Jazz & Fusion : Sélection 2018


Chroniques de Pierre Dulieu et Jean-Constantin Colletto





Retrouvez sur cette page une sélection des grands compacts, nouveautés ou rééditions, qui font l'actualité. Dans l'abondance des productions actuelles à travers lesquelles il devient de plus en plus difficile de se faufiler, les disques présentés ici ne sont peut-être pas les meilleurs mais, pour des amateurs de jazz et de fusion, ils constituent assurément des compagnons parfaits du plaisir et peuvent illuminer un mois, une année, voire une vie entière.

A noter : les nouveautés en jazz belge font l'objet d'une page spéciale.


VentriloquismMeshell Ndegeocello : Ventriloquism (Naïve Records), USA, 16 mars 2018.

1. I Wonder If I Take You Home (Lisa Lisa and the Cult Jam) (04:43) - 2. Nite and Day (Al B. Sure!) (04:59) - 3. Sometimes It Snows in April (Prince) (07:05) - 4. Waterfalls (TLC) (04:34) - 5. Atomic Dog 2017 (George Clinton) (06:27) - 6. Sensitivity (Ralph Tresvant) (03:43) - 7. Funny How Time Flies (When You’re Having Fun) (Janet Jackson) (04:33) - 8.Tender Love (Force MDs) (02:41) - 9. Don’t Disturb This Groove (The System) (04:37) - 10. Private Dancer (Tina Turner) (04:50) - 11. Smooth Operator (Sade) (05:17)

Meshell Ndegeocello (basse, chant et production) ; Chris Bruce (guitare) ; Abraham Rounds (batterie) ; Jebin Bruni (claviers et coproduction). Enregistré à Los Angeles en 2017 par S. Husky Höskulds chez Groundlift Research & Development. Enregistrement supplémentaire par Pete Min à Los Angeles au Lucy's Meat Market. Mixé et masterisé par Pete Min.


Meshell Ndegeocello fait appel à une pratique ancienne de quatre cents ans avant JC pour nous proposer une playlist personnelle dans son onzième album, Ventriloquism. Ce n’est pas la première fois que la chanteuse bassiste produit un CD de reprises. En 2012, son album Pour Une Âme Souveraine (A Dedication To Nina Simone) reprenait quatorze titres de son mentor Nina Simone. Déjà pour cette performance, Meshell avait proposé des versions tout à fait différentes des morceaux originaux (mis à part House Of The Rising Sun) et on se souvient de l’interprétation surprenante sous forme de balade de Feelin’ Good qui n’en diminue pas la force du texte. Pour Ventriloquism, la musicienne va plus loin : «j’aime l’idée de transformer les grands succès que j’ai aimés en quelque chose d’un peu moins familier. L’idée de cet album était surtout de mettre en valeur l’écriture de ces chansons, tout en les extirpant du ghetto de leur genre d’origine.»

Le titre de l’album peut surprendre, mais c’est parce qu’elle chante les mots des autres qu’elle l’a choisi. Elle ajoute : «j’ignore de quelle manière la ventriloquie est perçue en Europe, mais aux Etats-Unis, son histoire est assez compliquée car les ventriloques blancs avaient l’habitude d’utiliser des poupées noires pour raconter leurs histoires.» Cette chronique se propose de lui répondre.

La pratique de l’illusionnisme a inspiré beaucoup de dessins animés, séries, films, dont on peut citer : La Nuit du Pantin, Dead Silence... Mais c’est bien la première fois que la ventriloquie inspire une création musicale. Une rapide recherche nous permet de trouver la première trace historique de cette pratique avec le poète grec comique Aristophane. Platon en parle aussi dans son dialogue Le Sophiste : «...ils logent chez eux comme on dit l'ennemi et l'opposant et marchent en portant une voix qui résonne en leur intérieur comme l'étrange Euryclée.» Nous ne sommes pas plus avancés, d’autant plus que, dans des temps reculés, certains ventriloques ont été brûlés par peur et croyance qu’ils étaient possédés. Même la définition du dictionnaire ne semble pas nous aider : «un ventriloque est un illusionniste qui utilise ses cordes vocales et non son ventre pour prêter la parole à un autre personnage, généralement une marionnette, en émettant les paroles sans bouger les lèvres.»

Pour aller plus loin, l’aide d’un ventriloque professionnel est donc indispensable. Oui ! Ecrire une chronique peut mener à prendre un cours ou tout au moins un rendez-vous chez un professionnel du ventriloquisme. Ce dernier confirme que les ventriloques sont des artistes de la scène, aussi il est formellement recommandé de suivre des cours de musique, d’improvisation, d’écriture. Il semblerait que nous tenons le filon : les trois disciplines sont maîtrisées par Meshell qui a déjà adopté, à l'adolescence, le nom de Ndegeocello, «libre comme un oiseau» en langue swahili. C’est pendant cette période que la musicienne a découvert tous les titres repris dans Ventriloquism mis à part Waterfalls sorti en 1990. Mais notre ventriloque professionnel insiste sur le point le plus important dans l’apprentissage du ventriloquisme : le choix de la marionnette, ou plutôt du partenaire que l’on souhaite, car il est indispensable de s’assurer que la personnalité de la marionnette soit différente de celle du ventriloque, afin de donner l’illusion d’avoir deux personnes distinctes. Par exemple, si l’illusionniste est plutôt une personne gentille et responsable, il faut faire du personnage un farceur malicieux. Et dernier point, il faut être convaincu que le partenaire est vivant et, dès que la main est glissée dedans, ne plus le traiter comme une poupée ou un jouet, mais plutôt comme un membre de la famille !

Revenons à l’écoute de Ventriloquism, il semble que la chanteuse bassiste applique les principes de base du ventriloquisme. Dès qu’elle aborde une reprise, elle ne la traite plus comme le morceau original. L’exemple le plus frappant est Smooth Operator, un morceau, sorti en 1984, qui a été diffusé en boucle pendant plusieurs mois. Sans une écoute attentive, avec son introduction parlée peu connue, il est quasi impossible de le reconnaître dans la forme proposée par Meshell. La musicienne arrive à nous faire oublier les versions originales, en augmentant la force et l’intensité du message. Dans Funny How Time Flies, elle change les paroles de Janet Jackson, remplaçant «le temps s’enfuit, je t’aime mon chéri...» par un «je suis désolée de devoir partir, mon visa va bientôt expirer…» qu’elle interprète dans un français parfait, donnant ainsi une dimension politique au morceau. L’orchestration et l’arrangement vont également dans ce sens : l’introduction de cordes frottées, claviers électroniques et voix grave pour la version 2018 donne le ton déchiré lié au thème de l’émigration, tandis que le début au Bar Chimes de la version originale de Janet, avec un timbre plus clair caractéristique des Jackson, engendre une ambiance romantique.

Ndegeocello est une artiste engagée, le choix de la pochette de l’album reprenant l’image du mouvement Act’Up New York (Association de Lutte internationale contre le SIDA, qui dans les années quatre-vingt-dix milita pour les droits des lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres) le prouve. On peut dire que son personnage de ventriloquisme est une marionnette qui ne transforme pas la réalité, ce qui est souligné dans Private Dancer par un message plus sombre que la version originale de Tina Turner. La marionnette de Meshell est un partenaire humaniste et politique qui utilise la musique pour véhiculer un message d’espoir : la vidéo de Waterfalls, tournée en Islande et réalisée par Damani Baker, met l’accent sur la nécessité de l’entraide indispensable entre les peuples pour continuer à avancer. Ce clip est le fruit d’une collaboration avec le Programme d’Etudes et de Formation de l’Université des Nations Unies, une partie des bénéfices de l’album sera reversée à l’Union américaine pour les Libertés civiles. Chaque piste mériterait une analyse et une étude comparative avec la version originale, mais l’écoute de cet album permettra à tous d’en trouver les messages.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Ventriloquism (CD, MP3, Vinyle) ]
[ A écouter : Waterfalls - Sometimes It Snows In April ]


El DuendeDiogo Vida Trio : El Duende (Indépendant), Portugal, 20 avril 2018

1. Decision (5:27 - 2. Arpeggione (7:15) - 3. Duende (6:55) - 4. Kembee (5:26) - 5. Farland (6:03) - 6. Home Again (4:57) - 7. Wapita! (6:32) - 8. Vendaval (2:56)

Diogo Vida (piano, composition); Yuri Daniel (basse électrique); Vicky Marques (drums). Enregistré les 11 et 12 décembre 2017 à Atlantico Blue Studios, Portugal.


Decision, le premier titre du répertoire, en met plein les oreilles. Ce trio qui m'était inconnu jusqu'ici met la gomme et délivre un jazz ludique dans la plus belle tradition du Bop mais avec un son actuel. La basse particulièrement volubile de Yuri Daniel est en effet électrique et la batterie de Vicky Marques surprend par sa sonorité sèche, sa précision diabolique et sa faculté à rebondir avec gourmandise. Quant à Diogo Vida, la densité de son jeu et ses improvisations sur les chapeaux de roue sont à couper le souffle. Une belle introduction pour un album : après un morceau comme celui-ci, on se sent éveillé et prêt à écouter ce qui suit avec la plus grande attention.

D'origine portugaise, le leader possède cette touche indéfinissable qui lui permettant d'aborder l'art hispanique avec une assurance toute naturelle. On la ressent bien dans le morceau Duende où la saudade est présente en filigrane. Avec Arpeggione, dont l'intitulé se réfère davantage à une composition construite sur des arpèges qu'à la guitare-violoncelle à six cordes dont s'était entiché Schubert, la mélodie l'emporte sur le rythme, installant une forme de lyrisme en parfaite interaction avec le jeu du bassiste dans une approche structurée qui doit quelque chose à la musique classique. Sur le très beau Kembee, Yuri Daniel s'octroie un long et mémorable solo de basse qui s'envole dans des phrases nostalgiques de toute beauté. Farland et Home Again confirment la maîtrise du trio et sa capacité à jouer en toute simplicité des thèmes contrastés et attachants. Sur Home again, on accordera une attention particulière à la frappe mordante de Vicky Marques qui, vers la fin, dynamite la composition d'une manière fort expressive. Wapita renoue avec le bop du début avant un Vendaval court mais enjoué qui vient clôturer l'album sur une note légère où perce encore l'influence de la musique classique.

D'après sa biographie, Diogo Vida n'en est pas à son premier disque mais sa réputation, qui s'est pourtant étendue jusqu'à la très dynamique scène jazz de Barcelone, ne semble pas encore avoir franchi la barrière des Pyrénées. Toutefois, avec ce El Duende qui, sans recourir aux clichés de la musique espagnole, mêle swing et lyrisme dans une approche moderne et rafraichissante, ça pourrait bien changer.

[ El Duende sur Bancamp ]
[ A écouter : Arpeggione ]


ManifestoJeff Herr Corporation Featuring Adam Rogers : Manifesto (Igloo IGL 289), 2018

1. Steam Driven (7:34) - 2. On my Own (12:07) - 3. Resistance (5:50) - 4. Merry-go-round (2:07) - 5. Love Charlatan (6:04) - 6. Same Girl (4:20) - 7. Moon Glow (10:56) - 8. Manifesto (7:27)

Jeff Herr (drums); Maxime Bender (saxophone); Laurent Payfert (contrebasse) + Adam Rogers guitare : 2, 7 & 8)


Après Layer Cake sorti en 2004, le batteur luxembourgeois Jeff Herr refait surface avec son trio inchangé pour un nouveau disque, intitulé Manifesto, déjà sorti au Luxembourg en décembre dernier. Son jazz toujours tranchant et organique profite de l'expressivité du saxophoniste ténor Maxime Bender qui n'est pas sans rappeler celle, généreuse et fougueuse, de Sonny Rollins. Les six compositions originales du répertoire sont toutefois variées et méticuleusement agencées de manière à générer des atmosphères différentes, parfois au sein d'un même morceau. Ceci rend le disque fort agréable à suivre depuis le premier titre mené à toute vapeur (Steam Driven) jusqu'au dernier thème éponyme (Manifesto) porté par un rythme irrésistible où la grosse caisse joue les vedettes. Il convient d'épingler ici la qualité de l'enregistrement et du mixage, plus proche de ce qu'on entend dans le monde du rock que dans celui du jazz.

Trois de ces six compositions originales sont interprétées sans instrument harmonique, ce qui procure une grande liberté d'action à cette corporation que l'on sent soudée par de multiples concerts. Mais une la grande différence par rapport au disque précédent consiste en la présence en studio, sur les trois autres morceaux, du guitariste newyorkais Adam Rogers dont les albums sur le label Criss Cross, notamment avec Scott Colley et Chris Potter, ont laissé des traces rémanentes. Du coup, ces titres prennent d'autres teintes, la six-cordes en parfaite conjonction avec la contrebasse de Laurent Payfert apportant de chouettes couleurs harmoniques à On My Own, s'envolant dans un solo tout en retenue et délicatesse sur Moon Glow ou improvisant avec frénésie au-dessus de la pulsation foisonnante du leader sur l'excitant Manifesto.

Et puis, il y a une grosse friandise en sucre sur le gâteau : une reprise de Same Girl, une chanson écrite par l'un des princes de la bande originale de film, Randy Newman. Le trio en donne une magnifique et singulière interprétation où la mélodie est jouée à la contrebasse tandis que les paroles sont récitées avec une belle éloquence par Lata Gouveia. Rien à dire : Manifesto est un disque réussi qu'on prendra plaisir à écouter chez soi en attendant l'occasion de voir le trio sur scène un jour prochain.

[ Manifesto (CD & MP3) ]
[ A écouter : Manifesto (teaser) - The Funky Monkey (from Layer Cake) ] [ ]



Dave Grusin & Jazz Soundtracks


Dave Grusin : The Friends Of Eddie Coyle
, USA 1973 - Réédition (LP WeWantSounds), 2018


A l'occasion de la Journée du Disque qui s'est tenue hier, 21 avril 2018, le label WeWantSounds a réédité en vinyle la bande originale du film The Friends Of Eddie Coyle déjà sortie sur CD en 2012 couplée avec la célèbre partition de Three Days Of The Condor. Pour ce film noir réalisé en 1973 par Peter Yates (le réalisateur de Bullitt), avec Robert Mitchum en truand solitaire évoluant dans les faubourgs dépressifs de Boston, Dave Grusin a concocté une musique en demi-teintes, mi-jazz mi-funky comme en composaient dans les 70's des maîtres du genre comme Lalo Schifrin, Jerry Fielding ou Quincy Jones. On retrouvera sur cette bande hypnotique, dont les morceaux courts se succèdent en formant une suite unique, quelques musiciens stars du jazz d'Hollywood comme les saxophonistes Tom Scott et Bud Shank, le bassiste Chuck Rainey, et les batteurs Larry Bunker et Joe Porcaro. En plus de notes inédites intéressantes, le vinyle est emballé dans une superbe nouvelle pochette réaliséee par le designer Oliver Barrett, spécialisé dans les versions alternatives de posters de films, qui a ici imaginé une illustration dans la lignée de celles des grands films policiers de l'époque. Pour les amateurs du genre, c'est une aubaine à ne pas rater d'autant plus que c'est pour fêter un évènement bien sympathique lié à la survie des disquaires.

C'est aussi l'occasion de vous présenter 12 bandes originales de films célébrant le mariage réussi du jazz et de l'écran, surtout dans des films noirs et/ou policiers où les ambiances urbaines et mystérieuses offrent un contexte qui s'accorde particulièrement bien à ce genre de musique. Certaines de ces bandes sont devenues légendaires comme Ascenseur Pour l'Echafaud de Miles Davis ou The Man With The Golden Arm d'Elmer Bernstein mais en voici d'autres tout aussi brillantes qui ne viennent peut-être pas tout de suite à l'esprit.

Dave Grusin : Three Days Of The Condor (1975). Excellente bande musicale jazz-soul-funky composée par Grusin pour le film d'espionnage de Sydney Pollack dans lequel Robert Redford, englué dans un complot qui le dépasse, lutte tout seul contre l'univers. Superbes arrangements qui font parfois penser à Shaft.

David Shire : The Taking of Pelham One Two Three (1974). Ce compositeur américain a écrit de superbes partitions pour des films comme The Conversation de Francis Ford Coppola ou All The President's Men d'Alan J. Pakula mais celle-ci, moins connue, est plus jazz et musclée dans l'esprit de ce polar d'action réalisé par Joseph Sargent.

Duke Ellington : Anatomy Of A Murder (1959). La première BOF écrite par Ellington pour le film d'Otto Preminger est une vraie réussite. Plus basée sur l'émotion dramatique que sur l'action, cette bande musicale épouse parfaitement les atmosphères de ce film de crime. La partition, qui s'écoute de manière indépendante, a remporté un Grammy Award en 1959 et, franchement, elle le mérite.

Elmer Bernstein : The Man With The Golden Arm (1955). Fantastique musique composéepour le classique d'Otto Preminger par Bernstein qui, pour l'interpréter, a recruté la crème du jazz West Coast comme le batteur Shelly Manne et le trompettiste arrangeur Shorty Rodgers. Indémodable !

Jerry Fielding : The Gauntlet (1977). Sympathique partition de jazz et de soul pour ce thriller de et avec Clint Eatwood. Le saxophoniste Art Pepper et le trompettiste Jon Faddis sont les solistes de cette musique évocatrice que l'on peut aussi écouter sans le support des images.

Jerry Goldsmith : Chinatown (1974). Goldsmith n'est pas un spécialiste du jazz mais il sait tout faire. Pour ce film de Roman Polanski plus noir que noir, il a combiné jazz et mélodies de façon moderne en faisant interpréter sa musique par un orchestre à l'instrumentation bizarre incluant plusieurs harpes et pianos, une trompette (le virtuose Uan Rasey), des percussions et une section de cordes.

Krystof Komeda : Knife In The Water (1962). Le créateur du thème de Rosemary’s Baby a écrit cette musique 100% jazz pour ce film en noir et blanc de Roman Polanski qui lança sa carrière. La musique moderne et la manière étrange qu'à le réalisateur de filmer procurent à ce petit film intimiste une intense émotion dramatique.

Lalo Schifrin : Bullit (1968). Un autre polar de Peter Yates avec Steve McQueen. Selon moi, la meilleure bande du genre. La musique accompagnant les déambulations du héro dans les rues de San Francisco (comme On the Way to San Mateo) constitue l'une des meilleures partitions originales jamais écrites pour le cinéma de genre.

Lalo Schifrin : Dirty Harry / Music from the Motion Pictures (1971 - 1983). Mieux vaut opter pour cette anthologie sortie en 2001 qui réunit les grands thèmes écrits par le compositeur argentin pour les trois films Dirty Harry, Magnum Force et Sudden Impact. Après Bullitt, qui d'autre que Schifrin pouvait le mieux accompagner les patrouilles du héros controversé, interprété par Clint Eastwood, dans les quartiers glauques de SF ?

Martial Solal : A Bout De Souffle (1960). L'autre grande bande sonore française de jazz composée et interprétée par le pianiste Martial solal qui épouse avec brio le style nouvelle vague de Jean-Luc Godard.

Miles Davis : Ascenseur Pour l'Echafaud (1957) : cette improvisation nocturne et feutrée devant les images du film de Louis Malle, avec Miles, Barney Wilen, René Urtregger, Pierre Michelot et Kenny Clarke, est depuis longtemps devenue culte et n'en finit plus d'être rééditée avec de nouveaux titres inédits. La prochaine et ultime réédition prévue est pour le 18 mai 2018.

Quincy Jones : They Call Me Mister Tibbs (1970). Difficile de choisir une bande musicale de Quincy Jones tant, de The Slender Thread à The Getaway en passant par In The Heat Of The Night, elles sont toutes excellentes. J'ai toutefois une petite préférence pour le jazz urbain, légèrement funky et terriblement laid-back de They Call Me Mister Tibbs!



Le Cercle ChromatiqueLe Cercle Chromatique (Indépendant), France, 16 mars 2018

1. Baki da Fari Jungle (4:30) - 2. Apex Pyramis (8:45) - 3. Interlude 1 (1:51) - 4. Waldo (5:25) - 5. Mont-Blanc (5:37) - 6. Interlude 2 (2:03) - 7. La Cave à La Porte Bleue (6:26) - 8. Scaffold (6:10) - 9. Maria Gasolina (6:25)

Benjamin Cohen-Lhyver (piano, compositions, arrangements); Mattéo Galan (vibraphone); Matthieu Oudinot (trompette); Sébastien Auget (saxophone); Jonas Tessier (basse); Guillaume Mauboussin (drums) + Tristan Bodin (chant sur 9)


Ce sextet français se définit lui-même comme étant un groupe de jazz-funk fusion aux influences disparates qui vont de Gershwin à Zappa en passant par Miles Davis. Voilà un éventail bien large pour un récital que l'on découvre certes très varié mais aussi pourvu d'une belle homogénéité. Toutefois, cette production ne repose pas sur une suite de rythmes endiablés et répétitifs mais plutôt sur une musique sophistiquée riche en belles mélodies et qui, de surcroit, séduit par des arrangements d'une clarté limpide.

Les morceaux les plus énergiques, comme Baki Da Fari Jungle et Waldo, délivrent un funk subtil souligné par des lignes de cuivres qui n'a rien de caustique. La mise en place est soignée et le son est lisse, l'orchestre réveillant davantage quelques grands souvenirs cinématographiques quand, par exemple, Lalo Schifrin accompagnait d'un groove félin les rugissements de la Ford Mustang de Bullitt dévalant les rues de San Francisco. Cette impression que l'on a d'écouter parfois une bande sonore existe également sur d'autres titres. Ainsi les deux interludes quasi-classiques interprétés par le pianiste Benjamin Cohen-Lhyver engendrent-ils une atmosphère rêveuse à la Debussy qui collerait comme un gant à des images romantiques en technicolor.

Apex Pyramis démontre tout le soin apporté aux compositions. La rythmique est légère, les cuivres efficaces dans leur gestion de l'espace sonore et les solistes font preuve d'imagination, en particulier le vibraphone de Mattéo Galan qui délivre ici des ondes sonores aussi exquises qu'inédites. Sur Mont-Blanc, le sextet se fait impressionniste avec une trompette lyrique portée par un piano dont les notes cristallines évoquent la blancheur immaculée de la haute montagne. L'album se termine sur Maria Gasolina qui comprend un texte en français écrit et chanté par Tristan Bodin, un morceau encore différent qui tire in extremis la musique dans une nouvelle direction sans pour autant perdre de vue la dimension cinématographique de l'album.

En fin de compte, Le Cercle Chromatique porte bien son nom : la musique procède d'un titre à l'autre par des variations douces tout en insistant sur les contrastes. Ces différentes nuances contribuent ainsi à une perception générale évolutive d'un album aux couleurs multiples. On est dès lors bien loin de la définition étriquée d'un groupe de jazz-funk fusion au sens où on l'entend habituellement.

[ Le Cercle Chromatique (MP3) ] [ Le Cercle Chromatique sur Bandcamp ]


Plaisir ModerneScratchophone Orchestra : Plaisir Moderne (Label 10h10), France, 9 février 2018

1.Mon Héroïne (3:30) - 2. My Little Dream (4:09) - 3. Trump (3:57) - 4 That Girl (3:52) - 5. Lazy Lady (3:55) - 6 Dance in White (4:19) - 7. Keep Smoking (4:01) - 8.Pour Le Plaisir (3:48) - 9. Cabotin (3:25) - 10. First Man (3:29) - 11. Pacemaker Sisters (4:05) - 12. Clubbing with Django (3:27)

Aurélien Mourocq (chant, clarinette); Clément Royo (scratch, programmation, guitares, percussions, chœurs); Gabriel Bonnin (violon, programmation, chœurs); Armand Delaval (contrebasse, synthétiseur, chœurs) + Invités : Pierre Mager (guitare manouche : 8); Sylvain Roudier (saxophone : 2, 9); Pauline Bourguère (scie musicale : 5); Cathy Greuzat et les élèves de CM1 de l'école primaire de Langeais (chœurs : 3); Romain Noël (piano stride :4). Enregistré et mixé par fabien Tessier en octobre et novembre 2017 au studio Tram 28 (France).


Monsieur Scratching et Madame Swing ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur premier album Plaisir Moderne au sein du Scratchophone Orchestra. Le premier lui a donné ses sons percussifs et ses effets sonores issus du monde hip hop, la seconde lui a insufflé l'ambiance des nuits des années 1920 à 1940 où le charleston promu par Joséphine Baker aida à supporter la grande dépression. Mais comment cette union a-t-elle pu être possible ? Même si les deux géniteurs viennent du même continent, la différence d'âge d'une cinquantaine d'années choque l'Homo sociologicus, nous confirmerait le sociologue Pierre Bourdieu s'il pouvait être des nôtres.

Une étude des relations dans ce couple original montre que la parité est de rigueur entre musique instrumentale et production électronique. Il est hors de question qu'un des deux courants artistiques soit privilégié. N'est-il pas insupportable d'entendre dans les chambres de maternité cette phrase « c'est le portrait craché de son père ou de sa mère » ? Même si cela rassure le visiteur, le résultat est toujours de faire plaisir à un des parents et de décevoir l'autre. Avec Plaisir Moderne, pas de souci de classer l'album dans un genre et bon courage aux disquaires qui risquent par dépit de le ranger à la lettre S, en ayant regardé à plus de deux fois l'orthographe du nom du groupe (même sur la chaîne YouTube officielle du groupe, une erreur d'orthographe rapidement corrigée a été remarquée par un youtubeur sur le nombre de 'c').

Un peu d'histoire du groupe peut aider à comprendre le phénomène Scratchophone Orchestra (SO pour les intimes). Cet orchestre tourangeau existe depuis 6 ans. Aurélien Mourocq explique : « Ensemble, on a notre manière de faire. On part d'une ambiance, d'un vieux sample, d'une rythmique, et ça nous donne des idées. Dans tous les cas, on essaye d'aborder nos compositions comme une chanson swing traditionnelle dans laquelle on ajoute de l'électro, du beat-making. » Le mécanisme employé est bien décelable dans First Man où, au début de la piste, on entend le disque grésiller et ensuite, le thème chanté par Aurélien. Au bout d'une minute, l'inclusion d'une boîte à rythme et du scratch lancent un rythme endiablé soutenu par des riffs de clarinette ; trente secondes plus tard, le fond musical d'un big band swing charme l'auditeur quand arrive aux platines Clément Royo. Le tout en trois minutes et trente et une secondes !

Pour soutenir un tel rythme sur l'album en totalité, certains pourraient envisager l'absorption de produits illicites comme l'héroïne, mais ce n'est pas avec cette "Héroïne" là que SO introduit son disque. La vidéo de présentation de cette piste permet de comprendre comment mélanger les styles. Ce clip tourné à l'espace musical « Le Temps Machine » à Tours en septembre 2017, montre une battle de danses, dans une ambiance rappelant le film West Side Story, qui s'effectue entre deux groupes de danseurs de hip hop et de lindy hop. L'ambiance se détend par l'arrivée d'un couple de danseurs de tango qui, par leurs pas langoureux, adoucit les velléités des danseurs, les rendant moins méfiants et défenseurs de leur style. L'ensemble des protagonistes, joyeux, finissent alors la vidéo par une danse en ligne commune pour le plaisir de tous, comme celui de l'auditeur qui écoutera Plaisir Moderne.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Plaisir Moderne (CD & MP3) ]
[ A écouter : Mon Héroïne - Plaisir Moderne (album teaser) ]


Leaving SpaceDuology eXperiment : Leaving Space (EP - Indépendant), France, 2018

1. Fol Lily (4:52) - 2. Luca's Home (3:11) - 3. Medley (8:09) - 4. Refuge / For Sco (8:13)

Robin Nitram (g); Antoine Delbos (drums) + Ella Rabeson (chant sur 4). Enregistré en septembre 2017.


Duology eXperiment est un duo plutôt singulier qui associe le guitariste normand Robin Nitram au batteur parisien Antoine Delbos. Sans basse ni piano, la musique est forcément dépouillée un peu comme s'il s'agissait d'une démo encore en voie d'achèvement. Mais ça n'est toutefois qu'une première impression car on se rend vite compte combien cette formule intimiste permet de bien appréhender la subtile interaction entre les deux partenaires. Sur Luca's Home par exemple, la douceur de la guitare électrique, presque planante, est renforcée par une frappe en apesanteur dans ce qui apparaît une belle leçon d'écoute mutuelle. Il en résulte une pièce aérienne, légère et hypnotique comme des volutes de fumée d'encens qui n'en finissent pas de se tortiller sur elles-mêmes. Cette ambiance envoûtante est reconduite sur Medley qui confirme la grande sensibilité des deux interprètes.

Plus dynamique, For Lily laisse la part belle aux riffs de Robin Nitram et aux polyrythmies d'Antoine Delbos même si l'impression générale qui s'en dégage reste encore une musique d'atmosphère quelque part entre le jazz-fusion et un certain rock psychédélique à tendance planante. Sur le dernier morceau, Refuge, le duo est rejoint par la chanteuse franco-malgache Ella Rabeson dont la voix expressive et sensuelle flotte au-dessus de la musique délicate du duo. Ce titre se prolonge par une improvisation intitulée For Sco qui est, comme son nom l'indique, un hommage au guitariste John Scofield dont le style souple et funky est ici émulé à la perfection.

Evidemment, ce minidisque d'à peine 24 minutes est un peu court pour se faire une idée définitive de ce que ce nouveau tandem peut offrir mais il n'en reste pas moins une belle carte de visite qui attise la curiosité et incite à rester attentif à leurs prochaines productions.

[ Duology eXperiment sur Bandcamp ]


TerangaHervé Samb : Teranga (Cristal Records), Senegal, 12 janvier 2018

1. Thiossane (4:14) - 2. My Romance / Sama Leer (5:17) - 3. Saaraba (5:21) - 4. Dem Dakar (4:52) - 5. Tasé (5:39) - 6. The Days Of Wine And Roses (4:54) - 7. Interlude (1:24) - 8. Giant Steps / Bëg Tekki (3:52) - 9. Bireum Yaasin Boubou (4:24) - 10. There Will Never Be Another You/ Bara Mbaye (3:42) - 11. Denianke (3:53) - 12. Time Remembered (4:03). Enregistré par Julien Birot en mai 2016 au studio La Factory, Dakar, Senegal.

Herve Samb (guitares, choeur) ; Pathe Jassi (contrebasse, basse, chœur) ; Alioune Seck (sabar, percussions) ; Abdoulaye Lo (batterie). Invités : Adiouza (chant : 2) ; Noumoucounda Cissoko (kora : 11) ; Cheikh Diallo (piano Wurtlizer, piano Fender Rhode : 5,9,11) ; Samba Ndokh Mbaye (tama : 6) ; Daniel Moreno (percussions : 6) ; Charly Sy (vinyl scratch : 7) ; Julien Birot (basse, choeur : 10) ; Karen Jeauffreau (1er violon : 3) ; Jacques Gandard (2ème violon : 3) ; Raphael Aubry (violon alto : 3) ; Florence Hennequin (violoncelle : 2, 3); Niouga Dieng (chant : 11) ; Faada Freddy (chant : 5) ; Ndongo D (chant : 5, 8) ; Mike Ladd (chant : 8) ; Souleymane Faye (chant : 2).


Teranga, quatrième album du musicien Hervé Samb, célèbre l'importance de retourner aux sources. Le poète Joachim Du Bellay au 16ème siècle a abordé ce thème avec délicatesse dans son célèbre "Heureux qui comme Ulysse". En 1970, ce même poème a aussi inspiré le réalisateur Henri Colpi pour un film avec l'acteur Fernandel et une chanson interprétée par Georges Brassens. Mais aujourd'hui, c'est au tour d'Hervé Samb d'honorer ce thème et de créer un nouveau style musical : le jazz sabar.

L'importance des racines dans la création musicale n'est plus à démontrer, mais le retour et la création du sénégalais semblent aller plus loin. Si l'Ulysse de l'Odyssée d'Homère est roi d'Ithaque, Hervé Samb est né à Rufisque dans le département de Dakar au Sénégal ; il n'y est pas roi, mais à 11 ans, il est la mascotte du groupe Force 5, un ensemble de jeunes musiciens qui se produit dans tout le pays. Il se souvient : "on m'arrêtait dans la rue pour me demander des autographes !"

Si le héros de Troie part en voyage pour faire la guerre, le jeune sénégalais part pour vivre sa musique à Paris : "Je suis arrivé en France avec ma guitare et 300 cassettes. Je n'avais pas de vêtements dans ma valise". Pendant trois ans, il y joue sans relâche, répétant trois fois par jour et se produisant tous les soirs. Il enchaîne les collaborations prestigieuses (Jimmy Cliff, Meshell Ndegeocello, David Murray, Marcus Miller, Salif Keïta, Amadou et Mariam, Pat Metheny, Lisa Simone), toutes ces rencontres le poussent à faire des voyages et des tournées internationales. Poussé par sa soif de musique, il s'installera même à New-York.

Toutes ces aventures enrichissent ses oreilles : jazz, variété, musique du monde, hip-hop deviennent la toison d'or d'Hervé telle celle de Jason, le héros mythologique grec cité dans le deuxième vers du poème de Joachim Du Bellay. Le musicien originaire de Rufisque n'en est pas à son premier CD, il a participé à plus de 100 albums et, en leader, a sorti Cross Over (2009), Kharit (2012) et Time To Feel (2013). Mais dans Teranga, le guitariste renoue avec ses racines en retrouvant son ami d'enfance, le bassiste Pathe Jessi. Il s'initie à la kora, au xalam et apprend les rythmes du sabar. Ses recherches lui font trouver des compatibilités entre des grands standards de jazz et les rythmes traditionnels, comme entre le rythme Mbala et Giant Steps de John Coltrane. Il crée dans cet album une très belle et originale reprise du thème Giant Steps / Beg Tekki accompagnée par les chanteurs rappeurs Mike Ladd et N'dongo D. L'écoute de ce morceau nous donne les bases du jazz sabar : certains puristes expliquent que la rythmique jazz insiste sur le deuxième et le quatrième temps d'une mesure, alors que le rythme sabar insiste sur le premier et le troisième temps.

La reprise des grands standards de jazz ne s'arrête pas au morceau de Coltrane, The Days Of Wine And Roses d'Henry Mancini et There Will Never Be Another You / Bara Mbaye d'Harry Warren, sont aussi présentés dans cet album. Souvent, les projets de jazz-fusion-musique du monde permettent au jazz d'emprunter des mélodies ou des rythmiques pour s'en enrichir. Dans Teranga, le jazz est invité en territoire sénégalais, le titre de l'album en est la preuve : Teranga signifie en langue Wolof "accueil chaleureux, invitation, hospitalité". L'écoute de cet album fait apprécier l'échange harmonique et rythmique entre les deux styles musicaux. Le refrain de Thiossane signale l'invitation sénégalaise "kaay neuweul setsi ma : viens, viens donc me voir". Le mélange ne dénature pas les deux genres artistiques ; la présence de musiciens de grand talent sur l'ensemble de l'album comme Alioune Seck, maître du sabar, et de Niouga Dieng, grand griot du Sénégal et fondateur de l'Orchestra Baobab, dans le morceau traditionnel Deninake, garantit le respect de la tradition sabar.

Sur les morceaux plus traditionnels, la guitare de Samb est là pour apporter la touche improvisation jazz. Il est à noter que Samb utilise pour l'ensemble des morceaux une guitare manouche, encore une originalité de ce compositeur. Afin de respecter l'équité des styles, un tiers des morceaux sont des musique jazz, un tiers des musiques traditionnelles et un tiers des compostions originales, comme celle d'Hervé Samb My Romance / Sama Leer, très belle complainte où le timbre de la chanteuse sénégalaise Adiouza se mélange à merveille au son délicat de la guitare.

Cet album réclame plusieurs écoutes afin de découvrir la subtilité des arrangements, comme les phrases au tama de Samba Ndokh Mbaye à la fin de Giant Steps / Beg Tekki. La rythmique sabar, traditionnellement utilisée pour la danse, donne un album joyeux, positif, véhiculant un message d'espoir en créant un jazz nouveau, preuve que les différences apportent plus que l'uniformité.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Teranga (CD) ] Hervé Samb Website ]
[ A écouter : Teranga (présentation de l'album) - Thiossane ]


Chansons Pour L'oreille GaucheArthur Possing Quartet : Four Years (Hypnote Records), 23 mars 2018

1. Startin' (6:22) - 2. B16 (6:28) - 3. 4 To 7 (7:32) - 4. Brahms On A Journey (8:03) - 5. African Dream (6:42) - 6. Four Years (9:56) - 7. Picturesque (3:55) - 8. Impression (2:44)- 9. XL (6:58)

Arthur Possing (piano, compositions); Pierre Cocq-Amann (saxophones); Sebastian 'Schlapbe' Flach (contrebasse); Pit Huberty (batterie). Enregistré et mixé du 25 au 28 octobre 2017 au Kleine Audiowelt, Sandhausen, Allemagne.


Originaire de la belle ville de Luxembourg, Arthur Possing a suivi une formation classique avant d'embrasser le jazz sous la direction musicale de Marc Mangen pour le piano et ensuite de Guy Cabay pour le vibraphone. Four Years est le premier disque sorti par son quartet et comme ce dernier existe depuis 2013, son titre pourrait se référer au temps mis pour le concevoir. La première plage qui s'intitule prosaïquement Startin' laisse entendre un groove terrien ancré dans la grande tradition hard-bop des disques Blue-Note. La sonorité est chaleureuse et le piano danse avec un bel enthousiasme tandis que le jeu du saxophoniste français Pierre Cocq-Amann se montre direct, incisif et précis avec une sonorité légèrement aigre, voire trafiquée, quelque part entre celles de Lou Donaldson et d'Eddie Harris. Mais, dès la seconde plage, B16, l'ambiance change pour une musique plus lyrique où la mélodie est reine. Brahms On A Journey, comme son intitulé le laisse deviner, renvoie à la tradition de la musique classique européenne encore que, dans son développement, ce long morceau réserve quelques surprises comme le solo aérien de saxophone à la sonorité encore une fois légèrement trafiquée via un effet d'écho.

On l'aura compris, cet album ne se laisse pas enfermer dans un style unique mais explore plutôt, morceau après morceau, différents horizons. Quel gouffre sépare ainsi l'hypnotique Impression, petite miniature interprétée avec beaucoup de sensibilité au piano en solo un peu à la manière d'Abdullah Ibrahim, la ballade Picturesque en forme de rêverie bucolique dans une nature vierge, et African Dream et son solo de saxophone honorant l'esprit des grandes figures du jazz libertaire dont John Coltrane et Pharoah Sanders. Heureusement que la section rythmique, qui affiche une belle aisance, fait corps avec les différents styles abordés. En fin de compte, c'est cet éclectisme qui rend ce disque passionnant. D'aucuns pourront toujours évoquer un manque de cohérence mais qu'importe ! Arthur Possing parvient à nous divertir avec ce programme aux multiples facettes qui s'écoute comme on regarde un film des frères Coen où tout peut arriver à tout moment.

[ Arthur Possing Website ]
[ A écouter : Four Years - Four Years (présentation de l'album) ]


Chansons Pour L'oreille GaucheMarc Sarrazy & Laurent Rochelle : Chansons Pour L'oreille Gauche (Linoleum Records), France, 23 février 2018

1. Paysage Avant Pendaison (6:16) - 2. Reflets Dans Un Oeil Mort (1:56) - 3. Voulévoulévouvouzélas? (5:33) - 4. Si Tu Regardes (3:32) - 5. Infra-Musique # 1 : L'Homme Assis Dans Le Couloir (2:42) - 6. Funeral Blues (6:07) -7. Bartok A La Fenêtre (1:23) - 8. Malcom Malkovich (3:31) - 9. A La Frontière Du Jour (5:20) - 10. Suspiria (4:15) - 11. Infra-Musique # 2 : L'Heure Où Tout Se Fane (2:52) - 12. Qui S'en Va Un Peu (3:53)

Marc Sarrazy (piano); Laurent Rochelle (clarinette basse, sax, soprano) + Invités : Anja Kowalski (voix : 12); Alexei Aigui (violin : 12); Cyril Bondi (drums : 2). Enregistré en juin 2017 au Studio Elixir, Saint-Jean, France.


Après Intranquilité, leur premier disque sorti en 2007, le duo acoustique composé du pianiste Marc Sarrazy et du clarinettiste et saxophoniste Laurent Rochelle propose un nouveau répertoire de douze pièces qui franchissent allègrement les frontières stylistiques et s'abreuvent même à d'autres formes d'art que la musique. Ainsi, le très réussi Paysage Avant Pendaison est-il dédié à l'écrivain inclassable Antoine Volodine qui croisait volontiers onirisme, chamanisme et politique. La clarinette basse y prend un accent nostalgique zébré par des éclats libertaires inattendus, tandis que le piano danse autour des ruminations du souffleur en mêlant phrases lyriques et dérives angulaires. L'ambiance surréaliste de ce morceau se prolonge avec l'encore plus étrange Reflets Dans Un Oeil Mort dédié à l'essayiste Maxime Lachaud, auteur des fameux documentaires-choc Mondo Movies. Le cinéma aussi est invoqué par la reprise du thème de Suspiria, oeuvre fantastique culte de Dario Argento dont la musique expressionniste fut composée par le groupe italien Goblin. Le duo parvient à y faire passer l'atmosphère à la fois baroque et ésotérique du film.

Les références à la musique classique européenne sont aussi présentes. Erik Satie, Debussy viennent à l'esprit dans plusieurs titres mais aussi Ravel, cité dans Malcom Malkovich, Chopin dans le lyrique Funeral Blues et Béla Bartok dans le court Bartok A La Fenêtre. Ceux qui connaissent bien les œuvres discographiques de Michel Portal et de Louis Sclavis savent combien la clarinette basse fait des merveilles dans l'expression de musiques insolites, voire mystérieuses, évoluant perpétuellement entre les genres et ne reniant pas l'audace des musiciens de free-jazz. Laurent Rochelle s'avère ici le digne héritier de ces musiciens visionnaires. Quant au pianiste, passant avec agilité de climats intimistes et saturniens à d'autres enfiévrés propices au lâcher de clusters atonaux, il s'avère ici un interprète des plus originaux. On n'oubliera pas non plus de prêter attention au morceau intitulé Voulevoulevouvouzelas ? qui change encore de style en empruntant cette fois au folklore sud-africain.

Chansons Pour L'oreille Gauche est un album débordant de musicalité qui se nourrit d'influences disparates. Animé par un authentique désir d'exploration, le duo Sarrazy - Rochelle fait preuve de personnalité et parvient à transporter l'auditeur dans un univers étrange qui lui est propre. A découvrir !

[ Le Duo Sarrazy-Rochelle sur Linoleum Records ]
[ A écouter : Chansons Pour L'oreille Gauche (Teaser) - Suspiria ]


The Grooved CubedRock Candy Funk Party : The Grooved Cubed (J&R Adventures / Provogue), USA, 20 octobre 2017

1. Gothic Orleans (1:47) - 2. Drunk On Bourbon On Bourbon Street (4:48) - 3. In The Grooove (6:52) - 4. Don't Even Try It (3:45) - 5. Two Guys And Stanley Kubrick Walk Into A Jazz Club (4:19)- 6. Isle Of The Wright Brothers (0:59) - 7. Mr. Space (5:49) - 8. I Got The Feelin' (4:38) - 9. After Hours (2:30) - 10. This Tune Should Run for President (5:20) - 11. Mr. Funkadamus Returns and He Is Mad (2:42) - 12. Funk-O-Potamia (6:30) - 13. The Token Ballad (4:48) - 14. Ping Pong (3:27)

Tal Bergman (producteur et batterie); Joe Bonamassa (guitare); Ron DeJesus (guitare); Mike Merritt (basse); Renato Neto (claviers); Ty Taylor (chant); Mahalia Barnes (chant). Enregistré fin 2016, début 2017 aux studios de Tal Bergman à Los Angeles en Californie.


The Groove Cubed, troisième album en studio du groupe Rock Candy Funk Party permettrait-il de comprendre le groove, ce concept musical important trop souvent cité sans être défini ? La traduction littérale du mot anglais groove signifie : rainure, sillon, allant même jusqu'au verbe rainurer. Le langage imagé des musiciens de jazz parle d'une rythmique 'dans le sillon' ou 'dans la note' allant jusqu'à 'musique inspirée'. La réponse parait rapide, aussi renseignons-nous chez des professeurs de musique : Richard Middleton, de l'Université de Newcastel, fondateur et rédacteur du journal Popular Music, décrit le concept de groove comme le flot rythmique qui produit une sensation et une dynamique particulières à un morceau musical. Voyons du coté des musiciens : un rapide micro-trottoir nous informe que le groove ne s'adresse pas uniquement au jazz et au funk, même si ce terme est largement utilisé par ces deux mondes artistiques. Il est également employé en musique latine sous le terme de clave et dans la musique du Moyen-Orient sous le nom de tarab, même si sa notion est plus spirituelle. Mais le groove n'induirait-il pas une notion de transe ? Cette dimension est confirmée par la réponse d'un amateur, pilier de boîte de jazz qui me confie : 'Le groove, c'est un état magique, c'est quand ça décolle, que ton pied bouge et que tout ton corps ressent le rythme. Ça ne trompe pas en concert, quand ça groove, les spectateurs se regardent avec un sourire et un regard complice'. La lecture du dossier de presse de l'album The Groove Cubed explique que le titre signifie 'Le Groove au Cube', trois fois le groove.

Quelques informations pour ceux qui ne connaissent pas la formation Rock Candy Funk Party (RCFP). Le groupe est créé en 2009 à Los Angeles par le batteur Tal Bergman et le guitariste Ron DeJesus. Ces deux compères ont déjà sorti Grooove, Vol. 1 en 2007. Dans RCFP, ils sont rejoints par le guitariste Joe Bonamassa , le bassiste Mike Merritt et le claviériste Renato Neto. Leur premier album s'appelle We Want Groove et leur deuxième album Groove Is King. Aucun doute, le groove est leur mission, nous avons tapé à la bonne porte. Dans l'album Groove is King, le morceau Don't Funk With Me déclenche même un mouvement des membres inférieurs dès la première écoute du clip vidéo.

On peut enfin aborder The Groove Cubed. Comme en oenologie, le groove se déguste dans un voyage sensoriel. Bergman le confirme : 'Cet album invite l'auditeur à s'embarquer dans un voyage à travers différents styles et différentes époques de la musique, et on espère aussi qu'il brise quelques règles au passage !'. Car dans cet album, le groove se loge dans des styles très différents, les musiciens de grand talent de RCFP arrivent à le faire sentir dans des genres musicaux rarement regroupés sur un même disque. L'album commence par un rock très planant avec Gothic Orleans, puis très dansant avec le chanteur de soul Ty Taylor dans Don't Even Try It (morceau en téléchargement gratuit sur le site web du groupe). Quand à la reprise de I Got The Feelin' de James Brown avec la chanteuse australienne Mahalia Barnes, le groove y est très funk, les pantalons pattes d'éléphant sont de rigueur et en avant pour la fièvre du samedi soir !

Il est évident qu'il est impossible de rester collé à son siège, le groove de The Groove Cubed emmène dans des univers multiples, et chacun va découvrir celui qui lui convient le mieux. Est-ce la rythmique du virtuose Bregman de Mr. Funkadamus Returns And He Is Mad qui allume votre groove ou plutôt la guitare de Joe Bonamassa qui converse avec le partenaire de Prince, Renato Neto, aux claviers sur Ping Pong ? Pour savoir de quel groove vous êtes, c'est simple, écoutez l'album et soyez vigilant ; quand votre pied se met à battre, le groove est là qui arrive en vous. Bonne dégustation et bon voyage.

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ The Groove Cubed (CD, MP3, Vinyle) ]
[ A écouter : In The Grooove - Mr. Space ]


OneSimon Martineau : One (We See Music Records), France, 16 Mars 2018

1. Phobos (4:27) - 2. 9777 (4:19) - 3. Interlude (1:02) - 4. Felix (5:54) - 5. Actual Game (5:57) - 6. Deimos (1:49) - 7. Tarot (5:49) - 8. Poison (6:08) - 9. Thyroxine (1:01) - 10. Like Fat Cats (3:49) - 11. Duke, The Great (5:29)

Simon Martineau (guitare & compositions); Robin Nicaise (saxophone & compositions); Blaise Chevallier (contrebasse); Fred Pasqua (batterie). Enregistré les 12 & 13 février 2017 au Studio Mesa, Soignolles-en-Brie (France).


Le répertoire a été écrit pour une moitié par le guitariste Simon Martineau et pour l'autre par le saxophoniste Robin Nicaise, ce qui dénote un partage équitable des tâches que l'on retrouve aussi au niveau de l'interprétation. Brillants musiciens, les deux solistes ont trouvé un bel équilibre qui se traduit par des unissons mélodieux, des interactions subtiles et des improvisations personnelles où chacun explore le thème à sa manière. Dans le livret, le guitariste arbore une superbe Guild rouge "Cherry" demi-caisse électrique, peut-être un modèle Starfire III conçu par la marque avec le rockabilly des années 60 en tête. Toutefois, celle de Martineau a plutôt une sonorité typiquement jazz, pleine et chaude, parfois nimbée d'une légère saturation quand la structure devient plus pressante comme sur Phobos, et parfois plus ouverte avec un soupçon de réverbération quand l'ambiance se fait plus aérienne comme sur la ballade Felix. Son jeu en accords est harmonieux et son phrasé, fluide et mélodique, tandis que ses solos sont construits avec élégance, des qualités qui ne sont pas sans évoquer celles des grands guitaristes européens qui ont marqué l'instrument comme Philip Catherine ou René Thomas.

En face, le saxophoniste ténor Robin Nicaise a lui aussi un son magnifique. Son aisance, son articulation décontractée et son jeu raffiné renvoient au style de certains saxophonistes West Coast. Toujours est-il que le mariage entre ténor et guitare est ici particulièrement réussi et les occasions ne manquent pas d'apprécier leur interaction toujours fluide, ajustée, et précise comme le travail d'un horloger suisse. Ecoutez notamment les accords de Martineau qui accompagnent le sax sur Actual Game (on dirait qu'il y a tout un orchestre derrière) ou les échanges savants entre les deux solistes sur Poison. Composée du contrebassiste Blaise Chevallier et du batteur Fred Pasqua qui à priori se connaissent bien, la rythmique est soudée et alerte tandis que le répertoire réserve à chacun d'entre eux des plages mettant en relief leurs qualités individuelles : l'art de la polyrythmie pour Pasqua sur Interlude et Thyroxine, et un solo boisé de Chevallier sur la ballade nonchalante Duke, The Great.

Ce premier disque baptisé One - un intitulé laissant clairement entendre qu'il y en aura d'autres - séduira beaucoup de monde, à commencer par les amateurs de jazz cool légèrement sophistiqué et les guitaristes.

[ Simon Martineau website ]
[ A écouter : Actual Game - Actual Game, live au Centre Tchèque (Paris), 6 Mai 2016 ]


Après La CollineTraces d'illusions : Après La Colline (Indépendant), France, 2 juin 2017

1. Apprendre (9:24) - 2. Phare Des Poulains (8:16) - 3. Absence De Vision (9:56) - 4. Après La Colline (5:58) - 5. Un Monde Meilleur (8:58) - 6. Infinie Bienveillance (9:01) - 7. Première Neige (8:51)

Laurent Terrié (flûtes, piano); Alain Clodet (saxophone soprano, EWI); Nico Aneme (saxophones, clarinette basse); Frederic Boivin (piano); Stephane Coubray (claviers); Alex Breard (guitares); Yann Lambotte (guitare acoustique, basse); Stephane Lambotte (drums, percussions) + invités. Enregistré au Studio JDA et au Studio Musicopré entre le 29 août 2016 et le 17 février 2017.


Après un premier disque éponyme sorti en 2006, Traces D'illusions a pris une décennie pour lui donner un successeur. Le temps est souvent un gage de qualité même si, dans ce cas particulier, n'ayant jamais écouté le premier disque, il m'est difficile d'en juger. Quoiqu'il en soit, cet octet fait preuve d'une belle cohésion et d'une gestion rigoureuse de l'espace sonore. Déjà sur le premier titre animé en ouverture par un tapis de percussions, la musique en impose par sa vivacité et ses contrastes. Les contrepoints entre flûte traversière et saxophones sont magiques, surtout ainsi soutenus par une rythmique complice et arrangés selon un canevas d'une clarté exemplaire.

Entièrement instrumentales, les compositions de Laurent Terrié pratiquent l'hybridation des genres. Le jazz n'est jamais très loin même si les improvisations en solo ne constituent pas un objectif en soi, le groupe préférant la plupart du temps une dynamique collective mise au service de la composition et de son atmosphère plutôt qu'une juxtaposition des individualités. Comme la deuxième boule de l'haltère qui lui donne son équilibre, le rock est la deuxième force de cette musique. Il se manifeste souvent par une guitare électrique saturée surgissant épisodiquement dans des envolées torrides qui ne sont pas sans évoquer Terry Kath au sein du groupe Chicago. Mais ce qui fait l'originalité de Traces d'illusions, c'est que ces deux composantes jazz et rock s'unissent ici à une troisième forme musicale, à savoir la musique classique européenne. Dès lors, au lieu de se confiner à un jazz-rock cuivré traditionnel, la musique part dans d'autres directions, se fait plus sophistiquée (avec des passages néo-classiques comme sur Phare des Poulains) ou mélancolique (les dialogues raffinés entre les souffleurs et le piano acoustique sur Première Neige). La présence d'une clarinette basse apporte de biens belles couleurs à Un Monde Meilleur et on ne saurait passer sous silence sur ce même morceau les interventions aussi dépaysantes que classicisantes d'une guitare acoustique à cordes en nylon. Enfin, la flûte du leader est omniprésente, jouant à l'unisson avec les saxophones et/ou la clarinette, inventant des contrepoints délicats, osant des improvisations raffinées … elle s'octroie ici un rôle multiple que peu d'orchestres lui accordent et c'est un vrai régal de l'entendre s'imposer ainsi dans un tel univers aussi bigarré.

Tout mélomane goûtera avec plaisir l'élégance de cet album très travaillé, que ce soit dans les passages plus énergiques (Face Jour) ou dans les phases plus romantiques (Album du Soir). Telle l'eau qui s'échappe d'une source, la musique qui coule ici est claire, fraîche et insaisissable.

[ Après la Colline (MP3) ]
[ A écouter : Après La Colline (teaser) - Infinie Bienveillance ]


MomemtumSonny Troupé Quartet ADD2 : Reflets Denses (Bakfoul Prod.), France / Guadeloupe, 8 Avril 2017

1. Immediat Boarding (8:15) - 2. Equation (8:24) -3. Ansanm (5:16) - 4. Le Temps (4:31) - 5. Tanbou O Lwen (0:26) - 6. Yo (4:31) - 7. Une Fin ? (6:22) - 8. Nanm A Péyi la (6:54) - 9. Evocation (4:27) - 10. Twa Jou San Manjé (5:26) - 11. Reflets Denses (7:57)

Sonny Troupé (drums, sample, voix sur 1, 3, 4, 6; makè sur 6; percussion : 11, arrangement : 10) - Sonny Troupé Quartet : Grégory Privat (piano sur 1, 4, 9, 10, 11; voix sur 1, 3, 6; percussions sur 11); Mike Armoogum (basse sur 1, 4, 7, 10, 11; voix et percussion sur 11); Olivier Juste (tambour boula sur 8, 9, 10; makè sur 2, 5, 6, 10, 11; voix sur 1, 3, 6; percussion) - Add 2 : Thomas Koenig (saxophone ténor, flûte); Raphaël Philibert (saxophone alto) - Reflets Denses : Jonathan Jurion (piano : 2, 3, 7, 8; arrangements : 2, 3, 9); Michel Alimo (basse sur 2, 3, 8, 9); Arnaud Dolmen (tambour boula sur 1, 2, 5, 11; makè sur 3, 4, 6, 9; voix sur 3, 6; percussion sur 11; arrangement sur 4) - Artistes invités : Christian Laviso (guitare sur 10); Djokaèl Méri (tambour makè sur intro 2); Lucile Kancel (chœurs sur 1, 3; voix sur 1); Patrice Hulman (chœurs sur 1, 3); Toma Roche (voix sur 4). Enregistré du 15 au 18 novembre 2016 au studio de Meudon, 92190 Meudon. Et le 15 décembre 2016 au studio Golden Ears en Guadeloupe.


Sonny Troupé écrit une page d'anthologie de la musique gwo ka avec son nouvel album Reflets Denses. Sonny commence l'apprentissage de la musique vers six ans par le genre musical de la Guadeloupe, le gwo ka.

Le musicien guadeloupéen, poussé par son père le saxophoniste Georges Troupé qui l'a toujours incité à découvrir tous les styles musicaux, a une grande soif de musique qui lui fait quitter son île. Il apprend d'une façon académique la musique à l'école Agostini, puis au Conservatoire National de Toulouse, ville où il étudie même la psychologie (les textes du morceau Le Temps, le temps sur ma maison montre sa tête aux cheveux blancs, nous le prouvent). Sa carrière de musicien professionnel le fait jouer dans différentes formations : orchestre symphonique, groupe de standards de jazz, mais aussi différents styles (fusion, métal, soul, funk, reggae) avec des artistes de renom comme Kenny Garrett, Reggie Washington, Lisa Simone, David Murray, Jacques Schwarz- Bart...

Riche de son parcours, Sonny Troupé propose avec Reflets Denses une exploration et une exploitation de la musique gwo ka - Il avait déjà commencé cette entreprise avec son album Voyages Et Rêves sorti en avril 2013 - comme le premier morceau Immediat Boarding le démontre. Dans Reflets Denses, c'est avec deux formations différentes que l'aventure est proposée. La première est plus dans la tradition gwo ka avec son binôme de Luminescence (album produit en 2015) plus Mike Armoogum à la basse et Raphaël Philibert au saxophone. Ces musiciens ont leurs reflets respectifs dans l'autre formation plus jazzy : Jonathan Jurdon au piano, Michel Alimo à la basse et Thomas Koenig au saxophone.

Dès le premier morceau Immediat Boarding, l'invitation au voyage est annoncée par le chant du coq. Chaque piste nous invite à une halte et à une ambiance différente : dans Tanbou O Lwen, on se sent pendant quelques secondes dans une classe de tambours ka. Parmi tous les invités de cet album, le comédien diseur de texte Toma Roche a mis en mots les idées de Sonny dans Le Temps, accompagné par la très belle ligne de basse de Mike Armoogum mise en relief par les riffs des deux saxophonistes, Raphaël Philibert et Thomas Koenig. La tradition est importante pour Sonny, il le souligne par sa reprise très rythmée du célèbre Twa Jou San Manjé de David Murray & The Gwo-Ka Masters. C'est avec délicatesse et témérité que le CD arrive à proposer des développements différents du genre musical guadeloupéen : très jazz dans Evocation où le solo de flûte de Thomas Koenig répond à celui de Gregory Privat au piano et beaucoup plus traditionnel dans Yo alliant percussions et chants.

L'écoute de l'album en explique le titre, même si, en acoustique, on parle plus souvent d'échos que de reflets. Le batteur percussionniste confie : le reflet dense, si dense qu'il en devient une autre réalité mais avec des différences. La définition du mot reflet en physique est l'image virtuelle formée par la réflexion d'un objet sur une surface. Descartes rajoute que L'image virtuelle est inversée et se trouve de manière symétrique à l'objet par rapport au plan de réflexion. Mais dans Reflets Denses, le résultat n'est ni une image inversée du gwo ka, ni une juxtaposition des différents styles proposés, mais une création originale qui ne lasse pas lors des écoutes successives indispensables pour en déguster les différentes saveurs … et ainsi progressivement, comme le suggère Toma Roche, "entendre le son du temps".

[ Chronique de Jean-Constantin Colletto ]

[ Sonny Troupé Website ] [ Reflets Denses (CD & MP3) ]
[ A écouter : Reflets Denses (présentation) - Ansanm ]


MomemtumZadza : Momemtum (Le Maxiphone Collectif), France, 2017

1. The Change (10:37) - 2. On The Rope (5:43); 3. Momentum Part I (10:40) - 4. Momentum Part II (3:50) - 5. M Song (8:24) - 6. Humans (4:43)

Nicolas Granelet (piano, Rhodes, machines); Dominique Bénété (Contrebasse, effets); Alban Guyonnet (Percussions, effets). Toutes les compositions sont de Nicolas Granelet. Produit par Le Maxiphone Collectif.


Quel plaisir de découvrir des musiques aussi originales et plaisantes que celle-ci surtout de la part d'un groupe qui m'était jusqu'ici inconnu. Zadza est un mot polonais mais les membres de cette formation sont français et leur musique est universelle. Procédant selon une démarche qui, par l'esprit, évoque celle d'Esbjorn Svensson (E.S.T.), ce trio de piano enrichit les textures par divers effets électroniques qui donnent de nouvelles couleurs aux compositions. Munie de pédales, la contrebasse de Dominique Bénété peut délivrer successivement des sonorités charnues typiques du jazz et des vrombissements dignes d'un groupe de fusion. Quant au claviériste Nicolas Granelet, il passe du piano acoustique au Fender Rhodes tout en ajoutant des bruitages qui apportent un côté cinématographique à la musique. Mais le plus surprenant dans ce trio est sans doute l'absence de batteur traditionnel ici remplacé par un percussionniste dont l'accompagnement subtil ne se limite pas qu'aux rythmes enfiévrés des musiques du monde.

Les morceaux les plus longs comportent des myriades de nuances. The Change comprend des sections qui rappellent la musique classique, notamment quand la contrebasse est jouée à l'archet, tandis que d'autres sont plus jazz avec de belles improvisations au piano acoustique. Ailleurs, des sonorités et des voix spectrales viennent se mêler à la musique qui devient aussi plus électrique avec l'emploi du Fender Rhodes. Ces changements de climat relèvent autant du rock progressif que du jazz mais au-delà des étiquettes, cette création est surtout ouverte et génératrice d'ambiances inédites. C'est peut-être encore plus apparent sur Momentum Part 1 qui inclut en outre un surprenant passage groovy joué au piano électrique. Plus court, On The Rope est aussi plus jazz : la mélodie splendide est mélancolique et l'entente entre les trois musiciens, télépathique. Humans qui clôture l'album sur une note tout aussi singulière, inclut dans sa partie centrale une mélopée chantée à la manière africaine qui va sur un rythme crescendo avant de s'éteindre lentement dans la distance.

Dévolu au jazz mais avec une approche indéniablement personnelle et volontiers teintée de mélancolie, cet album est une incitation à entreprendre un voyage initiatique. Zadza, qui se prononce Jandza et signifie en polonais "la quête" ou "le désir", mérite bien son patronyme !

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