Les Héritiers (1955) de l'écrivain William Golding; le pickpocket dans le style du "Artful Dodger" d'Oliver Twist pour Robbery, Assault And Battery; la vieille femme se regardant dans un miroir en tant qu'allégorie de la beauté éphémère (Ripples); le chasseur et l'étrange Squonk qui, une fois capturé, se dissout dans une mare de larmes; ou les enfants rêveurs ainsi que l'infirmière en relation avec l'hôpital psychiatrique évoqué dans Entangled.

Illustrateur réputé dans d'autres médias que la musique, Colin Elgie n'a pas dessiné beaucoup de pochettes mais, mais outre A Trick Of The Tail et Wind And Wuthering, on lui doit quand même quelques bonnes réalisations comme Scheherazade And Other Stories de Renaissance et Year Of The Cat d'Al Stewart.

Quant au titre "A Trick Of The Tail", j'en ai longtemps cherché une traduction autre que littérale sans la trouver. J'imagine qu'elle pourrait signifier "un tour (ou un stratagème rusé) de la queue (représentant le diable)", soit un tour diabolique. Peut-être celui par lequel Phil Collins fit revivre un groupe que tout le monde disait voué à disparaître après le départ de Gabriel..
Meddle

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Question d'oreille

Meddle n'est pas la pochette préférée des fans de Pink Floyd. Trop abstraite avec son mélange de couleurs, elle n'évoque à priori rien de particulier. D'ailleurs, aussi bien Aubrey Powell que Tom Thorgerson l'ont reniée, la décrivant comme une pochette ratée bien inférieure à la musique de l'album (inversant ainsi une réflexion du groupe qui trouvait la pochette de Atom Heart Mother bien meilleure que la musique).

Au départ, Thorgerson avait suggéré la photographie rapprochée d'un anus de babouin mais l'idée n'a (heureusement) pas été retenue par le groupe, alors en tournée au Japon, qui suggéra à la place une oreille sous la surface de l'eau. En fidèle exécuteur, Le photographe maison Robert Dowling a donc réalisé des clichés présentant, d'une part, une oreille humaine photographiée en gros plan et, d'autre part, un bassin bleuté avec de l'eau parsemée de rides circulaires à la surface. Une fois sélectionnés, les deux transparents différents furent superposés de manière à fournir une image composite.

En la regardant aujourd'hui, je trouve que quand la double pochette est dépliée, cette image représente plutôt bien le titre séminal Echoes et ses expérimentations soniques utilisant des sons d'albatros ou de sonar. Une oreille assaillie de sons divers en cascade (comme un écho) dont la structure ondulatoire est symbolisée par des encyclies n'était peut-être pas finalement une si mauvaise idée.

L'intérieur de la double pochette montre une photo du groupe en entier, la dernière à figurer sur un disque du Floyd : Meddle marqua en effet la montée en puissance du guitariste David Gilmour juste avant que ne débute la détérioration irréversible de ses relations avec Roger Waters.

Quant à Robert Dowling, en dépit d'un travail très professionnel, il ne s'est pas fait un nom avec la réalisation de cette pochette, mais il aura l'occasion de se rattraper plus tard en photographiant la fantastique image surréaliste, aux 800 lits d'hôpital étalés sur une plage, de A Momentary Lapse Of Reason.
Stand Up

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Onze doigts pour une flûte

L'idée de la pochette de Stand Up de Jethro Tull vient de leur producteur Terry Ellis qui, pendant une tournée aux USA, les mit en contact avec James Grashow, un sculpteur sur bois de New-York. Ce dernier réalisa trois pièces pour le LP : une pour le verso avec le groupe assis, une seconde en forme de pop-up pour l'intérieur de la double pochette où, quand on déplie l'album, le groupe se dresse comme dans livre pour enfants (une illustration littérale du titre : Stand Up), et une troisième avec le groupe vu de dos qui s'éloigne dans le feuillage.

Grashow travailla un mois sur la pochette dont l'essentiel du temps fut consacré à la superbe gravure sur bois du verso. En regardant bien, on voit que Ian Anderson y est représenté avec onze doigts, une caractéristique que les fans ont cherché à interpréter non sans humour (après tout, pour jouer de la flûte avec une pareille virtuosité, ne fallait-il pas posséder un doigt supplémentaire ?) En réalité, Grashow avait tout simplement fait une erreur qui, lorsqu'elle fut découverte, ne pouvait plus être corrigée sans un long délai supplémentaire. Il fut donc décidé d'imprimer la gravure telle quelle.

Grashow a réalisé d'autres pochettes pour Ramsey Lewis, Catfish, Deep Purple et pour quelques autres artistes mais celle de Stand Up reste sa plus belle réalisation : elle a d'ailleurs remporté le prix du NME pour la meilleure pochette de 1969.

2019 marque le 50ème anniversaire de cet album séminal dont on entendra encore parler cette année mais l'édition définitive de ce disque est déjà disponible depuis 2016. Remixé en 5.1 surround et en stéréo par Steven Wilson, le son y est beaucoup plus clair et détaillé (à comparer avec le mixage original également inclus dans la réédition). En plus de bonus musicaux live et en studio, un livret de 112 pages a également été ajouté et, pour la première fois depuis son éradication lors de la réédition en LP de 1973, le pop-up central est enfin réapparu … pour l'indicible bonheur de tous les grands enfants du prog.
Roxy Music

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Froufrous

Alors que Roger Dean et Hipgnosis faisaient la pluie et le beau temps sur les pochettes de disques en ce début des années 70, Roxy Muxic, sans nul doute sous l'impulsion de son charismatique leader Bryan Ferry, prit une autre direction. Les pochettes du groupe seraient glamour, romantiques, et ressembleraient bien davantage à des photos de mode ou à des posters de pin-up des années 40 qu'à des couvertures d'albums de rock.

Pour le premier de la série sorti en 1972, qui donnera le ton pour tous les autres à venir, Ferry tomba par hasard sur le travail du photographe Karl Stoecker à qui il confia qu'il souhaitait une photo d'une fille ressemblant à Rita Hayworth. Le modèle qui fut repéré par Ferry lors d'un défilé de mode s'appelait Kari-Ann Muller. Comme le budget de Roxy Music, alors totalement inconnu, était quasi inexistant, Kari-Ann fut recrutée pour 20 livres. Préparée par le désigner du groupe, Anthony Price, la session donna une série de clichés magnifiques, dignes des posters de Playboy, parmi lesquels figure celui, devenu iconique, étalé sur la double pochette du LP. Peu habillée de quelques froufrous satinés et alanguie sur un drap de lit en velours, le modèle est aussi fardé de façon outrancière si bien qu'il est finalement difficile de décider si cette photo est un pastiche ou non. Ce charme un peu bizarre à la fois guimauve et post-moderne, qui reflète par ailleurs très bien la musique ambivalente de Roxy Music, ajouté à la surprise devant la nouveauté de ce concept pop-art utilisé dans un contexte rock expliquent l'immense succès remporté par le visuel de l'album.

Quant à Kari-Ann Muller, cette célébrité éphémère n'aura guère d'impact sur la suite de sa carrière qui se résume à peu de choses. Elle a quand même encore fait la une de l'album The Hoople du groupe Mott the Hoople en 1974 et apparaît très brièvement en tant que comédienne dans deux ou trois films dont le médiocre On Her Majesty's Secret Service avec George Lazenby en James Bond. Par la suite en 1981, elle épousa en secondes noces un certain Chris Jagger surtout connu pour être le petit frère du chanteur d'un autre groupe de rock fort populaire.
David Bowie : Aladdin Sane

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Figure de mode

Au début des années 70, Tony Defries, le manager de Bowie, souhaitait donner une image du chanteur qui en imposerait aux patrons du label RCA et les inciteraient à miser davantage sur son protégé. C'est pourquoi il recruta le Londonien Brian Duffy - qui fut dans les années 60 un des photographes les plus prisés des magazines de mode comme Vogue, Queen ou Elle - en tant que designer de la pochette d'Aladdin Sane.

Quand Bowie se présenta en 1973 au studio londonien de Duffy pour la session photo, son maquilleur Pierre Laroche, devenu incontournable depuis qu'il aida Bowie à développer son concept de Ziggy Stardust, était présent. C'est lui qui, à la demande du chanteur, zébra sa figure par un éclair stylisé représentant à la fois une schizophrénie et la dualité de l'esprit (Selon Chris Duffy, le fils du photographe, Laroche fut apparemment inspiré par le logo d'une rizotière se trouvant dans la cuisine du studio). Duffy et Laroche dessinèrent donc le fameux éclair et Laroche le mit en couleur. Si le rouge apparaît si brillant sur la photo, c'est que le remplissage fut réalisé avec du rouge à lèvres. Pour faire bonne mesure, la chevelure du chanteur fut teintée en orange.

Brian Duffy prit des photos en couleurs de Bowie, les yeux ouverts ou fermés et changeant légèrement de position, et fit également deux rouleaux de photos en noir et blanc. Sur une proposition de Duffy, la larme accrochée au creux de la clavicule a été rajoutée ultérieurement à l'aérographe par Philip Castle. Outre cette session photo, Brian Duffy en a encore réalisé 4 autres avec Bowie : la première en 1972 pour la tournée Ziggy Stardust, et les autres successivement pour The Thin White Duke (sur le tournage de The Man Who Fell to Earth en 1976) et pour les albums Lodger (1979) et Scary Monsters (1980).

Sa photo de Bowie pour Aladdin Sane, connue comme la Mona Lisa du rock, déborde du cadre pour s'incruster dans la mémoire collective. Elle est devenue le symbole même de la personne photographiée, à tel point que, pour beaucoup d'entre nous, quand on pense à Bowie, c'est tout de suite cette image bariolée qui vient à l'esprit.
Peter Gabriel : Us

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Danse avec les esprits

Pour un photographe, représenter une idée abstraite est un véritable challenge qui va bien au-delà de la simple technique. Mais en s'adressant à l'artiste britannique David Scheinmann pour illustrer son disque Us de 1992, Peter Gabriel a manifestement frappé à la bonne porte. Après un éprouvant divorce en 1987, l'idée du chanteur en relation avec les thèmes de l'album était de montrer en une image tout ce qui est illusoire dans les relations humaines. Plusieurs réunions entre Gabriel et Scheinmann aboutirent à la conclusion que la photographie s'inspirerait d'une performance artistique contemporaine mettant en jeu le mouvement et la distorsion qui en résulterait.

A l'époque, Peter Gabriel s'était entiché de l'œuvre du peintre Mark Rothko dont il avait vu une exposition dans une chapelle du Texas lors d'une tournée aux États-Unis. Non seulement le titre Fourteen Black Paintings de US y fait référence mais c'est aussi probablement sur base de la sobre combinaison des couleurs dans l'œuvre de Rothko, notamment celle du tableau "Royal Red and Blue", que le choix des tons de la pochette a été opéré : Gabriel y apparaît en effet vêtu dans un costume teinté d'un pigment bleu tranchant sur un fond rouge intense.

Lors de la session photo, Gabriel et une dame nue face à lui se sont mis en mouvement devant un décor rouge tandis que plusieurs clichés furent pris en pose longue jusqu'à obtenir un flou artistique. Le ciel et les murs latéraux ont ensuite été incrustés dans l'image à l'aide d'une de premières versions de Photoshop. Le résultat montre Gabriel, dont le corps à l'exception de la tête est légèrement trouble, tentant d'enlacer une créature féminine évanescente qui se dérobe telle un fantôme. Dans cette scène étrange qui semble se dérouler à l'intérieur d'une pièce fermée rectangulaire, le chanteur est entouré d'un halo surréel qui s'est formé naturellement par le mélange des couleurs bleues et rouges au cours de la longue exposition. Cette image symbolise d'une manière magistrale la difficulté, voire l'impossibilité, de concrétiser certaines relations qui restent chimériques (Darkness creeps in like a thief, And offers no relief. Why are you shaking like a leaf ? Come on, come talk to me...). Elle témoigne une fois de plus que Gabriel, intéressé aussi bien par la musique que par la peinture, le théâtre ou n'importe quelle autre forme d'expression, pense ses œuvres d'une manière globale et renforce leur impact en délivrant des créations complètes, à la fois multi-facettes et cohérentes.
Peter Gabriel : 4

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Miroirs déformants

Après trois disques dont les pochettes mettaient en scène son visage dans des contextes différents, Peter Gabriel n'en avait pas encore fini avec la manipulation de sa propre image. Pour son album en solo portant le numéro 4, le chanteur délaissa Hipgnosis, dont l'impeccable travail avait pourtant marqué les disques précédents, et se tourna vers le sculpteur et artiste multimédia britannique Malcolm Poynter dont les œuvres inspirantes sont à la fois étranges, porteuses de messages et intrigantes.

Gabriel et Poynter se promenèrent dans un atelier où des sculptures étaient entreposées à côté de miroirs déformants et de lentilles de Fresnel distordant la réalité. Une vidéo expérimentale dirigée par Malcolm Poynter fut alors réalisée avec l'aide technique de David Gardner. C'est de cette vidéo bien en phase avec les années 80 qu'est extraite la pochette de l'album où l'on voit une image grimaçante et quasi non reconnaissable du visage du chanteur. Comme l'image suggère que Gabriel porte un masque, ce disque sans nom a parfois été intitulé Mask par les fans. Aux Etats-Unis, le nouveau label Geffen exigea qu'un titre lui fut attribué et Gabriel, qui désapprouvait cette décision et privilégiait le visuel, le nomma Security sur un coup de tête et sans aucune raison particulière. De toutes façons, le titre n'était mentionné que sur un sticker collé sur l'emballage protecteur en plastique qui disparaissait quand l'album était ouvert pour la première fois.

J'ai toujours pensé que cette pochette bizarre avait quelque chose de tribal, ténébreux, et perturbant (comme d'ailleurs les images de la sous-pochette intérieure ainsi que les deux portraits au verso qui furent aussi utilisés pour illustrer la couverture de la minicassette) en liaison avec la musique globalement sombre et parfois viscérale de l'album (San Jacinto et surtout l'oppressant The Family And The Fishing Net entre autres). Ce n'est qu'après une écoute attentive que le disque a fini par révéler le glissement subtil vers des musiques plus exotiques et accessibles, résultant d'une étrange combinaison de sons anciens et de technologie futuriste, qui composeront l'essentiel du disque suivant.
The Moody Blues : In Search Of The Lost Chord

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Ascension méditative

Pour In Search Of The Lost Chord (1968), les Moody Blues demandèrent à Phil Travers une image susceptible de représenter la méditation. Stupeur de l'ancien graphiste de Decca qui n'avait aucune idée de comment on pouvait bien illustrer un concept aussi abstrait. Dans une interview pour RockPoP Gallery, Travers explique que l'intuition lui est venue quand il fut invité à venir en studio pour écouter le groupe au travail. Apercevant sa propre image démultipliée sur le vitrage séparant le local d'enregistrement du studio où jouaient les musiciens, il eut l'impression de se voir en ascension dans l'espace. De là naquit l'idée de la dématérialisation de la personne assise sous terre et sa montée vers le ciel que l'on voit sur la couverture.

Le reste s'est mis en place rapidement. Travers compléta son tableau en alternant gouache et peinture à l'eau et en finalisant à l'aérographe. Dans sa version complète, l'image décrit simplement le cycle de la vie avec un fœtus à droite (la vie), un crâne à gauche (la mort), et au centre, l'élévation difficile, via un chemin étroit, de l'âme après la mort vers un état supérieur de conscience représenté par un personnage en extase spirituelle. Les couleurs sombres au-dessous et lumineuses au-dessus renforcent l'opposition entre les deux états. Enfin, on notera comment les noms du groupe et de l'album sont introduits de manière subtile à partir des éléments du dessin lui-même.

Le groupe et son management apprécièrent certainement beaucoup le travail original de Phil Travers puisqu'ils lui confièrent la réalisation des pochettes des cinq albums ultérieurs, depuis On the Threshold Of A Dream (1969) jusqu'à Seventh Sojourn (1972).
Procol Harum : Grand Hotel

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Un hôtel de maître

Les photos de l'album Grand Hotel n'ont apparemment pas été prises, comme je l'ai longtemps cru, au Grand Hotel du Lac Léman mais bien dans une villa cossue louée à Malibu en Californie (la même qui fut utilisée par Polanski pour tourner des scènes d'intérieur du film Rosemary's Baby). C'était un 4 juillet 1972, seule date possible pour réunir tous les membres du groupe, et pendant la fête de l'indépendance, aucun hôtel aux Etats-Unis n'était libre pour une location destinée à une session photographique en costume. Le désigner Spencer Zahn souhaitait mettre le groupe en scène afin d'illustrer le titre éponyme du sixième disque de Procol Harum, sorti en mars 1973, dans lequel il n'est question que de champagne, œufs Mornay, vin, viandes rares, chandeliers, lustres et plaisirs divers. Personne ne niera l'évidente concordance entre les paroles décadentes et nostalgiques de Keith Reid et le cliché de Jeffrey Weisel qui fut pris en noir et blanc pour être ensuite subtilement teinté en beige sépia à l'instar des anciennes photographies du début du siècle.

Cette superbe photo fut toutefois prise un peu trop tôt : à cette date, c'était encore Dave Ball qui était le guitariste du groupe (les premières sessions musicales d'avril 1972 furent d'ailleurs commencées avec lui) et qui figure sur le cliché. Après son remplacement par Mick Grabham, il n'était pas question de refaire tout le travail et on opta pour coller simplement la tête de Grabham sur le corps de Ball.

A l'intérieur, une autre photographie de Jeffrey Weisel s'inscrit dans la même ligne d'idée mais cette fois, le processus a été inversé : la photo a d'abord été prise en couleur et les nuances ont ensuite été atténuées lors de l'impression pour obtenir l'effet souhaité de vieillissement. Au recto, une photo du groupe en costume se reflétant dans un verre de champagne parachève une pochette à thème particulièrement originale et réussie (pour ceux qui ont une loupe, c'est cette fois la tête de Dave Ball qui y figure et non celle de Grabham). D'autres clichés des membres du groupe en costume ont été pris au cours de cette session et sont apparus plus tard sur le site Beyond The Pale ou dans le livret de l'excellente réédition Salvo de 2009. Quant à Spencer Zahn, décidément perfectionniste, il compléta encore son œuvre en lui adjoignant un livret de 24 pages reprenant les textes des chansons et dont il réalisa les dessins.
Yes Tormato

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Une tomate salvatrice

Il existe des pochettes dont le résultat en finale n'a rien à voir avec ce qui était prévu au départ et qui, en plus, ont forcé le groupe à changer le nom de l'album. C'est le cas pour Tormato de Yes. A l'origine, le disque devait s'appeler Yes Tor d'après le nom d'une colline bien connue du Dartmoor dans le Devon (UK). Souhaitant comme tant d'autres renouveler leur image à l'aube des années 80, Yes, qui avait préféré abandonner complètement les mondes imaginaires de Roger Dean, fit appel pour la seconde fois à Hipgnosis pour réaliser la pochette. Les photographes partirent donc à Yes Tor pour prendre des clichés de la fameuse colline et de ses formations rocheuses typiques qu'on aperçoit sur la couverture derrière un personnage tenant des baguettes de sourcier.

Mais quand la pochette, pourtant onéreuse et conçue par la plus célèbre firme graphique de l'époque, fut présentée au groupe, la déception fut générale. La légende veut que, dépité, Rick Wakeman lança une tomate sur la photo pendant la réunion. Une autre version plus plausible, racontée par le batteur Alan White, est que le designer Aubrey Powell emporta le projet chez lui et qu'insatisfait du résultat, il jeta une tomate sur son œuvre. Soudain inspiré par les restes du fruit rouge éclaté contrastant avec la teinte bleue de l'image d'origine, il eut l'idée de rephotographier le tout en couleur. Powell joua ainsi avec une composante 3D qui surimpose un effet externe sur une image à 2 dimensions. Il y reviendra à plusieurs reprises comme sur la pochette Scratch du deuxième album de Peter Gabriel.

Présenté au groupe, le nouveau projet fut accepté tandis que l'album, non sans humour, fut rebaptisé dans la foulée Tormato. Un disque qui ne fut pas très aimé en son temps, essentiellement à cause d'un mixage défectueux et d'une production déplorable s'expliquant par la défection de l'ingénieur Eddie Offord suivi d'un mauvais réglage par ses successeurs. La réédition analysée en 2004 par Brian Kehew corrigea l'erreur et donna aux fans l'occasion de réapprécier cet album qui, en dépit des problèmes vécus par le groupe à l'époque, est loin d'être aussi mauvais que certains l'ont écrit.
Hipgnosis et le Hard-Rock

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Le Hard-Rock selon Hipgnosis

Surtout connu pour ses superbes contributions dans la cadre de la musique prog, la firme Hipgnosis fut également commissionnée par des groupes de rock pour réaliser leurs couvertures d'album. Si les pochettes sont moins fameuses que celles de Pink Floyd, Peter Gabriel ou Yes, elles n'en restent pas moins attractives et montrent des innovations visuelles qui restent aujourd'hui encore inégalées. En voici quelques-unes plutôt réussies, livrées à des groupes de hard-rock :

Bad Company - Desolation Angels (1979) : encore une fois, Hypgnosis a conçu une double pochette qui raconte une histoire. D'après Rodgers, le titre de l'album serait repris d'un roman de l'écrivain américain Jack Kerouac dont l'œuvre doit beaucoup aux "road movies", ce qui pourrait avoir un lien avec le thème de la pochette. Avec ses contrastes violents et sa luminosité extrême, le style est moderne dans la ligne des années 80. La firme ayant l'habitude de mettre en scène ses employés, c'est Peter Christopherson, le troisième homme de Hipgnosis, qui joue ici le rôle du garagiste plongé sous le capot de la voiture. (Evil Wind)

Black Sabbath - Never Say Die! (1978) : la pochette Difficult To Cure de Rainbow était celle originalement prévue pour cet album. A la place, cette photo de deux pilotes de chasse devant leur avion a été retenue. Ambiance bizarre et totalement différente de celles des albums précédents du groupe. On dit que c'est Ozzy Osbourne qui posa sous l'un des masques, prêt à s'envoler vers des jours meilleurs en plantant Black Sabbath sur le tarmac. Certes, ce disque est fort médiocre mais la pochette n'est pas si mal et il contient même UNE pépite : Air Dance qui compte parmi les morceaux les plus progressistes du groupe. (Air Dance)

Rainbow - Difficult To Cure (1981) : Initialement destinée à Never Say Die! de Black Sabbath, cette photo a ressurgi trois ans plus tard pour Rainbow. Le cliché a d'abord été prix en noir et blanc et teinté ultérieurement pour en augmenter l'aspect inquiétant, comme si on était le patient couché sur une civière qui voit débouler vers lui cette horde de médecins décidés. Le chirurgien-chef, interprété par George Galatzon (un ami de Aubrey Powell) est le seul qui apparaît clairement. Les autres, dont les rôles ont été confiés à Peter Christopherson, Storm Thorgerson et à d'autres assistants de Hipgnosis, ont été atténués, comme rejetés dans un brouillard comateux. (Spotlight Kid)
Caravan : In The Land Of Grey And Pink

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La vie en rose

Sorti le 8 avril 1971, In The Land Of Grey And Pink est pour beaucoup l'opus majeur de Caravan. Le mélange habile des genres, le recours à des instruments inusités, une façon d'improviser différente du Jazz, la clarté des arrangements et les textes à l'humour bizarre composent un ensemble distinct aussi original que typiquement britannique et qui fera long feu sous le nom de Rock de Canterbury. Enfin, cerise sur le gâteau, ce disque de Caravan était cette fois affublé d'une somptueuse pochette double propre à attirer tous les fans de fantaisie à la Tolkien et, forcément, ceux de prog toujours sensible aux contes et récits futuristes ou surnaturels.

On peut imaginer que cette pochette a une relation avec le thème de Winter Wine écrit par Richard Sinclair. En effet, alors que les textes des autres titres relèvent plutôt de l'absurde avec un humour anglais parfois difficile à avaler (comme sur l'ineffable Golf Girl), Winter Wine évoque plutôt un voyage au cœur d'un rêve fantastique où il est question de chevaliers, de dragons, de ménestrels et de danseuses voluptueuses composant un ensemble parfait avec la musique inspirée du folklore anglais. Cela dit, on ne se sait pas si c'est Caravan qui a choisi la pochette pour illustrer la musique ou si c'est l'artiste qui a réalisé l'illustration après avoir écouté le disque. Ou alors, peut-être aussi est-ce le choix de Joe McGillicuddy, designer et directeur artistique de l'album ?

Une chose est toutefois certaine. Ce village en gris et rose, déserté par ses habitants, a été dessiné par Anne Marie Anderson, une artiste dont la toile ne donne guère de renseignement sinon qu'avant de sortir du radar, elle a également réalisé au cours de la même année 1971 deux autres pochettes beaucoup moins célèbres : celle d'un album éponyme pour l'éphémère groupe de prog-folk britannique Fuchsia et celle du premier disque d'un obscur groupe de rock anglais nommé Stud (comprenant quand même 2 membres de Taste et 2 de Family). Aucune de ces deux illustrations n'a toutefois l'impact de In The Land Of Grey And Pink qui, en l'absence d'autre information, reste sa plus belle réalisation.
Blue Oyster Cult : Fire Of Unknown Origin

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Le Culte de l'Huitre Bleue

La pochette de Fire Of Unknown Origin (1981) est l'une des plus attractives de Blue Oyster Cult. Elle a un style qui rappelle les grands dessinateurs de science-fiction qui firent les beaux jours du magazine français de BD Métal Hurlant, et plus particulièrement Jean Giraud alias Moebius. Ce n'est sans doute pas par hasard : la plupart des morceaux de cet album furent en effet composés pour accompagner le film d'animation canadien Heavy Metal. Ce fut le cas entre autres de Vengeance (The Pact) dont les paroles suivent le scénario de la section du film intitulée Taarna qui est elle-même basée sur la bande dessinée Arzach de Moebius. Toutefois, en finale, seule la chanson Veteran Of The Psychic Wars sera retenue pour accompagner le segment Harry Canyon du film.

La pochette a été réalisée par Greg Scott, un peintre et illustrateur américain qui travailla dans les 70's et 80's comme directeur artistique pour Rolling Stone et le New York Times et son concept est franchement réussi : les couleurs d'abord sont splendides. Quant aux personnages, ce sont autant de chamans qui portent des masques et des robes décorées de signes ésotériques parmi lesquels figure le logo du groupe associant la croix et la faux, dérivé du symbole astrologique de Saturne, une planète liée au plomb qui est le plus lourd des métaux (heavy metal : rien n'a été choisi au hasard). En plus, tous les chamans tiennent dans leurs mains une huitre céruléenne. Si une seule image a jamais personnifié le Culte de l'Huitre Bleue, c'est bien celle-ci.

Par la suite, Greg Scott a encore réalisé deux pochettes pour BOC mais moins réussies. On retiendra quand même celle de Extraterrestrial Live (1982) qui présente le même personnage du shaman dans un autre contexte. Quant à Blue Oyster Cult, il a laissé derrière lui une discographie conséquente et quelques albums admirables dont celui-ci qui regroupe une collection de titres brûlants avec des textes portant un intérêt à toutes sortes d'énigmes. A l'aube des années 80, BOC faisait incontestablement partie de l'élite du Métal intelligent.
Pink Floyd : Wish You Were Here

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Le concept de l'absence

Le thème principal de Wish You Were Here de Pink Floyd étant « l'absence » de leur premier compagnon Syd Barrett, les designers d'Hipgnosis tentèrent de représenter graphiquement ce concept fort abstrait. Mais au-delà de l'absence, la pochette traduit également la vacuité et l'absurde de l'existence : deux exécutifs interchangeables, dont l'un en flammes représente Syd Barrett, se serrant la main pour sceller un pacte diabolique ; un personnage invisible dans un costume à la Magritte tenant un disque transparent au milieu du désert ; un voile rouge emporté par le vent qui cache une fille nue ; un plongeur qui ne fait aucun remous ... tout ici est factice comme un simulacre de la vie réelle. Il existe même une autre photo irrationnelle, non retenue pour l'album, montrant un personnage nageant dans le sable.

La photo de la poignée de mains fut prise à Burbank en Californie, au milieu de hangars appartenant à la Warner Bros. Un des deux cascadeurs, nommé Ronnie Rondell Jr. (qui représente Syd Barrett), fut protégé par un vêtement ignifuge, arrosé d'essence et enflammé tandis que la scène fut photographiée par Aubrey Powell qui eut le temps de prendre 15 clichés avant qu'on éteigne les flammes. Entre-temps, à cause d'un retournement du vent, la moustache de Rondell avait brûlé mais globalement, tout s'est passé comme prévu. On sait aussi que pour tenir compte de la direction du vent, la position des deux cascadeurs était contraire à ce qu'on voit sur la photo qui a été inversée dans le labo de développement. Deux photographies différentes furent utilisées pour la pochette : l'une, avec le personnage en feu penché vers l'avant, pour l'édition UK et l'autre, avec beaucoup plus de flammes, pour l'édition américaine. Bien entendu, les photos originales furent soigneusement retravaillées avant publication par Richard Manning qui en a effacé tous les défauts, par exemple en enlevant les tâches d'essence sur le costume ou en gommant le masque protégeant le nez de Rondell.

Bizarrement, le LP et sa superbe pochette furent cachés sous un cellophane noir décoré par George Hardie, le célèbre designer du prisme de The Dark Side Of The Moon. Hardie dessina de manière schématique une poignée de mains mécaniques, illustrant ainsi le titre Welcome To The Machine. En réalité, cette dissimulation renforce l'idée de l'absence ou de la non existence d'un album qui reste invisible jusqu'à ce que l'emballage opaque soit déchiré. J'en connais qui ont soigneusement découpé le plastique opaque sans l'enlever, juste pour extraire le disque, et qui sont restés pendant des mois ignorants de la beauté étrange des images se trouvant à l'intérieur. N'est-ce pas là le comble de l'absurde ?
Et incidemment, si l'envie vous prend d'écouter les galettes cachées sous ces attrayantes pochettes, n'hésitez surtout pas !
Il arrive que la musique s'élève au niveau des œuvres picturales qu'elles ont inspirées (et inversement !)



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