L'Art Progressif : les plus belles pochettes de disques


- Partie III -


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La grande illusion de Colin Elgie

Colin Elgie travaillait pour Hipgnosis quand on lui demanda de créer la pochette de Wind And Wuthering en 1976. Ayant déjà réalisé avec succès l'illustration de A Trick Of The Tail, on lui laissa une entière liberté et la première information qu'il reçut de Genesis fut l'intitulé de l'album. Un intitulé que faute de mieux, on traduira par 'Vent et Hurlevent' en référence au fameux roman d'Emily Bronte (Les Hauts de Hurlevent) dont les derniers mots constituent par ailleurs les titres de deux instrumentaux du disque (Unquiet Slumbers For The Sleepers … In That Quiet Earth).

L'association Wind And Wuthering invoque des images à la fois automnales et dramatiques. Mais bizarrement, selon le magazine britannique Prog, ce titre aurait d'abord rappelé à Colin Elgie une scène mystérieuse d'un film médiéval, Le Seigneur de la Guerre (1965) de Franklin J. Schaffner, dans laquelle un chevalier (Charlton Heston) parle avec une jeune Celte païenne sous un arbre majestueux d'où s'envole soudain une multitude d'oiseaux. Le designer s'en inspira de mémoire pour réaliser les deux dessins sobres et presque monochromes qui couvrent le recto et le verso de l'album (qui n'a pas malheureusement pas bénéficié dans son édition originale d'une double pochette ouvrante).

Elgie y ajouta toutefois une illusion qu'on ne remarque pas tout de suite en regardant la couverture : les oiseaux constituent en réalité le ramage de l'arbre si bien qu'après leur envol, l'arbre (au verso) n'a plus de feuilles. De façon surprenante, ces images épurées et délavées correspondent à merveille avec l'ambiance poétique de ce qui fut le dernier grand disque progressif de Genesis. Il arrive parfois que, par le plus grand des hasards, les choses s'accordent de façon naturelle.
L'exode selon Roger Dean

Fragile fut le premier disque de Yes à sortir sous une pochette de Roger Dean. Au départ, le groupe souhaitait pour couverture un objet en porcelaine brisé. Selon Dean, les titres des albums de Yes reflétaient souvent leur état psychologique du moment et, pour Fragile, il proposa plutôt pour exprimer cet état de montrer une planète miniature, à l'écosystème délicat, menacée de fragmentation. Ce compromis fut tout de suite accepté.

Le graphiste a alors dessiné un monde minuscule avec des arbres bonsaï et une route qui la traverse. Mais sur le recto, les choses se gâtent : la planète se brise et ses habitants la quittent dans un étrange vaisseau en bois. On retrouve donc ici le concept que Jon Anderson exploitera plus tard dans son propre album : Olias Of Sunhillow. Ce thème à propos d'un monde éclaté et de l'exode qui s'en suit reviendra aussi dans le triple album suivant de Yes (le live Yessongs) où il constitue un polyptyque en quatre volets : 1) Escape montre le vaisseau spatial tirant dans l'espace des fragments du monde brisé; 2) Arrival décrit l'arrivée des fragments qui sont déposés sur les eaux d'une nouvelle planète; 3) sur Awakening, le nouveau monde apparaît peuplé par différentes espèces végétales et animales; 4) enfin, au stade final, Pathways dévoile l'émergence d'une nouvelle civilisation.

Les dessins de Roger Dean ont largement contribué à présenter une vision cohérente de l'univers de Yes et des textes métaphysiques écrits par son charismatique chanteur Jon Anderson. Cette association durable entre graphisme et musique fut l'une des premières à être caractérisée par une aussi grande influence réciproque d'un des deux arts sur l'autre

Le livret promotionnel du LP Fragile de 1971 contenait deux illustrations supplémentaires de Dean : la première montrant cinq créatures au milieu de racines et la seconde, un personnage indistinct grimpant une structure rocheuse. Mais il n'y a apparemment pas de lien entre ces deux dessins et celui de la planète en couverture.

L'art celtique de Jim Fitzpatrick

Artiste irlandais et fier de l'être, Jim Fitzpatrick a beaucoup travaillé pour faire connaître l'art de son pays. Et quand il s'est mis à faire des posters de musiciens ou des pochettes d'album, ce fut d'abord pour des artistes locaux comme Rory Gallaher, Sinead O'Connor et surtout Thin Lizzy. Introduit auprès du bassiste et chanteur Phil Lynott qu'il rencontra dans un pub à Dublin au début des 70's, Fitzpatrick devint leur graphiste quasi exclusif, réalisant les plus belles pochettes du groupe à partir de Vagabonds Of The Western World. Si l'album Jailbreak est son œuvre la plus célèbre, je lui préfère toutefois la pochette de Chinatown et, encore davantage, celle de Johnny The Fox.

Pour ce dernier disque dont il n'avait pas connaissance de l'intitulé, Fitzpatrick commença par dessiner la bordure néo-gothique ultra-compliquée qui entoure la pochette. Il laissa au centre un espace vide et proposa au label Vertigo de découper la couverture, à la manière de Jailbreak, de façon à y faire apparaître une image imprimée sur une seconde pochette se glissant à l'intérieur de la première. Mais peu enclin à consentir des frais supplémentaires, le label Vertigo, pourtant leader du marché en pochettes extravagantes, s'y opposa catégoriquement. Ce n'est que quelques jours avant la date limite pour l'impression que Fitzpatrick reçut le titre de Lynott : Johnny The Fox. Il dessina alors en urgence l'image centrale représentant un renard dans la lande observant une ville au loin, une image exprimant selon son auteur l'idée d'un charactère solitaire vivant à l'écart. Prise globalement, cette pochette est une création aussi belle que complexe qui affiche son appartenance à cet art celtique dont Fitzpatrick s'est fait le chantre.

Toutefois, si Jim Fitzpatrick est aujourd'hui si connu, c'est moins pour ses pochettes de disque que pour avoir postérisé en 1968 la photo de Che Guevara prise par le Cubain Alberto Korda. Cette image en deux (noir et blanc) ou trois (le rouge en plus) couleurs devint en effet une véritable icône, symbole éternel de toutes les révolutions sur la planète entière.

Une belle vache nommée Lulubelle

Pour Atom Heart Mother, Pink Floyd désirait renouveler son image de "groupe space" et, lors d'une réunion avec les designers de Hipgnosis, ils expliquèrent que la pochette pouvait bien être n'importe quoi de simple pourvu qu'elle n'ait aucune connotation psychédélique (un peu étonnant si l'on considère que le dernier morceau du disque est intitulé Alan's Psychedelic Breakfast). Fort de cette information aussi péremptoire qu'imprécise, les photographes partirent en chasse et revinrent avec trois propositions : un plongeur en action au-dessus une piscine, une femme posant dans l'escalier d'une structure souterraine bizarrement éclairée ... et une vache placide dans l'herbe d'une prairie d'une ferme du Hertfordshire. C'est cette dernière, une belle Frisonne nommée Lulubelle III, qui fit l'unanimité dans le groupe. En dépit des résistances du label EMI qui n'y voyait rien de spécial et qui, en plus, ne voulait pas d'une pochette n'affichant ni nom d'album ou de groupe ni même de sigle, Lulubelle troisième du nom et quelques-unes de ses copines firent la couverture et connurent la gloire.

Les deux autres clichés rejetés de Hipgnosis refirent surface plus tard, l'un pour The Asmoto Running Band du Principal Edwards Magic Theatre et l'autre pour High'N'Dry de Def leppard. A mon humble avis, aucune de ces deux pochettes n'a le charme ou l'originalité de celle d'Atom Heart Mother.

Who's Next

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Ethan A. Russell et le monolithe désacralisé

Les pochettes des albums des Who sont souvent provocatrices et bizarres et celle de Who's Next ne fait pas exception. La photographie a été prise par Ethan A. Russell alors que le groupe revenait d'un concert. Avisant un bloc de béton dépassant d'un site de déchets miniers près de Easington Colliery dans le comté de Durham, Pete Townshend arrêta la voiture et Russell prit des clichés des quatre musiciens, d'abord entourant le bloc dans une parodie du fameux monolithe de 2001: A Space Odyssey (des images réutilisées plus tard notamment pour le coffret Who's Next - The Real Alternate Album) et ensuite, après qu'ils se soient soulagés. N'étant pas assez visibles, les traces d'urine furent renforcées par de l'eau contenue dans une boîte vide de films qui fut artistiquement projetée par Russell sur le bloc pour renforcer l'effet. Le ciel tourmenté provenant d'un ancien cliché a été rajouté par après. La signification de cette image reste floue mais peut-être est-ce la vision iconoclaste des Who désacralisant le fameux monolithe imaginé par Stanley Kubrick et rejetant du même coup l'idée de progrès ? A moins que ce ne soit simplement une petite vengeance à l'encontre de Kubrick qui aurait jadis refusé de filmer l'opéra-rock Tommy ?

Toujours est-il que cette photo permit d'échapper à deux projets d'un mauvais goût extrême pressentis pour orner la couverture de Who's Next : la première montrant les Who parmi un collage obscène de grosses femmes nues et la seconde, encore plus horrible, représentant l'ineffable Keith Moon en maîtresse drag queen.

Quant à Ethan A. Russell, il devint encore plus célèbre après avoir réalisé cette pochette spontanée qu'il ne l'était déjà pour ses quatre clichés des Beatles qui ornent la couverture de leur dernier disque Let It Be.

Mati Klarwein, Miles Davis et John Edgar Hoover

Miles Davis commandita trois pochettes au peintre allemand Abdul Mati Klarwein. La première pour Bitches Brew (1969) qui met en relief l'opposition entre le Blanc et le Noir (les deux visages contraires) mais aussi une possible collaboration (les mains entrecroisées qui peuvent être comprises comme un symbole antiraciste : après tout, contrairement à d'autres jazzmen afro-américains, Miles intégrait des musiciens blancs dans ses groupes) ainsi que diverses références à une Afrique idéalisée dont, à gauche, une danseuse wodaabe du Niger une danseuse wodaabe du Niger également visible sur l'album Abraxas de Santana.

La seconde image intitulée Zonked (1970), avec ses vestiges d'une civilisation inca, était destinée à un LP de Bette Davis mais par suite de l'infidélité de cette dernière, Miles refusera finalement de l'utiliser si bien que la peinture est restée longtemps inédite dans son intégralité.

La troisième pochette est à mon avis la plus belle. Elle a servi à illustrer le double album Live-Evil. Pour le côté "Live", une femme africaine enceinte semble un choix évident pour représenter la vie. Pour la face "Evil" du diptyque, Miles indiqua par téléphone qu'il souhaitait un crapaud, animal longtemps diabolisé. Klarwein avisa alors un exemplaire de Time Magazine avec le directeur du FBI, J. Edgar Hoover, en couverture et trouva qu'il ressemblait à un crapaud. C'est donc lui qui servit de modèle à l'étrange créature peinte au verso.

Enracinées dans les préoccupations socio-politiques du début des années 70, les pochettes de Bitches Brew et Live-Evil sont devenues au fil des ans les symboles d'une révolution musicale qui fusionna deux courants essentiels de la musique du XXème siècle, à savoir le jazz et le rock.

D'autres oeuvres de Mati Klarwein ont servi à illustrer des pochettes de disques comme Flight To Egypt (1959-61) pour Earthquake Island (1978) du trompettiste Jon Hassell.

Flight To Egypt
Abbey Road

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Les photos d'Abbey Road

Il y a des pochettes iconiques qui ont coûté des fortunes et demandé des mois pour leur réalisation. D'autres, au contraire et bien que tout aussi iconiques, ont été conçues et réalisées en quelques minutes. Pour le disque Abbey Road, après le refus du label de photographier le groupe au pied de l'Himalaya, McCartney proposa de simplement sortir dans la rue devant les studios EMI et de prendre quelques clichés dans la rue sur le passage piéton. McCartney fit un rapide schéma et on prit rendez-vous avec un ami de Lennon, le photographe écossais indépendant Iain Macmillan qui se vit octroyer 10 minutes pour faire son travail.

Le 8 août 1969 vers 11h30, la circulation fut arrêtée et Macmillan, perché sur une échelle, prit six photos différentes des quatre Beatles traversant la rue Abbey Road alternativement dans un sens et puis dans l'autre. Cette journée d'été étant particulièrement chaude, McCartney, qui avait enlevé ses sandales, marche pieds nus sur quatre d'entre-elles (ce qui entraînera d'interminables élucubrations sur sa prétendue mort et son remplacement par un sosie). La cinquième photo fut finalement retenue pour la couverture de l'album qui ne porte ni titre ni le nom du groupe. McCartney y tient dans la main droite une cigarette qui sera gommée sur certains posters aux Etats-Unis à partir de 2003. Symboliquement, les Beatles ont choisi une image qui les montrent en train de s'éloigner des studios où ils ont enregistré la quasi intégralité de leurs chansons. Quelques jours avant la sortie de l'album le 26 septembre 1969, John Lennon annoncera son départ du groupe, mettant ainsi un terme à l'une des plus belles aventures musicales du XXème siècle.

Le mur de briques au recto de la pochette, aujourd'hui démoli, était au coin d'Abbey Road et d'une autre rue. Sur un des clichés, une dame inconnue traversa le champ en laissant la trace d'une robe bleue et cette photo fut préférée aux autres. Quant au mot "Beatles", il fut composé à partir de lettres prélevées sur d'autres photos de plaques de rue. Certains pensent que les images utilisées pour l'album ont été retravaillées par après. C'est bien sûr possible mais, excepté un ravivement évident des couleurs, ce n'est pas confirmé.

White Album

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L'édition numérotée de Richard Hamilton

Au départ, le double album des Beatles devait être illustré par une peinture naïve de John "Patrick" Byrne (auteur de quelques pochettes pour Donovan et Gerry Rafferty) représentant les quatre Beatles mais son dessin, qui réapparaîtra en 1980 sur la compilation The Beatles Ballads, n'a finalement pas été retenu. A la place, Paul McCartney demanda à son ami Richard William Hamilton, artiste britannique lié au mouvement Pop-Art, de concevoir une pochette qui serait à l'opposé du collage complexe, plein de couleurs et de personnages, du disque précédent, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band. Hamilton décida alors de réaliser une pochette double immaculée dont le design, pour la première fois dans l'histoire de la musique, deviendra le nom du disque lui-même : The White Album.

Deux petites singularités furent toutefois introduites : le nom "The Beatles" qui figurait incliné et en relief juste au-dessous du milieu du recto ainsi qu'un numéro de série unique à 7 chiffres tamponné via une astuce de la chaîne de production dans le coin inférieur droit. Une édition numérotée était en soi une idée saugrenue si l'on considère que le nombre d'albums manufacturés allait s'élever à quelques cinq millions de copies. Il n'empêche qu'ainsi, chacun aurait son album, unique et personnalisé. Les quatre premiers furent donnés aux Beatles apparemment dans l'ordre de leurs dates de naissance (bien que McCartney a prétendu que Lennon s'était approprié le numéro 1 en criant plus fort que les autres) : le premier à Ringo Starr (juillet 40), le second à Lennon (octobre 40), le troisième à McCartney (1942) et le quatrième à Harrison (1943). L'exemplaire de Ringo (N° 0000001) fut vendu aux enchères en 2015 pour une somme astronomique de 790.000 dollars. Ces deux particularités, qui faisaient tout le sel de l'édition originale ont évidemment été éradiquées rapidement des rééditions ultérieures par EMI : le relief a été remplacé par un texte grisonnant tandis que le numéro de série a été omis. C'est le propre du commerce de laminer tout ce qui dépasse pour vendre des produits de masse sans spécificité et, surtout, sans grain de folie.

Le double album contenait un poster avec un collage réalisé par Hamilton à partir de photographies fournies par McCartney ainsi que quatre portraits grand-format, pris par John Kelly à l'automne 1968, eux-mêmes devenus culte au fil des ans.

Strange Days

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L'étrange journée de Joel Brodsky

Les pochettes des albums des Doors n'ont généralement rien de remarquable sauf celle de Strange Days qui, pour une fois, n'affiche pas une banale photo du groupe. Jim Morrison, dans une de ses crises dont il était coutumier, ayant cette fois refusé d'être photographié, Joel Brodsky, proposa de prendre un cliché d'une troupe de saltimbanques déambulant dans une rue de New York City, une idée inspirée par le film La Strada que Federico Fellini réalisa en 1954. En réalité, les personnages que l'on voit réunis sur la couverture étaient d'origine diverse : les deux nains au recto et au verso étaient des acteurs, le jongleur un assistant du photographe, le géant un portier de club et le trompettiste un conducteur de taxi recruté sur place au pied levé.

Une fois la troupe réunie, elle fut conduite en taxi dans une petite allée privée construite dans les années 1860 (Sniffen Court), près de la 36ème rue Est à Manhattan, où elle fut mise en scène. La photographie est superbe et donne l'impression d'avoir pris sur le vif une joyeuse bande de forains en vadrouille. Il s'en dégage une impression où l'étrange se mêle au mélodrame, deux caractéristiques qui vont comme un gant à la musique des Doors. Et puisqu'une pochette des Doors ne saurait exister sans une photo du groupe, deux posters identiques avec les portraits des musiciens ont été collé sur les murs de part et d'autre de l'allée : il s'agit en fait d'une image recyclée qui figurait au dos de leur premier album éponyme.

Bien entendu, les deux photos au recto et au verso n'en font qu'une (beaucoup de fans ont été trompés sans savoir que deux nains jumeaux avaient été recrutés) et elle aurait bien mérité de s'étendre sur une double pochette, ce qui ne fut malheureusement pas le cas.

Joel Brodsky est l'auteur de plus de 400 pochettes d'album dont certaines iconiques comme celles de Memphis Underground et Push Push (Herbie Mann), Black Moses (Isaac Hayes), le premier album de Kiss, Planet End et The Restful Mind (Larry Coryell), Small Change (Tom Waits), Astral Weeks (Van Morrison), plus la célèbre photo christique de Jim Morrison intitulée "The Young Lion" (The Best Of The Doors).

Hand. Cannot. Erase.

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La peinture acrylique de Lasse Hoile

Parmi les productions de ces dernières années, l'une des collaborations les plus réussies entre visuel et musique est celle entre Steven Wilson et le photographe danois Lasse Hoile. Et cette collaboration atteint un maximum de perfection sur l'album Hand. Cannot. Erase. de 2015. Ni Hoile ni Wilson n'ont fait de déclaration précise à propos du titre ou de la pochette mais le concept de l'album, qui est lui assez clair, donne quelques indices. Inspiré par la mort solitaire de Joyce Vincent dans un appartement de Londres, le récit, abordé selon une perspective féminine sur le blog dédié à l'album, raconte comment une jeune femme, vivant au cœur d'une cité, se replie sur elle-même, s'isole de tout ce qui l'entoure et finit par disparaître. En tout cas, le mot Erase (effacer) prend déjà tout son sens.

Quant à la photo, Hoile l'a apparemment prise en Pologne où un modèle (qui est également une artiste d'après son blog personnel) nommé Carrie Diamond ou Carrie Grr a été recruté pour personnifier la jeune femme. Plusieurs photos différentes ont été prises qui apparaissent à différents endroits. Sur le profil retenu pour la pochette, Lasse Hoile a étendu une couche de peinture acrylique rouge qui enrobe les cheveux, peut-être parce que l'une des occupations principales du personnage est la peinture (sur le blog de l'album, il y est fait référence à plusieurs reprises : After I finished painting tonight ...). Mais peut-être également, est-ce une façon pour le photographe de faire disparaître la jeune femme dont la figure est en partie gommée (erased) par les traits de couleur. Quoiqu'il en soit, cette étrange image est non seulement très originale mais elle est aussi belle et énigmatique, invitant celui qui la regarde à en savoir plus. Ce qui, après tout, est bien le but recherché de toute pochette de disque.

Magritte designer

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Magritte designer

Les peintres ont souvent fait l'objet d'emprunts pour l'illustration de pochettes de disque (on y reviendra) mais celui qui a le plus inspiré les artistes du monde de la musique est incontestablement René Magritte. Son art surréaliste, qui représente souvent l'action de la pensée sur un objet plutôt que l'objet lui-même, intrigue mais il est aussi très décoratif, ce qui explique sans doute l'engouement des designers pour son œuvre. Les emprunts au peintre belge pour illustrer les pochettes se sont faits selon trois modes :

1) une copie pure et simple d'un tableau existant. C'est le cas de l'album Beck-Ola de Jeff Beck qui reprend la version peinte par Magritte en 1958 de La Chambre D'écoute ou Finnegans Wake de Tangerine Dream qui reprend le tableau Le Beau Monde de 1962.

2) une copie d'un tableau légèrement modifié avec inclusion éventuelle de nouveaux éléments. C'est le cas de l'album The Grand Illusion de Styx qui pastiche Le Blanc-Seing de 1965 ou Dreams (un album de jazz-rock avec Michael Brecker et Billy Cobham), décalqué du tableau Golconde de 1953;

3) Des nouvelles créations, photos ou dessins, inspirées d'un tableau de Magritte que l'on reconnait mais qui portent une nouvelle vision. La plus réussie est la pochette de l'album Late For The Sky de Jackson Browne dérivée du célèbre L'empire Des Lumières peint en 1954, mais Schizophonia de Mike Batt et Frances The Mute de The Mars Volta en sont d'autres exemples. Sans parler du fameux personnage de Magritte en costume noir, cravate et chapeau melon largement utilisé, notamment par Storm Thorgerson pour Pink Floyd (Wish You Were Here) ou Hugh Syme pour Rush (Hemispheres).

Mort en 1967, Magritte n'a pas connu l'enthousiasme qui lui a été réservé plus tard par le monde la musique mais, si cela avait été le cas, nul doute qu'il en aurait été bien amusé.

In The Wake Of Poseidon

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Les 12 Visages de l'Humanité

Si la pochette du premier album de King Crimson a fait l'unanimité par son étrangeté, celle du second, à première vue plutôt naïve, est passée plus inaperçue. Au départ, il s'agit de douze tableaux de personnages intitulés « Les 12 visages de l'humanité » qui furent réalisés en 1967 par l'artiste londonien Tammo De Jongh pour le livre métaphysique The Purpose of Love de Richard Gardner. Ces 12 personnages sont, en partant du haut à gauche : l'enfant (innocence), l'enchanteresse, le fou, l'actrice, le mage, la mère nature, l'observateur (scientifique), le bouffon, le guerrier, l'esclave, le patriarche et la vielle femme. A la demande de Robert Fripp et de Peter Sinfield, ces 12 portraits furent combinés en un seul tableau coloré rebaptisé « Les 12 Archétypes ».

Il n'est pas toujours simple de comprendre la signification des textes philosophico-ésotériques de Garner et de Sinfield mais l'idée générale serait que les 12 Archétypes, qui couvrent tout le spectre de la nature humaine, se complètent différemment et se renforcent mutuellement au sein d'une même personnalité. Un point intéressant est que, contrairement à la plupart des pochettes qui sont généralement conçues d'après les paroles des chansons, c'est au contraire la pochette d'In The Wake Of Poseidon qui a servi d'inspiration à Peter Sinfield pour écrire les textes de l'album et, en particulier, ceux du titre éponyme. C'est ainsi que dans cette dernière chanson, dont la signification globale reste énigmatique, chaque strophe fait référence à un des personnages du tableau.

En fait, peu de gens ont cherché à connaître le sens du visuel et son lien avec les paroles de In The Wake Of Poseidon : la plupart se sont contentés d'écouter la musique du groupe et le texte aussi poétique qu'obscur de Sinfield sans aller plus loin et c'est sans doute mieux ainsi. Il faut dire aussi que la pochette de l'album n'a ni l'impact visuel ni le pouvoir émotionnel de celle du disque précédent où le terrifiant visage dessiné en gros plan par Barry Godber exprimait viscéralement toute la souffrance de l'Homme Schizoïde du XXIe siècle. On ne peut pas gagner à tous les coups !

Et incidemment, si l'envie vous prend d'écouter les galettes cachées sous ces attrayantes pochettes, n'hésitez surtout pas !
Il arrive que la musique s'élève au niveau des œuvres picturales qu'elles ont inspirées (et inversement !)



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