Eliane Elias: Time and Again (Candid), Brésil/USA, 15 juillet 2024
1. At First Sight (5:24) - 2. Falo Do Amor (3:59) - 3. It’s Time (3:57) – 4. How Many Times (5:27) – 5. Sempre (4:25) – 6. A Volta (4:49) – 7. Making Honey (5:26) – 8. Too Late (4:51) Eliane Elias (chant, piano), Marc Johnson (basse acoustique) ; Cuca Teixeira, Edu Ribeiro ou Peter Erskine (batterie) + Invités.
Le nouvel album d’Eliane Elias comprend des chansons originales dont les racines sont brésiliennes et elle les chante en anglais ou en portugais. Elle y est accompagnée comme d’habitude par son mari Marc Johnson à la contrebasse et soit, par un batteur brésilien, soit par Peter Erskine. Mais elle a aussi invité au fil des plages quelques talentueux musiciens qui colorent et enrichissent les textures comme le guitariste Bill Frisell, le vibraphoniste Mike Mainieri (du groupe Seps Ahead dont Eliane fut un temps la pianiste), le chanteur brésilien Djavan, différents guitaristes et percussionnistes brésiliens ainsi que des chœurs. La musique danse comme les vagues de Copacabana et incarne une forme de « tranquilidade ». Sa voix est douce, séduisante, sensuelle et se démarque par un phrasé évocateur. Au milieu de chaque chanson, Eliane se lance dans un solo qui rappelle qu’elle est aussi une grande pianiste maîtrisant toutes les subtilités du jazz le plus raffiné. Les pochettes de ses albums montrent invariablement l’image « pop » et commerciale de la chanteuse en tant que femme blonde, charmante, épanouie, un peu aguicheuse à la Diana Krall, mais la musique qu’elle délivre est unique, poétique et aussi chaleureuse qu’un soleil d’été au Brésil.
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Time and Again sur Amazon (*) ] [ A écouter : At First Sight - It's Time ] |
Hélène Duret Synestet : Live in Belgium (Igloo Records), multinational, 4 octobre 2024
1. Quelque chose à éviter - 2. Hier - 3. Coloured clouds after an exhibition - 4. Pas de nom - 5. Le bonnet - 6. La mesure du possible - 7. Flying low Hélène Duret (clarinette basse, clarinette) ; Sylvain Debaisieux (saxophone ténor) ; Benjamin Sauzereau (guitare électrique) ; Fil Caporali (contrebasse) ; Maxime Rouayroux (batterie)
Le quintet de la clarinettiste Hélène Duret sort, uniquement en digital, un nouvel album live regroupant trois titres enregistrés le 28 janvier 2024 à la Jazz Station à Bruxelles et quatre captés sept mois plus tard, le 13 août, au Gaume Jazz Festival de Rossignol. Deux années après la sortie de l’album en studio Rôles, le Synestet - un nom original qui, rappelons-le, résulte d’une contraction entre « quintet » et « Synesthésie », un trouble de la perception des sensations dans lequel deux ou plusieurs sens sont associés, par exemple quand les sons sont perçus colorés – est resté le même avec, outre Hélène aux clarinettes, Sylvain Debaisieux au saxophoniste ténor, Benjamin Sauzereau à la guitare, Fil Caporali à la contrebasse et Maxime Rouayroux à la batterie. Pas étonnant dès lors que la magie se soit encore renforcée ! Cinq des sept morceaux proviennent de l’album Rôles, les deux autres (Quelque chose à éviter et Coloured clouds after an exhibition) sont extraits de leur premier disque sorti en 2019 : Les Usures. La musique est toujours aussi imprévisible, construite sur des harmonies miroitantes et bénéficiant d’une grande richesse de timbres. Grâce à cette profusion sonore et aux interactions continuelles, on a parfois l’impression d’écouter un orchestre plus grand qu’il n’est en réalité. Mais en dépit de sa complexité et de sa versatilité, les qualités de la musique de Synestet sautent aux oreilles : nuance, inventivité, interaction sans parler des impeccables élans improvisés qui relèvent d’un véritable œcuménisme musical. Seule la complicité sur une longue durée peut conduire à l’expression quasi parfaite d’un tel foisonnement d’idées. Rien ne ressemble à Synestet aujourd’hui, véritable créature organique mouvante, avec un corps protéiforme, un cœur battant et un esprit ouvert sur tous les possibles. Délicat, émotionnel, lyrique, inattendu et toujours aussi beau, Synestet, sur scène ou en studio, est aussi unique que magistral. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Synestet Live in Belgium sur Amazon (*) ] [ Synestet Live in Belgium sur Igloo Records ] [ A écouter : Synestet Live à la Jazz Station, Bruxelles, 6 avril 2022 ] |
Fabrice Alleman : Live at Dinant Jazz Festival (Igloo Digital), Belgique, 2024
1. Long Road (9:49) - 2. Su Un Si (8:06) - 3. Clément (11:01) - 4. Assisi (5:43) - 5. Spirit (9:36) - 6. Just Take It As It Is (8:21) Fabrice Alleman (saxophone) ; Nicola Andrioli (piano) ; Jean-Louis Rassinfosse (contrebasse) ; Mimi Verderame (batterie)
En juillet 2023, le saxophoniste Fabrice Alleman et son quartet étaient invités au festival de jazz de Dinant pour y présenter le projet « Spirit One: Clarity », premier volet d’un triptyque discographique qui a fait l’objet d’un album en studio sorti en octobre 2022. Ce dernier, sélectionné dans ces pages comme disque du mois, a séduit autant les critiques que les amateurs et on pouvait lire à l’époque : « Limpide est le qualificatif qui vient d'abord à l'esprit à l'écoute de ces neuf compositions. C'est le son lui-même qui en est responsable : doux et velouté, il rend les audaces harmoniques agréables et naturelles. Le quartet classique de jazz (saxophone, piano, basse, batterie) réuni par Fabrice tient d'une formation de chambre tant les architectures construites sont d'une fluidité rare. D'ailleurs, quand le Budapest Scoring Orchestra ajoute ses cordes sur deux titres (Assisi et Long Road), l'équilibre est immédiat et l'alliage sonore magistral. Le soprano flotte en suspension, déroule des mélodies délicates, brouille les cartes via des improvisations introspectives et donne à la musique une courbure semblable à celle de l'envol d'un grand oiseau. » C’est donc accompagné par les même trois complices, Nicola Andrioli au piano, Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et Mimi Verderame à la batterie, que Fabrice interprète sur scène, dans un ordre différent, six des huit compositions de l’album studio (en considérant que Spirit Intro et Spirit n'en font qu'une). Bien entendu les durées sont ici considérablement allongées, chaque titre étant l’occasion pour les musiciens de se lâcher davantage dans des improvisations plus étendues et aventureuses tout en conservant l’impact, le charme et la simplicité des pièces originales. La preuve en est que l’émotion reste palpable et l’ambiance aussi enveloppante qu’à l'écoute du disque en studio. Edité par Igloo en digital seulement, ce disque « live » étend et complète avec bonheur l’une des plus belles productions belges de l’année 2022. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Live at Dinant Jazz Festival sur Amazon (*) ] [ Fabrice Alleman sur Igloo Records ] [ A écouter : Spirit (live) - Clément (live) ] |
Rosario Giuliani Quartet : Logbook, Live at Sounds (Hypnote Records), Italie, 2024
1. Backing Home - 2. Interference - 3. MMKK - 4. London by Night - 5. West and Dance - 6. Suite et poursuite II - 7. Suite et poursuite III Rosario Giuliani (saxophone alto) ; Pietro Lussu (piano) ; Dario Deidda (basse) ; Sasha Mashin (batterie)
Ce brillant saxophoniste originaire du Latium en Italie a déjà une vingtaine d’albums à son actif dont quelques perles comme un hommage à Charlie Parker (Tribute to Bird), un autre au cinéma italien (Cinema Italia) et un troisième en compagnie du pianiste Enrico Pieranunzi dédié à la musique de Duke Ellington (Duke’s Dream). Il s’est par ailleurs produit à plusieurs reprises sur les scènes belges et notamment dès l’âge de 29 ans en 1996, au Sounds Jazz Club de Bruxelles. La même année, il fut le premier lauréat du prestigieux concours « Massimo Urbani », ce qui lui ouvrit quelques portes dans le milieu du jazz italien dont il deviendra au fil des ans un des musiciens les plus incontournables. 28 années plus tard, en décembre 2023, Rosario Giuliani était de retour au Sounds pour deux concerts en quartet, avec le pianiste Pietro Lussu (un de ses plus fidèles complices), le bassiste Dario Deidda et le batteur Sasha Mashin, qui donneront naissance à cet enregistrement. Evidemment, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et le saxophoniste alto transalpin, pourtant connu depuis longtemps pour sa fougue et sa maîtrise, joue aujourd’hui avec une assurance et une autorité qui n’appartiennent qu’à ceux qui ont longtemps roulé leur bosse. Composé de sept longs morceaux, le disque déboule en imprimant la saveur d’un jazz sophistiqué, plein de ferveur, ancré dans la tradition mais chargé d’émotion. Si le quartet verse dans la nostalgie du retour avec le premier morceau, Backing Home, la fièvre monte légèrement avec Interference et son groove hard bop en tempo moyen. Le répertoire se déclinera ainsi entre morceaux lyriques et thèmes plus enlevés, avant de se clôturer avec les parties II et III de Suite et Poursuite, une composition qui figurait sur l’album More Than Ever de 2004 et qui avait été reprise sur le disque dédié à Charlie Parker en 2021. Si dans la première partie, le discours musical est celui d'une ballade, la seconde est un véritable brûlot be-bop mettant en exergue l’enthousiasme et le côté incisif du leader et de son quartet. Ce « Carnet de Voyage » est un beau témoignage de ce qui se passe au 28 rue de la Tulipe quand la musique y est particulièrement mémorable. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Logbook, Live at Sounds sur Amazon (*) ] [ A écouter : Rosario Giuliani à propos de Logbook, Live at Sounds - Backing Home ] |
Adam Forkelid : Turning Point (Prophone), Suède, 2024
1. Turning Point - 2. Strive - 3. The Space Between - 4. No Man’s Land - 5. Moving On - 6. The Old House - 7. No Worries - 8. Fragments Adam Forkelid (piano); Niklas Fernqvist (basse); Carl Mörner Ringström (guitare); Daniel Fredriksson (batterie)
Basé à Stockholm et très actif sur la scène suédoise, le pianiste Adam Forkelid a enregistré Turning Point en quartet avec des musiciens locaux : le guitariste Carl Mörner Ringström, le bassiste Niklas Fernqvist et le batteur Daniel Fredriksson. Le dossier de presse fait référence à une « touche nordique » comme composante de la musique, mais ce qu’on entend ici n’a toutefois rien à voir avec le « nouveau jazz nordique » à l’esthétique glacée dont ECM s’est fait une spécialité avec des artistes comme, entre autres, Jan Garbarek, Arild Andersen, Terje Rypdal, Bobo Stenson ou Jakob Bro. S’il est globalement mélodique et parfois lyrique, le jazz d’Adam Forkelid est aussi plus énergique et même, par moments, animé par une guitare électrique dans un style « jazz-rock ». On s’en convaincra à l’écoute du morceau No Worries et surtout de Turning Point, une composition dense stimulée par une rythmique inventive, un pianiste plein de verve, ainsi que par un guitariste électrique à la virtuosité ailée dont le jeu n’est pas sans évoquer le « sweeping » d’un Frank Gambale qui, dans les années 80, marqua de façon indélébile le style de l’Elektric Band de Chick Corea.
Les six titres restants montrent, dans des approches différentes, un groupe de premier ordre mené par un Adam Forkelid talentueux et multifacette : pianiste formé à diverses écoles, compositeur remarquable de l’entièreté du répertoire et leader éclairé qu’un quartet à la sonorité splendide. Tous les thèmes sont attrayants, la musique est moderne tandis que le quartet affiche un réel savoir-faire : après tout, cela fait déjà pas mal d’années qu’Adam écume la scène jazz scandinave avec ses propres groupes ou en compagnie de vedettes du jazz suédois comme Magnus Öström, Dan Berglund, Nils Landgren, ou la chanteuse Viktoria Tolstoy. Turning Point est sorti sur le petit label indépendant suédois Prophone : il ne reste qu’à lui souhaiter de devenir un « point d’inflexion » vers une plus grande reconnaissance internationale.
[ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 20/6/2024 dans la revue JazzMania) ] [ Turning Point sur Amazon (*) ] [ A écouter : The Space Between - Moving On - No Man’s Land ] |
Nduduzo Makhathini : uNomkhubulwane (Blue Note), Afrique du Sud, 7 juin 2024
1. Libations: Omnyama – 2. Libations: Uxolo – 3 : Libations: KwaKhangelamankengana – 4- Water Spirtis: Izinkonjana – 5. Water Spirit: Amanxusa Asemkhathini – 6. Water Spirtit: Nyoni Le? – 7. Water Spirit: Iyana – 8. Inner Attainment: Izibingelelo – 9. Inner Attainment: Umlayez’oPhuthumayo - 10. Inner Attainment: Amanzi Ngobhoko - 11. Inner Attainment: Ithemba Nduduzo Makhathini (piano, chant) ; Zwelakhe-Duma Bell le Pere (basse) ; Francisco Mela (batterie)
uNomkhubulwane est le onzième album du pianiste sud-africain Nduduzo Makhathini et son troisième chef d’œuvre pour le label Blue Note (avec Modes of Communication: Letters From The Underworlds en 2020 et In The Spirit of Ntu en 2022). Cette fois encore, la musique est une combinaison de folk Sud-Africain, de post-bop et de jazz modal qui évoque parfois Abdullah Ibrahim (Omnyama, Amanzi Ngobhoko) et parfois McCoy Tyner, dans sa période Extensions au début des années 70 (Amanxusa Asemkhathini, Izibingelelo). Elle se décline ici sous la forme d’une suite en trois mouvements dont le nom, pour faire court, est celui d’une déesse de la mythologie zouloue. Le leader est accompagné par le batteur vétéran Francisco Mela et par le bassiste Zwelakhe-Duma Bell le Père. Imprégnée de mysticisme africain, la musique enchante avec une composante hypnotique tandis que le pianiste murmure des phrases chamaniques en zoulou et en bantou qui résonnent mystérieusement à nos oreilles. uNomkhubulwane est un disque de jazz hautement spirituel qui parvient, en transcendant les barrières des différentes cultures, à communiquer avec l’esprit humain dans son universalité. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ uNomkhubulwane sur Amazon (*) ] [ A écouter : Water Spirits: Amanxusa Asemkhathini - Inner Attainment: Amanzi Ngobhoko ] |
Arnaud Dolmen et Leonardo Montana : LéNo (Quai Son Records / Samana Production), France, 2024
1. Les Invisibles Part 1 (6:02) - 2. Les Invisibles Part 2 (3:29) – 3. Agora Sim (7:20) - 4. Spirale 1 (1:22) - 5. Romance de la Luna Tucumana (5:30) - 6. Hey Cousin (3:31) - 7. Spirale 2 (1:23) - 8. Zouky Monky (5:53) - 9. Spirale 3 (1:38) - 10. Hajj (5:02) - 11. LéNo (3:30) - 12. Spirale 4 (2:04) Arnaud Dolmen (batterie, glockenspiel et chœurs) ; Leonardo Montana (piano et chœurs)
Voici deux musiciens talentueux dont les racines multiples garantissent un voyage aussi original que coloré : d’un côté, le batteur d’origine guadeloupéenne Arnaud Dolmen, héritier des sonorités et des rythmes du gwoka, et de l’autre, le pianiste Léonardo Montana, né à La Paz, élevé au Brésil et en Guadeloupe avant de devenir Parisien. Ensemble, ils forment un duo rare (la combinaison piano / batterie n’est pas si courante dans la musique moderne même si les deux complices citent le duo Max Roax / Abdullah Ibrahim comme une référence essentielle) et compatible (leurs univers respectifs sont nourris par un goût similaire de la pulsation dynamique et des mélodies ensoleillées). Quant à l’intitulé de l’album, LéNo (pour Léonardo et Arnaud), il traduit dans sa simplicité la synergie qui a permis l’éclosion d’une œuvre dont l’amplitude va au-delà de la somme de ses composantes. L’essence de cette musique transpire dans les deux parties du morceau Les invisibles. Une introduction douce au piano avec des notes qui scintillent comme des cristaux de quartz et puis la batterie qui enveloppe les ostinatos du piano juste avant les chœurs guadeloupéens : libéré de la pesanteur, on voyage jusqu’à l’autre bout de la Terre, emporté par une vague fougueuse sur la mer du capitaine Jack Sparrow. Dans la seconde partie, le duo s’empare d’Afro Blue, ici revisité dans une perspective guadeloupéenne avec un rythme hypnotique enroulé autour du célèbre riff inventé par Mongo Santamaria et répété en boucle. Il y a bien un Zouky Monky qui cite Thelonious Monk et son Evidence, rendant hommage à sa manière toute personnelle de déstructurer le temps, mais l’inclusion de cette référence dans un rythme guadeloupéen en fait quelque chose de résolument nouveau. En fin de compte, « nouveau » est le maître mot de cette musique qui affiche une fraîcheur inouïe dans la relation entre piano et batterie, rythmes et mélodies, poésie et frénésie. Ajoutez à tout ça une prise de son impeccable qui respecte le travail subtil effectué par le duo sur la répartition des fréquences entre les deux instruments et LéNo se hisse aisément dans le peloton de tête des rondelles qu’on gardera comme essentielles au bout de cette année 2024.
[ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 2/8/2024 dans la revue JazzMania) ] [ LéNo sur Amazon (*) ] [ A écouter : Les Invisibles Part 1 - Les Invisibles Part 2 (Afro Blue cover) ] |
Tomasz Stanko Quartet : September Night (ECM), Pologne, 2024
1. Hermento's Mood – 2. Song For Sarah – 3. Euforila – 4. Elegant Piece – 5. Kaetano – 6. Celina – 7. Theatrical Tomasz Stanko (tropmette) ; Marcin Wasilewski (piano) ; Slawomir Kurkiewicz (contrebasse) ; Michal Miskiewicz (drums)
On imaginait bien que Manfred Eicher gardait dans ses archives quelques inédits du grand trompettiste polonais décédé en 2018. Enregistré live au Muffathalle de Munich en septembre 2004 dans le cadre d’un symposium de musique improvisée, ce concert explore une période qui coïncide avec le splendide Suspended Night sorti six mois plus tôt (dont la ballade Song for Sarah est reprise ici). Comme sur ce dernier album, le leader est accompagné par le fameux trio de Marcin Wasilewski incluant le contrebassiste Slawomir Kurkiewicz et le batteur Michel Miskiwicz. Toutefois, la musique de September Nights apparaît moins flottante, moins rêveuse, avec des aspects exploratoires plus proches de l'esthétique de Lontano qui sortira en 2006. L’osmose entre les musiciens, qui jouent ensemble depuis de nombreuses années, est quasi surnaturelle. C’est pour moi le groupe le plus emblématique de Stanko, celui avec lequel il a joué le plus longtemps mais également celui qui m’a procuré le plus d’émoi. Ce concert fascinant d’une grande intensité est un document majeur dans l’œuvre d’un des plus grands trompettistes européens dont le style si particulier, parfois mélancolique et parfois dramatique, a influencé tant de musiciens. Indispensable ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ September Night sur Amazon (*) ] [ A écouter : Song for Sarah ] |
Diederik Wissels & Ana Rocha : Sleepless (Igloo), Belgique, 5 avril 2024
1. Yearn (revisited) - 2. East of Isaura - 3. Sleepless (revisited) - 4. Sundogs - 5. Not So Far - 6. Burning Sky Diederik Wissels (piano) ; Ana Rocha (voix) ; Nicolas Kummert (saxophone ténor)
Sorti en avril 2023, Yearn a été enregistré en quartet. Une année plus tard, le tandem composé du pianiste Diederik Wissels et de la chanteuse Ana Rocha, complété par le saxophoniste Nicolas Kummert, sort un EP digital qui est une œuvre de transition. On y trouve six titres dont deux issus du disque précédent remaniés tant au niveau de la musique que des paroles. Les quatre autres sont de nouvelles compositions qui annoncent peut-être un futur album en trio. L’ambiance est bien sûr toujours aussi envoûtante et il me suffit de reprendre la conclusion de la chronique écrite pour Yearn qui reste entièrement d’actualité : « Symbiose, harmonie, sensibilité et lyrisme sont les maîtres mots de cette musique interprétée par un duo avec un esprit gémellaire dont la chorégraphie lunaire et la force contenue portent le mélomane affranchi de toute pesanteur en des contrées inouïes. »
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Sleepless sur Igloo Records ] [ A écouter : Sleepless (Revisited) - Yearn ] |
Mathieu Robert : Fifteen Resonances (homerecords.be), Belgique, 19 avril 2024
1. Brass (2:10) - 2. Petit Grain Bigarade (1:50) - 3. Time To Prepare (2:38) - 4. Copper (4:36) - 5. Towards Non Duality (2:13) - 6. Morning Light (4:27) - 7. Petrichor (5:49) - 8. Kuse (3:20) - 9. Owl (3:23) - 10. Oshi (2:31) - 11. Poem (4:17) - 12. Towards Non Duality II (2:30) - 13. Miniature (3:20) - 14. Seed (4:25) - 15. I Don't Know Do You (4:20) Mathieu Robert (Soprano Saxophones, Shruti Box, Singing Bowls)
Les 15 titres de cet album sont joués en solitaire sur un saxophone soprano. Il y a une sorte de spiritualité dans cette musique : l’air vibre et rien ne vient perturber le son pur de l’instrument. Brass, le premier titre, fait ainsi penser à un joueur de ney assis sur une dune au crépuscule et qui offrirait ses notes au désert, ajoutant encore à la sérénité de l’instant. Si tout l’album avait été dans cette direction, j’en aurais déjà été satisfait mais, bien sûr, il y a plus. Mathieu Robert a conçu chacune de ses 15 miniatures comme une expérience unique. On entend parfois des improvisations qui semblent structurées même si en l’absence de cadre rythmique et harmonique, il est bien difficile, à nous auditeurs pourtant attentifs, d’en avoir une idée précise. A d’autres moments, le soprano imite les mouvements d’un jardin fantasmé, le bourdonnement d’une abeille, le battement d’ailes d’un oiseau. La musique se réduit alors à des sonorités qui sont autant de preuves de vie d’un monde intérieur mystérieux et foisonnant. Ici, un bol tibétain ajoute quelques sonorités exotiques qui amplifient l’atmosphère de recueillement. Ailleurs, le saxophoniste utilise un surpeti appelé aussi shruti-box, un instrument indien rudimentaire qui produit une sorte de bourdon destiné à accompagner un soliste. Globalement, la tendance reste une musique atmosphérique propice à la méditation, que l’on peut écouter pour ce qu’elle est ou en background si on a besoin de se concentrer sur l’une ou l’autre activité. Ce ni du jazz ni de l’ambient ni du « New Age » mais c’est en tout cas une musique sensible et originale marquée par une grande intériorité.
[ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Fifteen Resonances sur Homerecords.be ] [ A écouter : Brass - Owl ] |
Gary Brunton : Gwawr (Juste une Trace), UK, 26 avril 2024
1. Fort Steven n°5 – 2. Tim’s Tune – 3. Brew Ten – 4. Poem for n°15 – 5. Lansdowne – 6. Energy Master – 7. Loc - 8. Chant in the Night – 9. Gwawr – 10. Jonquilles – 11. What a Dream – 12. In the Paddock – 13. Hawthorne – 14. Ramsbottom CC – 15. Song for BWB François Jeanneau (Saxophone Soprano) ; Paul Lay (Piano) ; Emil Spanyi (Piano) ; Gary Brunton (Contrebasse) ; Andrea Michelutti (Batterie)
Comme on l’avait déjà fait remarquer dans la chronique de l’album précédent, Trên Dydd, Gary Brunton aime les voyages. Avec Gwawr (aube en gallois), il poursuit son périple en train à travers le Pays de Galles, nous invitant à descendre à 14 nouvelles stations en évoquant au passage des moments de sa vie et des personnes qui lui sont proches. La locomotive à vapeur ayant jusqu’ici dévoré les kilomètres avec vaillance, rien n’a été changé : c’est toujours le batteur d’origine italienne Andrea Michelutti, le saxophoniste français François Jeanneau, et soit Paul Lay, soit Emil Spanyi au piano qui font tourner la mécanique sophistiquée de ce quartet voyageur. Cette fois encore, les reprises sont en nombre réduit par rapport aux compositions originales du leader. On n’en compte que trois : le très lyrique Poem for n°15 de Steve Kuhn pourvu d’une splendide introduction à la contrebasse ainsi que Chant in the Night et What a Dream, deux morceaux d’un géant du jazz un peu oublié aujourd’hui : Sydney Bechet. On retrouve sur ces deux derniers titres la joie de vivre et le plaisir de jouer qui caractérisaient le jazz de l’époque de Béchet. Le swing est omniprésent, les parties de saxophone d’une fraîcheur inouïe et la frappe d’Andrea Michelutti très en verve, surtout la partie « jungle » sur Chant in the Night. En revanche, le répertoire comprend trois reprises du disque précédent offerts dans des versions alternatives : Jonquilles joué par le contrebassiste en duo avec Paul Lay, Brew Ten en trio piano/contrebasse/batterie, et le jubilatoire Energy Master Loc. Quant aux neuf nouvelles compositions, ce sont toutes de petits bijoux ciselés à la perfection, avec de vraies mélodies, des solos captivants et une fluidité dans l’expression qui les rendent fort plaisantes à écouter. Certaines sont nostalgiques comme Tim’s Tune qui évoque un moment difficile de la vie du compositeur et d’autres romantiques comme Song for BWB dédié à son épouse mais la plupart (Gwawr, In the Paddock …), véhiculent une indéfectible joie de jouer. Quand la musique de ce quartet résonne dans une pièce obscure, la lumière s’allume toute seule ! [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Gwawr sur Amazon (*) ] [ A écouter : Brew Ten - Energy Master Loc - Gwawr ] |
Ingi Bjarni Trio : Fragile Magic (Autoproduction), Islande, 21 mars 2024
1. Impulsive – 2. Fragile Magic – 3. Visan – 4. Glimpse – 5. Suburb – 6. Uti a götu – 7. Introduction – 8. My Sleepless Nights in June – 9. Einn, tveir, þrír Ingi Bjarni (piano) ; Reinert Poulsen (contrebasse) ; Magnus Trygvason Eliassen (Batterie)
Le pianiste islandais Ingi Bjarni Skúlason semble être un musicien très occupé puisqu’il mène de front pas moins de trois ensembles : un quintet qui nous a livré l’année dernière l’excellent Farfuglar, un quartet dont un album paraîtra probablement en 2024 et un trio auteur de ce Fragile Magic. Enregistré avec le contrebassiste Reinert Poulsen originaire des îles Faroe et le batteur islandais Magnús Trygvason Eliassen, l’album sonne différemment de Farfuglar tout en conservant l’âme « folk » typiquement nordique qui sous-tendait la musique de son prédécesseur. On notera d’emblée l’approche mélodique et parfois, sur certaines plages, un phrasé délicat qui pourrait faire penser à de la musique de chambre classique mais qui n’est pas non plus sans évoquer un autre pianiste comme Tord Gustavsen qui sait lui-aussi associer pour le meilleur un romantisme saturnien à une réelle sophistication des arrangements. Il n’est ainsi pas rare de trouver chez Ingi Bjarni des métriques complexes (écoutez par exemple Visan) qui introduisent des variations intéressantes et une grande fraîcheur dans ses compositions. Le répertoire de ce sixième album du pianiste (et son troisième en trio) est chamarré, engendrant un plaisir d’écoute renouvelé à chaque plage. De l’ambiances introspective de la ballade éponyme sublimée par une contrebasse jouée à l’archet à un morceau plus ouvert comme Suburb dont l’improvisation transpire une réjouissante vitalité, les perspectives sont aussi diverses que séduisantes. J’aime bien aussi Einn, tveir, þrír (Un, deux, trois, comme dans les comptines d’élimination) qui, à partir d’une mélodie simple, se développe lentement en laissant de l’espace pour une splendide partie de basse avant de retomber sur l’ostinato du thème. Tout au long de ce disque, ce trio venu du Nord montre une belle unité d’ensemble qui porte cette musique sensible, à la fois familière et singulière, à un très haut niveau de qualité. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Ingi Bjarni sur Bandcamp ] [ A écouter : Fragile Magic ] |
Julian Lage : Speak to Me (Blue Note), USA, 1er mars 2024
1. Hymnal - 2. Northern Shuffle - 3. Omission - 4. Serenade - 5. Myself Around You - 6. South Mountain - 7. Speak to Me - 8. Two and One - 9. Vanishing Points - 10. Tiburon - 11. As It Were - 5:07 - 12. 76 - 13. Nothing Happens Here Julian Lage (guitare) ; Jorge Roeder (contrebasse, vibraphone, basse électrique) ; David King (batterie) ; Patrick Warren (claviers, piano) ; Kris Davis (piano) ; Levon Henry (saxophone ténor, clarinette, clarinette alto)
Aussitôt son premier album sorti sur EmaArcy il y a quinze ans, le guitariste Julian Lage n’a plus eu grand-chose à prouver en matière de maîtrise de l’instrument. Il lui restait en revanche à s’imposer comme compositeur et metteur en sons, un objectif qu’il poursuivra tout au long de la dizaine de disques enregistrés ultérieurement jusqu’à ce Speak to Me qui se révèle être l’aboutissement magistral d’une belle et longue quête. Avec l’aide de l’habile producteur Joe Henry (on se souvient entre autres de sa formidable contribution, primée aux Grammy Awards, à Genuine Negro Jig des Carolina Chocolate Drops ainsi qu’à The Bright Mississippi d’Allen Toussaint), Julian Lage a délivré un opus majeur offrant des pièces variées aux textures qui se contractent ou se dilatent en fonction des envies. Ainsi, du délicat et classicisant hymnal, qui met en relief l’interaction télépathique entre le guitariste et son contrebassiste de longue date Jorge Roeder, à Nothing Happens Here qui referme l’album sur une mélodie nostalgique dont le potentiel émotionnel se hisse à la hauteur de celui d’un générique de Michel Legrand, les treize titres du répertoire ont chacun un style, une atmosphère, une âme. Tel le héros d’un voyageur imaginaire qui glisserait sur une méridienne à travers une multitude de paysages, le leader nous emmène dans un archipel de compositions singulières dont le seul pont qui les relie est d’avoir toutes été écrites par lui. Il y a le titre éponyme aux accents bluesy ; l’excentrique Northern Shuffle en forme de rock à l’ancienne avec une sonorité de guitare qui évoque Link Wray mais qui s’avère vite plus complexe que prévu ; Omission et sa mélodie pastorale jouée à la guitare acoustique ; une étude en solo (Myself Around You) capable d’enchanter un John Williams toujours en quête d’une extension du répertoire pour guitare classique ; l’étrange South Mountain hanté par des sons avant-gardistes de piano et de clarinette au croisement de la musique ambient de Brian Eno et du folk-rock de Joni Mitchell ; la jolie chanson As It Were qui attend impatiemment qu’on lui écrive des paroles … et d’autres encore qui recèlent leur lot de surprises, l’ensemble constituant une bande sonore aussi harmonieuse qu’éclectique pour un imprévisible road-movie. Avec ce Speak to Me, le guitariste, pourtant virtuose, a réussi à s’effacer derrière l’éloquence de sa musique et ça nous éblouit. Attention : chef d’œuvre ! [ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 16/4/2024 dans la revue JazzMania) ] [ A lire : Julian Lage, plongée dans la culture musicale américaine, interview de Philippe Schoonbrood dans JazzMania] [ Speak to Me sur Amazon (*) ] [ A écouter : Northern Shuffle - Serenade - Nothing Happens Here ] |
Yotam Silberstein : Standards (Jojo Records), Israël / USA, 23 février 2024
1. Serenata - 2. Beija Flor - 3. Low Joe - 4. If I Loved You - 5. Eclypso - 6. Never Let Me Go - 7. Little WIllie Leaps - 8. Stella By Starlight Yotam Silberstein (guitare) ; John Patitucci (basse) ; Billy Hart (drums) + invité : George Coleman (sax ténor)
L’Israélien Yotam Silberstein, né à Tel-Aviv mais aujourd’hui basé à New York, s’est fait une place de choix au panthéon des guitaristes modernes grâce notamment à des albums comme Future Memories (2019) et Universos (2022) qui puisent leur constellation de nuances dans différents endroits de la planète. Ce nouveau projet, le premier à paraître sur le label Jojo Records créé à Jérusalem par le guitariste Simon Belelty pour promouvoir un jazz international de qualité, marque un changement d’orientation puisque Yotam y délaisse ses propres compositions pour réinterpréter à sa manière unique huit standards. La bonne nouvelle est qu’il ne s’agit pas de scies mille fois entendues, mais de morceaux choisis non seulement pour leurs splendides mélodies mais aussi, dumoins pour certains d’entre eux, pour leur relative discrétion au sein du répertoire jazz, comme Serenata jadis interprété par Joe Pass, Beija Flor de Nelson Cavaquinho, ou Eclypso de Tommy Flanagan joué autrefois par Coltrane et Kenny Burrell. D’emblée, le son pur et clair de la guitare emporte l’adhésion d’autant plus que le leader est accompagné par deux vétérans qui savent mettre en valeur, avec autant de talent que de modestie, les projets auxquels ils ont accepté de collaborer : le contrebassiste John Pattitucci (64 ans) et le batteur Billy Hart (83 ans). Après l’énoncé de la splendide mélodie de Serenata, à l’origine une sérénade au style latin écrite pour orchestre en 1947 par le compositeur américain Leroy Anderson et popularisée par Nat King Cole, c’est un plaisir d’écouter la délicatesse du toucher et le phrasé fluide de Yotam qui s’envole dans de gracieux chorus. Le tapis rythmique est à la fois riche et dynamique : John Pattitucci, qui joue ici exclusivement de la contrebasse marquée par une sonorité douce et boisée, y prend un solo d’anthologie tandis que Billy Hart témoigne tout du long d’une extraordinaire réactivité, délivrant vers la fin des breaks à couper le souffle. Les mêmes qualités sont réitérées dans les six titres joués en trio, mais il y a une surprise : deux plages sur lesquelles le leader a invité un autre vétéran, le saxophoniste ténor George Coleman – celui-là même dont Miles disait « qu’il peut tout jouer avec une quasi-perfection » – qui est venu avec une de ses compositions, Low Joe. À l’âge de 88 ans, son jeu sur la ballade Never Let Me Go, un standard de Jay Livingston, est resté aussi lyrique et prenant qu’autrefois. Du swing au be-bop et du jazz latin à la ballade, cet album rend certes hommage au jazz classique, mais il le fait avec une fraîcheur inouïe. Ce qu’on a la chance d’entendre dans ce répertoire rappelle qu’avec du talent, les standards du jazz peuvent encore être exaltés. Une très belle leçon de style ! [ Chronique de Pierre Dulieu (initialement publiée le 14/3/2024 dans la revue JazzMania) ] [ Standards sur Amazon (*) ] [ A écouter : Never Let Me Go - Beija Flor ] |
Arve Henriksen & Harmen Fraanje : Touch of Time (ECM), Norvège/Pays-Bas, 26 janvier 2024
1. Melancholia – 2. The Beauty Of Sundays – 3. Redream – 4. The Dark Light – 5. What All This Is – 6. Mirror Images – 7. Touch Of Time – 8. Winter Haze – 9. Red And Black – 10. Passing On The Past Arve Henriksen (trompette, électronique) ; Harmen Fraanje (piano)
Ce nouvel album du trompettiste norvégien Arve Henriksen et du pianiste néerlandais Harmen Fraanje a été enregistré en janvier 2023 à l’Auditorio Stelio Molo de Lugano sous la direction artistique de Manfred Eicher. Une relation musicale surprenante s’est établie entre les deux musiciens les amenant à créer des atmosphères empreintes d’une grande douceur lyrique. On ne trouvera ici que des mélodies et des textures délicates en phase avec le développement d’une idée musicale partagée par les deux complices. Les thèmes soigneusement travaillés sont complété par des passages librement improvisés, les deux instruments s’enchaînant avec grâce, chacun semblant constamment reprendre et terminer les phrases de l’autre. Initiée en 2019 à Utrecht, aux Pays-Bas, la collaboration entre Harmen et Arve s'est depuis transformée en un duo fructueux. Selon les mots de Harmen : « Avec Arve, dès le début, il nous a semblé si facile de nous retrouver dans la musique, de suivre le flux de la mélodie et de ressentir les harmonies émergentes. Après le tout premier concert, nous avons immédiatement réalisé que nous devions continuer à jouer ensemble – et un nouveau duo est né. » Les deux musiciens considèrent Touch of Time comme étant le reflet parfait de leur rencontre musicale. C’est un disque magique et plein de nuances dans lequel la connivence a joué un rôle essentiel. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Touch of Time sur Amazon (*) ] [ A écouter : Melancholia ] |
Loris Tils : Mystic Bayou (Autoproduction), Belgique, 22 décembre 2023
1. Lyle's Fall (5:10) - 2. Vision (1:27) - 3. Mystic Bayou (1:34) - 4. Juke Box (4:43) - 5. Meet Isobel / Mystic Bayou (reprise) (5:01) - 6. Vision (Reprise) (1:36) - 7. Run, Boy, Run (6:46) - 8. Epilogue (2:57) - 9. Dream Team (5:27) Loris Tils: (basse, claviers, synthés, electronic drums & samples programming) ; Greg & Micka Chainis (guitares) ; Sam Rafalowicz (batterie, percussions) + Guests
Mystic Bayou est un projet multimédia qui regroupe différentes approches artistiques, ici en l’occurrence un disque de musiques originales accompagnant une nouvelle d’un peu moins de 60 pages. Certes le concept n’est pas neuf (citons David Wright par exemple avec The Lost Colony) mais il n’en est pas moins intéressant. Dans ce cas, Loris, qu’on sait friand de cinéma et de bandes originales de film (rappelez-vous l’excellent Chic Invaders), a d’abord conçu la musique sur laquelle Nicolas Dieu a écrit un texte dans un style néo-polar. Les paragraphes directement reliés au disque sont écrits en bleu (tandis que le reste est en noir), ce qui permet au lecteur qui le souhaite de s’immerger plus profondément dans l'ambiance. Bien sûr, l’appréciation de ce récit de kidnapping dans les bayous de la Louisiane dépendra de votre intérêt pour ce genre d’histoires mais, quoi qu’il en soit, la musique peut aussi s’écouter de manière indépendante. Dès le premier titre (qui débute par le son d’une aiguille déposée sur un « long playing »), on retrouve un certain climat similaire à certaines musiques de films et séries, celles composées notamment par des Lalo Schifrin, Jerry Fielding et autres Alan Silvestri. Certains titres sont courts (comme dans les soundtracks) pour s’adapter à une séquence particulière du récit. D’autres prennent le temps d’installer des atmosphères particulièrs. Ainsi en est-il de Juke-Box qui illustre un jazz-club enfumé avec barman, shérif et autres consommateurs pittoresques passablement éméchés ou de Mystic Bayou et sa mélodie simple et menaçante, digne d’un film de John Carpenter. Avec ses cocottes de guitare et sa basse funky, Run Boy Run renvoie à la blaxploitation des années 70 : cette musique censée accompagner une poursuite dans le bayou aurait tout aussi bien pu mettre en valeur les aventures de John Shaft à Manhattan ou de Pam Grier / Coffy en panthère noire de Harlem. Quant au funky Dream Team, on le prendra comme un générique de fin destiné à pousser les spectateurs vers la sortie pour y retrouver la vie trépidante de la cité. Pas de doute : Loris Tils a le sens de la narration. Avec ses compositions, il sait comment souligner une histoire, faire naître une émotion ou créer une ambiance propice à l’imagination. Les producteurs et réalisateurs de polars et de séries B pour le cinéma et/ou la télévision devraient s’en souvenir pour leurs futurs projets : ça lui ouvrirait une autre porte pour l’expression de son indiscutable talent. [ Chronique de Pierre Dulieu ] [ Mystic Bayou sur Bandcamp ] [ A écouter : Lyle's Fall - Run, Boy, Run ] |
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