Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série III - Volume 10 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ]

Richard Wright : Wet Dream (Harvest), UK 1978 - Réédition CD (One Way Records) 1994
Ceux qui n’en pas encore eu assez avec les innombrables albums, officiels ou non, du Pink Floyd peuvent se ruer sur celui-ci. Enregistré en 1978 aux studios Super Bear en France (les mêmes qui serviront à l’enregistrement de The Wall) par le claviériste du groupe, Wet Dream est en parfaite harmonie avec l’approche instrumentale planante et les critères de perfection qui caractérisent les grandes oeuvres floydiennes. Il faut dire que Rick Wright a eu le nez fin en recrutant Snowy White, dont le jeu de guitare constitue la meilleure alternative possible au grand David Gilmour, et Mel Collins au saxophone et à la flûte, connu pour sa participation aux aventures progressives de King Crimson et de Camel. A l’opposé du côté sombre et cynique imposé par Roger Waters à Pink Floyd à partir d’Animals, le claviériste préfère l’introspection et les ambiances aériennes du Great Gig In The Sky et d'Atom Heart Mother. Il perpétue ainsi l’une des facettes les plus atmosphériques et accessibles du Floyd qu’on ne retrouvera plus guère par la suite dans les derniers disques. Par ailleurs, Wet Dream montre aussi combien Richard Wright, même s’il a toujours été en retrait par rapport aux deux frères ennemis qu’étaient Gilmour et Waters, eut une influence énorme sur les textures sonores du Floyd qu’il renforce par de subtiles dentelles tricotées sur ses synthés. Les textes aussi sont plus simples mais certainement émouvants : écoutez par exemple l’étonnant Pink's Song qui pourrait être une réflexion personnelle sur Syd Barrett ou sur sa propre mise à l’écart dans le groupe (mais ça n’a pas été confirmé). L’essentiel reste pourtant les instrumentaux comme Mediterranean C, Cat Cruise ou Waves qui, dans leur quasi intégralité, évoquent l’élément eau, l’océan et le grand large dans toutes ses dimensions. Et pour conclure, on ne manquera pas d’octroyer une mention particulière à Funky Deux, dernière plage du répertoire, pour son groove léger propice à de beaux solos jazzy de sax et de guitare. Si vous appréciez la période moyenne de Pink Floyd, de Atom Heart Mother à Wish You Were Here, vous aimerez aussi Wet Dream.

Waters et Gilmour, frères ennemis ? Oui, sans doute à l'époque, mais on les a vu jouer ensemble à Oxford en juillet 2010 dans un concert de charité en faveur des Palestiniens. Et le bruit court que Gilmour pourrait venir interpréter Comfortably Numb pendant la nouvelle tournée The Wall organisée par Waters. Alors, après le dernier concert du groupe au complet (Waters, Gilmour, Mason & Wright) à l'occasion du Live 8 le 2 juillet 2005 à Hyde Park, un dernier disque avec le célèbre line-up en ligne de mire ? Impossible : Rick Wright est décédé le 15 septembre 2008 des suites d'un cancer et, sans lui aux commandes des claviers, le son mythique des créateurs d'Echoes ne sera plus jamais le même.

[ Wet Dream ]

Guilt Machine : On This Perfect Day (Mascot Records), Pays-Bas 2009
Après les critiques plutôt frileuses et concordantes à l’égard du dernier opus d’Ayreon (1011001) jugé trop répétitif et complaisant par rapport aux précédents opus, Arjen Lucassen abandonne la science-fiction pour un tour et réduit drastiquement le nombre d’invités pour une œuvre plus personnelle enregistrée sous le nom de Guilt Machine. On This Perfect Day a en effet été composé sous l’emprise d’une dépression suite à son divorce. Pas de panique toutefois, la musique reste du métal progressif de bonne facture, parfois atmosphérique et même mélancolique (Leland Street). Jasper Steverlinck, du groupe belge alternatif Arid, chante d’une voix haut perchée les textes écrits par Lori Linstruth (Stream Of Passion), actuelle partenaire de Lucassen, et c’est également cette dernière qui est créditée à la guitare solo. A la batterie, Chris Maitland (Porcupine Tree) abat un travail impressionnant tandis que Lucassen se charge de tous les autres instruments. Fondamentalement, la musique n’est guère différente de celle d’Ayreon puisqu’on retrouve ici les mêmes arrangements brillants à base de synthés, les structures complexes et les amalgames d’influences progressives habituelles. Les titres, qui flirtent pour la plupart avec les dix minutes, sont quand même plus centrés sur le chant qu’auparavant. En outre, pour cet album, le leader avait demandé à ses fans de par le monde de lui envoyer des messages personnels récités dans leur langue natale en promettant de les inclure sur le disque. Ce qui a été fait, les compositions étant truffées de petits textes déclinés en russe, français, chinois et en d’autres dialectes moins connus. Et puis, il y a ce Season Of Denial qui est assurément le sommet du disque. Avec une mélodie superbe aux accents celtiques, des solos de guitare qui décoiffent, le chant puissant de Steverlinck qui fait penser à Freddie Mercury et des synthés planants pour étoffer les arrangements, c’est sans doute l’un des meilleurs morceaux de Lucassen tous groupes confondus. On terminera en jetant un coup d’oeil sur la pochette cryptique conçue par Christophe Dessaigne qui évoque une sorte de possession comme si le guitariste devait, par cet album, exorciser ses démons intérieurs. Maintenant, le personnage est-il dans une phase d'élévation spirituelle ou sur le point d'entamer une interminable chute ? A vous de choisir.

[ Guilt Machine sur MySpace ] [ On This Perfect Day (CD & MP3) ]

Fish On Friday : Shoot The Moon (Autoproduction), Belgique 2010
Drôle de disque que ce Shoot The Moon qui n’emballe pas forcément à la première écoute. Fluide et lisse, la musique coule en de petites chansons agréables qui ne durent guère plus que quatre minutes et qui font parfois penser à du pop-folk anglais moderne genre Steve Thorne, Gordon Giltrap ou Mostly Autumn. Les deux musiciens à l’origine du projet sont les claviéristes William Beckers et Frank Van Bogaert, qui, en plus d’être un chanteur à la voix chaleureuse, est aussi ingénieur du son et producteur renommé pour des groupes belges de rock progressif (Mindgames et Neo-Prophet). Mais si les synthés sont ici omniprésents, il faut quand même compter avec la participation d’invités compétents qui prennent en charge les guitares, batterie, basse ainsi que les chœurs. Par ailleurs, trois morceaux sortent carrément du lot : Fish On Friday est un instrumental doté d’une orchestration savante et d’une mélodie grandiose égrenée par une guitare acoustique hispanisante sur fond de castagnettes tandis que Shoot The Moon, avec son arrangement hyper léché et son atmosphère planante, rappelle les premiers disques du Alan Parsons Project. Quant à Move South, on appréciera le son de ses guitares bucoliques sur fond de chants d’oiseaux et la voix quasi gilmourienne de Van Bogaert. La production somptueuse augmente considérablement la profondeur des compositions qui grimpent dans les cœurs au fil des écoutes. D’autres titres rappellent subtilement la new-wave des années 80 à la manière de Depeche Mode. A la limite, ce disque tombe presque en dehors des normes de ce site mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter. Son pop-rock frais et accessible, qui flirte légèrement avec quelque chose de plus ambitieux, séduira probablement les amateurs des groupes précités mais plaira aussi à un plus large public pour qui le rock progressif reste une énigme.

[ Fish On Friday Website ] [ Shoot The Moon ]

Panic Room : Satellite (Firefly Music), UK 2010
Bâti sur les cendres de la première mouture de Karnataka, Panic Room a fait un pas en avant dans la bonne direction avec son premier album (The Visionary Position, 2008) globalement encensé par la critique. Mais celui-ci marque un changement de direction avec une musique plus popisante que celle du premier disque, dans le même style léger que celui d'autres groupes bénéficiant d'une présence féminine comme Magenta ou Mostly Autumn. Mais si l’on est quelque peu déçu, ce n’est certainement pas à cause du chant d’Anne Marie Helder, également connue pour sa contribution à Mostly Autumn, dont la voix limpide et expressive est un des atouts du groupe. Ce ne sont pas non plus les musiciens : Paul Davies (gt), Jonathan Edwards (claviers) et le batteur Gavin John Griffiths ont fait leurs preuves chez Karnataka tandis le nouveau bassiste venu du jazz-rock, Alun Vaughan, remplit son office avec brio même si on peut penser, à l’écoute de ses solos mis en ligne sur son site web, qu’il est ici en retrait de ses réelles capacités. La raison de cette déception réside plutôt dans le choix du répertoire qui contient trop de mélodies faciles, trop de chansons sans aspérité dont on attend la fin avec impatience pour découvrir la suivante. Si le titre éponyme, Dark Star ou Muse sont de parfaits exemples reflètant largement les qualités en termes de composition et d'interprétation de Panic Room, Picking Up Knives, Black Noise, et I Am A Cat sont, au mieux, médiocres et, pour tout dire, oubliables après la première écoute. On n'entendra ici ni envolées symphoniques, ni dérapages instrumentaux, ni aucune velléité progressive d’aucune sorte comme on en trouve dans The Gathering Light, disque également sorti cette année par une autre émanation de Karnataka. Ce n’est même pas du néo-prog. Satellite est juste un bon disque de pop-rock commercial, accessible et bien ficelé avec, quand même, des textes bien écrits, ce qui en soi n’est déjà pas si mal. Panic Room a préféré sonner la retraite par rapport au progressif et comme on trouve aujourd’hui sur le marché tant de bons disques qui prennent un minimum de risques en défendant les couleurs du prog, on peut franchement laisser celui-ci au public maintream pour lequel il a été conçu.

[ Panic Room Website ] [ Satellite ]

Ark : Wild Untamed Imaginings (ProgRock Records), UK 2010
Bien qu’il ne soit guère connu du grand public, Ark a une petite histoire derrière lui. Formé en 1986 dans les environs de Birmingham, ce groupe britannique s’est fait remarquer en remportant un concours (Battle of the Bands) qui lui a permis d’enregistrer un EP (The Dreams Of Mr Jones, 1988). Après avoir joué en support de IQ et de It Bites, ils enregistreront encore deux EP (New Scientist, 1989 et Cover Me With Rain, 1992) et un premier disque complet (Spiritual Physics, 1993) avant de se séparer en mars 1995. Reconstitué en 2010 autour de trois membres fondateurs - Tony Short (chant et flûte), Pete Wheatley (gt) et Steve Harris (guitare synthé) - plus le bassiste John Jowitt et le batteur Tim Churchman, Ark n’a rien changé à son style néo-prog d'antan, fort similaire à ceux des groupes précités auxquels on peut encore ajouter Jadis et Arena. Toutefois, contrairement à ces derniers, la musique d’Ark ne comprend aucun clavier, la dimension symphonique étant ici assurée par une guitare synthétiseur. Le département guitares étant primordial, le son est parfois plus métal que prog avec des riffs à haut indice d’octane qui ne sont pas loin d’évoquer Iron Maiden (Boudicca’s Chariot, Gaia) spécialement quand les refrains glorieux montent en puissance comme des moteurs de Spitfire cracheurs de feu. Les mélodies sont souvent accrocheuses et des parties de flûte viennent régulièrement aérer des compositions plutôt bien pensées. Beaucoup de ces dernières (7 sur 11) ont d'ailleurs eu le temps de mûrir puisqu’elles ont été écrites il y a plus de vingt ans. Bien que réinterprétées dans l’esprit d’origine (le néo-prog des 80's), elles bénéficient toutefois maintenant d’une production moderne et soignée qui les rendent beaucoup plus mordantes que les anciennes démos. Les amateurs reconnaîtront le style de la pochette dessinée par Antonio Seijas, auteur talentueux des livrets de Happiness Is The Road pour Marillion, de Night pour Gazpacho et de Underground Community pour Harvest. Même si l’on peut émettre quelques réserves sur la voix de Tony Short, qui n'a ni le timbre d'un Gabriel ni la puissance d'un Fish, les chansons vintage de Wild Untamed Imaginings, simples et concises, produisent un impact immédiat sur l’auditeur et laissent augurer que le genre néo-prog, en 2010, est encore loin d’avoir tout dit.

[ Ark Website ] [ Wild Untamed Imaginings ]

Tokamak (Indépendant), France 2010
Ce groupe est d’abord une affaire de famille puisqu’il compte deux « Gallimard » en charge de la section rythmique en plus du chanteur Jorge Dias et du guitariste Thierry Vidal. Une affaire de cœur aussi puisque, manifestement, cette formation joue d’abord pour le plaisir de transmettre son amour du rock progressif et classique. Les premières références qui viennent à l’esprit sont Taï Phong, Ayreon et Star One d’Arjen Lucassen plus un zeste de Queensrÿche et même de Black Sabbath pour les climats les plus oppressants mais également, puisque les vocaux sont en français, Lazulli, Mona Lisa et Nemo. Quatre chansons seulement sont au programme de ce mini-CD de 28 minutes mais l’idée n’est pas mauvaise de débuter ainsi en ne présentant que ce qui est au point plutôt que de chercher un minutage plus long par un remplissage inutile. Car ces compositions au milieu du chemin, mi-pop mi-rock, tiennent fort bien la route. Sans emphase, simples et basées essentiellement sur des riffs de guitare à la sonorité bien ronde, elles sont aussi percutantes, beaucoup plus proches d’un rock mélodique à la Toto que des harmonies symphoniques complexes d’un Yes ou d’un Genesis. Bien mixée au milieu des instruments, la voix est juste et suffisamment expressive pour être attachante, les solos de guitare en mid-tempo ne manquent pas de punch et des bruitages viennent à l’occasion enrober les chansons pour les mettre en situation. En plus, les textes sont bien écrits, surtout Evolution dont le thème est, par ailleurs, plutôt original. Certes, la production aurait gagné à être confiée à un professionnel et, surtout, les claviers sont réduits à leur plus simple expression mais, comme on peut le lire sur leur site, le groupe est en passe de résoudre ce problème en associant un troisième « Gallimard » à leur aventure. Le disque est enrobé dans une pochette en carton dotée de deux jolies photos, travaillées sous Photoshop, en rapport avec le titre de la première plage (Le Sablier et son refrain déjà culte : un jour, on doit tomber de l'autre côté !). Les musiciens ont donné à leur groupe le nom d’une chambre de confinement magnétique utilisée pour produire de l’énergie à la manière d'un soleil. Ca peut paraître présomptueux mais ça indique aussi que Tokamak a de l’ambition et, avec les atouts qu’ils affichent déjà sur ce premier disque de présentation, ils devraient rapidement briller au-delà de leur écosystème. C’est donc avec intérêt qu’on attend leur prochaine livraison déjà annoncée pour 2011.

[ Tokamak Website ]

Steve Morse : Major Impacts (Magna Carta), USA 2000
Si on aime le rock et qu’on joue de la guitare, la première chose qui vient à l’esprit est d’imiter les grands tubes des maîtres du genre. Il existe ainsi sur le marché des centaines de « cover albums » où des musiciens plus ou moins doués reproduisent, parfois à la perfection, les grands moments des artistes auxquels ils veulent rendre hommage. Mais Steve Morse, lui, a fait mieux : il joue des morceaux originaux « à la manière » des grands guitaristes qui l’ont marqué dans son propre développement. C’est le propos de cet étonnant Major Impacts dans lequel le guitariste de Dixie Dregs et de Deep Purple invoque onze artistes / groupes majeurs du rock, qu’il soit classique ou progressif. En tout bien tout honneur, le répertoire commence avec Derailleur Gears dédié à Cream et à Eric Clapton : sur un tempo qui rappelle Crossraoads, Morse improvise à l’aise mais perfuse aussi son blues-rock d’étranges changements d’accords qui rendent ce titre imprévisible. Plus fort encore est Well, I Have dans lequel on reconnaîtra tout de suite l’art et la manière de Jimi Hendrix avec ses solos de wah-wah typiques et ses glissandos dignes d’un nouvel All Along The Watchtower. TruthOla, comme son nom l’indique, rappelle Jeff Beck mais d’une façon insidieuse, moins reconnaissable à première écoute. Aucun doute par contre avec le très mélodique Migration sur lequel plane l’esprit des Byrds et de Roger McGuinn. Led On est l’un des grands moments du répertoire : Morse y recrée l’univers particulier de Led Zeppelin, retrouvant la sonorité de Jimmy Page et colorant son phrasé d’influences indiennes. Rendre hommage à John McLaughlin n’était pas une mince affaire mais avec White Light, Morse a choisi d’évoquer le côté mélodique du maître sur une guitare acoustique (avec un superbe accompagnement de basse fretless jouée par Dave LaRue) plutôt que par sa fusion débridée et électrisante au sein du Mahavishnu Orchestra (ce que Morse aurait par ailleurs été parfaitement capable d’assumer). How Does It Feel? paie un nécessaire tribut à Keith Richard des Rolling Stones mais rappelle un peu trop leur fameux Start Me Up. Bring It To Me est un autre blues-rock puissant, cette fois interprété à la façon de Leslie West dans Mountain, groupe certes moins connu mais néanmoins essentiel des seventies. Passons sur le délicat Something Gently Weeps, tout en nuances, dédié à George Harrison et aux Beatles pour revenir au blues-rock joué avec une perspective sudiste dans Free In The Park dans lequel Morse affiche ses talents à la guitare slide rappelant bien évidemment le regretté Duane Allman et, à travers lui, d’autres grands bluesmen. Et l’album se clôture sur l’impressionnant Prognosis qui est un hommage, dans sa première partie, à Kerry Livgren et à Kansas (Que Morse intègrera de 1985 à 1989), et dans la seconde, à Steve Howe et à Yes. Sans aucune prétention, Major Impacts est quand même un sacré disque de guitare à la fois excitant et ludique, l’auditeur étant évidemment convié à reconnaître par lui-même les impacts majeurs qui présidèrent à l’écriture et à l’interprétation des différentes compositions.

[ Major Impacts (CD & MP3) ]

Steve Morse : Major Impacts 2 (Magna Carta), USA 2002
Vu le succès du premier Major Impacts, Steve Morse n’a pas tardé à sortir un second volume avec la même ligne directrice : écrire des compositions originales et les interpréter à la manière des grands artistes qui l’on influencé au fil des ans. Toutefois, si le principe du premier album est respecté, ce second tome lui permet d’élargir son horizon et de ratisser un peu plus loin que les incontournables Eric Clapton, Jimmy Page et autres Jeff Beck. Bien sûr, les héros du rock vintage ne sont pas pour autant oubliés : Where Are You ?, par exemple, se réfère immédiatement à l’excentricité des Who grâce à sa programmation de synthés à la Won't Get Fooled Again et le jeu en accords martelés de Pete Townsend tandis qu'Errol Smith parvient à cristalliser toute la puissance destructrice du riff de Steve Perry dans Walk This Way, le meilleur titre jamais écrit par Aerosmith. Côté blues-rock, Morse revisite ses origines sudistes avec Leonard’s Best dont les riffs de guitare sont typiques de Lynyrd Skynyrd tandis que Zig Zags nous ramène au temps de Rio Grande Mud quand les membres de ZZ Top traînaient encore leurs stetsons et santiags dans les bars texans. Intéressants aussi sont les titres acoustiques, plus nombreux que dans l’album précédent, dans lesquels le guitariste revisite ses toutes premières influences. Outre l’hommage à Steve Stills et au groupe Crosby Stills & Nash dans Wooden Music (dont le nom évoque bien sûr le fameux festival de Woodstock), Morse replonge ainsi dans la tradition avec Tri County Barn Dance, un morceau phénoménal de bluegrass joué en tempo ultra rapide (tous ceux qui connaissent les Dixie Dregs savent combien Morse excelle dans ce genre particulier) et Ghost Of The Bayou qui laisse transpirer le bon temps de la musique cajun. Et puis, il y a cet Air On A 6 String qui traduit l’influence que les musiciens classiques, et Bach en particulier, ont eu sur le phrasé des guitaristes de métal. Mais la section la plus intéressante de l’album est celle consacrée aux groupes de rock progressif : ici, ce ne sont pas moins que les trois ténors du genre qui y sont invoqués : Genesis (Abracadab), Yes (Cool Wind, Green Hills) et surtout Organically Grown dédié à Emerson, Lake et Palmer. Morse y joue non seulement des claviers à la manière de Keith Emerson mais double aussi ses phrases à la guitare, ce qui est moins évident. On notera dans ce dernier titre l’excellent travail de ses deux acolytes : Dave LaRue à la basse et Van Romaine à la batterie, respectivement dans les rôles de Greg Lake et de Carl Palmer. Cet exercice de style maîtrisé confirme, si besoin en était, les immenses capacités de Steve Morse. Après tout, il n’est pas aussi évident de traduire l’impact que les autres peuvent avoir sur soi sans perdre sa propre personnalité. C’est pourtant ce que l’actuel guitariste de Deep Purple a réussi à faire sur ces deux albums aussi habiles que jouissifs.

[ Major Impacts 2 (CD & MP3) ]

Dixie Dregs : Dregs Of The Earth (Arista), USA 1980
L’origine du groupe remonte à 1970 quand Andy West et Steve Morse fondèrent les Dixie Grits à Augusta, en Georgie, mais ce n’est qu’en 1975 qu’ils enregistrèrent leur premier disque sous le nom de Dixie Dregs (The Great Spectacular). Les choses devinrent plus sérieuses en 1979 avec la parution de Night Of The Living Dregs qui rapporta au groupe une première nomination aux Grammy Awards en tant que « meilleure performance rock instrumentale ». En dépit de cette reconnaissance américaine et d’une discographie bien fournie de quelques seize albums, Dixie Dregs n’a pourtant jamais dépassé en Europe le statut de groupe culte. Peut-être est-ce dû au genre de musique qu’ils s’étaient choisi ou plutôt à l’absence de genre car, si elle est entièrement instrumentale sur la plupart de leurs albums, cette musique se ne limite pas à un style unique. En fait, comme on le constatera à l’écoute de cet excellent Dregs Of The Earth (leur cinquième opus paru en 1980), elle établit des traits d’union entre le hard rock à la Joe Satriani (Road Expense) le bluegrass moderne (Pride O' The Farm), le blues-rock pyrotechnique de Robben Ford (Twiggs Approved), le folk acoustique (Old World) et le jazz-rock débridé avec slapping de basse électrique à la clé (I'm Freaking Out). Cet éclectisme forcené qui, en soi, ne fait pas très sérieux, n’enlève pourtant rien à l’impressionnante qualité technique de ces musiciens qui ne sont rien moins que des virtuoses sur leurs instruments respectifs. Steve Morse en particulier est un champion du manche : sur sa guitare trafiquée (surnommée Frankenstein à cause de sa fabrication à partir d’éléments disparates provenant de Stratocaster, Telecaster et autres Gibson), il a développé un jeu très précis et personnel, caractérisé par de nombreux changements de micro en cours de solo. C’est aussi un étonnant caméléon capable d’imiter les styles des grands guitaristes de rock : il a ainsi réalisé en solo deux disques (Major Impacts et Major Impacts 2) pour lesquels il a compose de nouveaux morceaux qu’il interprète « à la manière de » Jimi Hendrix, Eric Clapton, John McLaughlin, Jimmy Page, Jeff Beck ou Leslie West. Enfin, au-delà de ses aventures en solo, il est aujourd’hui beaucoup plus connu comme le guitariste de Deep Purple qu’il a rejoint en 1995 juste avant d’enregistrer Purpendicular. Ses comparses sont ici Andy West à la basse, Allen Sloan au violon (électrique et acoustique), le batteur Rod Morgenstein (Platypus, Jordan Rudesset), et T. Lavitz aux claviers : tous servent avec brio leur ambitieux projet. Doté d’une chouette pochette conçue par le photographe Gary Regester, Dregs Of The Earth offre ce qu’il faut pour apprécier ce groupe sous estimé : arrangements ciselés, mélodies agréables, virtuosité technique, échanges convulsifs et guitares rocambolesques sont en effet au rendez-vous. Mine de rien, dès la fin des 70’s, les Dixie Dregs avaient posé les bases d’une nouvelle fusion ludique, accessible et sans œillères dont s’inspirerait plus tard des formations séminales comme Tribal Tech, Vital Information, Greg Howe ou Gordian Knot. A redécouvrir en urgence !

[ Dregs Of The Earth (Amazon.fr) ] [ Dregs Of The Earth (Amazon.co.uk) ]

Faust (LP Polydor), Allemagne, 1971 – Réédition CD (Polydor), 2003
Ce disque est une énigme. Il est parfois classé parmi les albums les plus importants du rock progressif européen et conseillé aux amateurs du genre à grand renfort de louanges et d’étoiles. Et pourtant, il est quasiment inaudible. Cette agression musicale pourrait même être qualifiée de « punk anarchique », tout au moins dans l’esprit puisqu’elle est expurgée de ce beat rock sur lequel on bâtira plus tard la new wave. Même si l’on peut gratifier cette production carnavalesque d’un certain humour bizarre au sens ou Frank Zappa l’entendait, on est ici bien au-delà du psychédélisme iconoclaste et des amalgames savants des premiers opus, pourtant déjà extravagants, des Mothers Of Invention. Le fait est qu’il est bien difficile de savoir ce que ce sextet de Wümme avait en tête en enregistrant ce premier opus, pour autant qu’il y ait eu un plan quelconque derrière ce maelström sonore autre que celui de produire un son différent (!) des formations britanniques. Aucune structure n’est en effet discernable dans ces trois longues pièces aussi chaotiques qu’abrasives et ce qu’on en retient en définitive après 34 minutes harassantes sont les bribes éparses du Satisfaction des Stones et du All You Need Is Love des Beatles vite dissoutes dans le creuset du non conformisme comme s’il s’agissait de mélodies désuètes à partir desquelles serait forgé le rock minimaliste et industriel de demain. Mis en valeur par une superbe pochette translucide, ornée d’un poing (Faust en allemand) photographié aux rayons X, qui protégeait un vinyle spectral, le LP est vite devenu culte chez les amateurs d’avant-gardisme intellectuel qui pressentaient qu’une abondance de nouvelles formes musicale rampaient dans l’expression de cette art rude, morne et technologique. Visionnaire donc ? Peut-être. Il devrait alors forcément y avoir quelques personnes sur cette planète qui pourraient encore apprécier ce genre de musique mais, à part les historiens du Krautrock le plus expérimental et les descendants des musiciens du groupe, je ne vois pas bien qui.

[ Faust ]

Faust : Faust IV (LP Virgin), Allemagne, 1974 – Réédition CD remastérisé (Virgin - 2 CD), 2006
Faust IV est plutôt une bonne surprise puisqu’il est le premier album du groupe à pouvoir être considéré comme un disque de (kraut)rock progressif presque normal. Presque, car il reste malgré tout marqué par une approche expérimentale, même si elle n’est plus aussi radicale que sur les albums précédents. A voir la pochette affichant une page de musique sans notes, on pouvait craindre le pire mais, en plus d’être audible, Faust IV rend aussi justice au groupe considéré par certains comme l’emblème du Krautrock (un terme certes un peu ridicule pour caractériser la musique progressive allemande des années 70 mais un mot cautionné par Faust lui-même puisqu’il a ainsi intitulé le premier titre de cet album). Ainsi, si Krautrock est une virée dans un monde sonore bruyant trituré par une électronique sauvage, il conserve un certain attrait par son pouvoir d’envoûtement qui hypnotise progressivement l’auditeur. Le reste est constitué de plages courtes qui ressemblent plus à des tentatives avortées qu’à des chansons finies, un peu comme si les savants fous dans leur laboratoire avaient laissé leur disque inachevé par manque de moyens. On appréciera quand même la variété des climats abordés ici où l’on passe d’un rythme ska préfigurant la new wave des années 80 à une chanson pop (Jennifer) - qui serait presque ordinaire si elle ne se prolongeait par une seconde partie totalement improvisée - en passant par une ballade psyché minée de rugissements électros (It's A Bit Of A Pain). Ceux qui apprécient l’avant-garde axé sur les rythmes hypnotiques, les textures électroniques ainsi que les collages de styles et d’atmosphères, et qui souhaiteraient explorer l’oeuvre de ce groupe unique et controversé, peuvent commencer par ce quatrième opus. Il est, de loin, ce que Faust a produit de plus écoutable.

[ Faust IV ]

Frozen Rain (Avenue Of Allies Music), Belgique, 2009
Frozen Rain est le fruit du claviériste et bassiste Kurt Vereecke, un projet conçu au début des années 80 mais qui n’a pas résisté à l’épreuve du temps jusqu’à sa réactivation récente avec le frère de Kurt, Hans Vereecke, derrière les fûts et le guitariste Rik Priem. Toutefois, le trio s’est entouré d’une multitude de musiciens invités (dont le guitariste Tommy Denander de Radioactive et le batteur Daniel Flores de Mind's Eye) qui ont ajouté leurs contributions dans des studios divers en Angleterre, aux USA, en Italie, en Suède et en Belgique. Autant le préciser d’emblée, Frozen Lake n’est pas du rock progressif mais il appartient à un genre qui lui est relié : ce que les américains nomment AOR (Adult Oriented Rock), un style apparu dans les années 70 qui est un amalgame de hard-rock, de rock classique et de rock progressiste et dont les principaux représentants s’appellent Boston, Journey, Survivor, Toto ou Foreigner ainsi que, plus près de nous, Giant, Bad Habit et Pride Of Lions. Certes, avec des titres comme Waiting For You, Your Love ou Say That You Love Me, les textes sont au raz des pâquerettes mais la musique, elle, sonne bien. Leur rock mélodique légèrement hard a de l’allure avec des guitares au son épais, des arrangements de claviers bien ciselés et une rythmique qui tourne comme un moteur V8. Les voix des différents chanteurs se succèdent en apportant des couleurs différentes surtout quand ils s’y mettent à deux sur un même titre comme sur On The Run emmené par un riff basique mais efficace. Bien sûr il y a les inévitables ballades sirupeuses comme My Heart Believes It's True ou Tomorrow qui sont juste là pour détendre l’atmosphère mais le meilleur de l’album réside en ces rock classiques au tempo moyen, carrossés en métal brillant et qui roulent des mécaniques comme des bikers de la Côte Ouest. Dans le genre AOR, certes calibré pour les radios mainstream, Frozen Rain est un bon cru !

[ Frozen Rain Website ] [ Frozen Rain (CD & MP3) ]

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