Blues 15 : Autres Suggestions


Well, I woke up this morning, I got myself a beer
Well, I woke up this morning, I got myself a beer
The future's uncertain, and the end is always near
Let it roll, baby, roll...

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Je me suis réveillé ce matin et je me suis payé une bière
Je me suis réveillé ce matin et je me suis payé une bière
Le futur est incertain et la fin n'est jamais loin
Laisse aller, bébé, roule...


Roadhouse Blues,
The Doors : Morrison Hotel, 1970




Roomful Of Blues (feat. Ronnie Earl) : Hot Little Mama (Ace), 1981
Ronnie Earl & The Broadcasters : Soul Searching (Black Top Records), USA, 1988
Ronnie Earl & The Broadcasters : Grateful Heart Blues and Ballads (Bullseye Blues), USA 1996
Ronnie Earl : Healing Time (Telarc), USA 2000
Ronnie Earl & The Broadcasters : Spread The Love (Stony Plain), USA 2010


Newyorkais de naissance, Bostonien d'adoption, Ronnie Horvarth s'est intéressé tardivement à la scène blues, n'achetant sa première guitare (une Fender Stratocaster) qu'à 20 ans mais finissant quand même ensuite par se rebaptiser Ronnie Earl en hommage à l'un de ses guitaristes préférés: Earl Hooker. En 1979, remarqué pour son jeu expressif au sein de ses premières formations (Johnny Nicholas and the Rhythm Rockers et Sugar Ray and the Bluetones), il est invité, à l'âge de 26 ans, à remplacer Duke Robillard dans Roomful of Blues avec qui il passera les huit prochaines années. Dans ce groupe de jump blues emmené par une section de cuivres, Ronnie aura l'occasion d'apprendre à swinguer et de développer un style jazzy qui deviendra par la suite sa marque de fabrique. Son jeu à l'époque peut être appréhendé sur l'excellent Hot Little Mama, son premier disque avec Roomful of Blues sorti en 1981, incluant le chanteur Greg Piccolo, le tromboniste Porky Cohen, et Ronnie Earl comme principaux solistes.

Mais Earl va aussi mener en parallèle une carrière en solo en constituant au début des années 80 sa propre formation qu'il baptisera plus tard The Broadcasters, d'après le nom de la première guitare Fender distribuée en 1950, et dont il existera plusieurs versions avec ou sans chanteur. L'un des très bons disques de cette période des "Broadcasters" est Soul Searching, sorti en 1988 sur le label new-orléanais Black Top avec le chanteur Darrell Nulisch, l'harmoniciste Jerry Portnoy, le bassiste Steve Gomes et le batteur Per Hanson. On y trouve entre autres une reprise excitante du Backstroke d'Albert Collins ainsi que l'instrumental plein de soul, avec un solo de guitare intense sur fond d'orgue, qui donne son nom à l'album. Dans les années 90, Ronnie Earl met au point son style actuel mixant blues et jazz dans une musique purement instrumentale où la six-cordes est reine. S'en suivront une série de disques remarquables (dont Grateful Heart Blues and Ballads (Rounder Select / Bullseye Blues) de 1996, avec David "Fathead" Newman au sax ténor, qui sera sélectionné par le magazine Downbeat comme meilleur album de Blues de l'année, et The Colour Of Love sorti sur Verve en 1997) avant qu'il ne décide en 2000 de dissoudre les Broadcasters et de signer un contrat en solitaire avec le label Telarc.

Premier production sur Telarc, Healing Time est une belle réussite mettant en relief le talent de Earl sur des compositions d'inspiration diverse. Muddy Waters tout d'abord est à l'honneur avec une reprise de son Catfish Blues. Earl y copie la tonalité rugueuse de la guitare du maître et adopte son style brut à la perfection en déclinant de multiples variations basées sur le riff légendaire de ce standard de Robert Petway qui fut aussi repris par Jimi Hendrix. Tout aussi impressionnant est le long et lent Blues On A Sunday mais c'est surtout grâce à l'incroyable prestation de l'organiste Jimmy McGriff, spécialiste du Hammond B3, qui fait pleurer et rugir son instrument comme s'il était doué d'une vie propre. C'est encore McGriff qui officie sur Churchin' tandis que le guitariste va chercher sa tonalité et son inspiration du côté d'un jazz hard bop plein de soul tel qu'il est pratiqué chez Grant Green. Plus étonnant est la reprise de Thembi, un thème écrit et interprété à l'origine par le saxophoniste free Pharoah Sanders qui prend ici des couleurs latines tandis que les lignes de guitare rappellent le lyrisme puissant et mélodieux d'un Carlos Santana. Mais le répertoire entier, qui dure près de 65 minutes, est un vrai festival de musique instrumentale où perce l'émotion et l'amour de la note bleue dont Earl révèle les profondes et essentielles racines spirituelles trop souvent oubliées. Enregistré après une période de doute et de dépression, cet album fut baptisé "Le Temps de la Guérison". Il affiche la nouvelle passion du leader pour son art qui se veut désormais rédempteur et porteur d'un message célébrant amour et beauté. Et c'est donc sans surprise qu'il a tenu à clôturer le programme sur un Amazing Grace atmosphérique et illuminé, pétri d'espoir et d'optimisme.

Après le nouveau millénaire, Ronnie Earl a continué a enregistrer des albums de qualité, certains avec des invités prestigieux (Ronnie Earl and Friends en 2001, avec notamment Kim Wilson, Irma Thomas, Luther "Guitar Junior" Johnson, et Levon Helm), d'autres qui ont marqué ses retrouvailles avec, d'une part, Duke Robillard (The Duke Meets the Earl en 2005) et, d'autre part, ses anciens complices des Broadcasters. C'est notamment avec eux qu'il a réalisé l'excellent Spread The Love en 2010, un album dédié aux personnes qui lui sont proches ou qui l'ont influencé comme Albert Collins avec une nouvelle version de Backstroke, le guitariste de jazz Kenny Burrell et son formidable Chitlins Con Carne, ou Harvey Mandel (Canned Heat) dont il reprend Cristo Redentor. D'autres morceaux sont également joués en hommage au guitariste Duane Allman des Allman Brothers Band, au pianiste de blues Otis Spann et au guitariste Roy Buchanan. Ce disque également indispensable conclut cette revue consacrée à l'un des grands guitaristes du blues moderne qui, sans être un monstre de technique, a su se faire apprécier, pour sa sensibilité et ses facultés d'improvisation, aussi bien par les bluesmen que par les jazzmen. Ce qui en soi est déjà une chose plutôt rare!

[ Hot Little Mama (CD & MP3) ] [ Soul Searching (CD) ]
[ Grateful Heart Blues & Ballads (CD) ]
[ Healing Time (CD & MP3) ] [ Spread The Love (CD & MP3) ]

A écouter :
[ Roomful Of Blues - Hot Little Mama : Hot Little Mama - Long Distance Operator ]
[ Ronnie Earl & The Broadcasters - Soul Searching : Evening Sun - After All ]
[ Ronnie Earl & The Broadcasters - Grateful Heart Blues and Ballads : Drown in My Own Tears - Ice Cream Man ]
[ Ronnie Earl - Healing Time : Churchin' - Catfish Blues - Blues On A Sunday ]
[ Ronnie Earl & The Broadcasters - Spread The Love : Spread The Love (full album) ]

Harmonica Slim : Back Bottom Blues (Trix), USA 1995

Il y a plusieurs manières de jouer le blues mais le style âpre, rauque et orienté vers un boogie extrême, comme le faisait le célèbre Hound Dog Taylor, est finalement plutôt rare, surtout sur disque. Harmonica Slim, né Richard Riggins à Tupelo (Mississippi) en 1921, s'inscrit dans cette même ligne d'un blues simple et primitif d'abord destiné à agiter les corps, et en particulier les fesses comme l'indique le titre hautement révélateur Shake Yo' Booty. C'est le grand Muddy Waters, qui épousa sa soeur en 1932, qui lui apprit les rudiments de l'harmonica et le baptisa "Little Harmonica Slim" à cause de sa ressemblance avec le Texan Travis L. Blaylock, un autre harmoniciste portant également le sobriquet de Harmonica slim. Ayant joué avec différents musiciens dont Lightnin' Hopkins, Elmore James et B.B. King, Slim forma ensuite un partenariat de longue durée avec le chanteur et guitariste K.C. Douglas, ce qui lui permis d'entrer pour la première fois en studio en 1972 avant de sortir l'année suivante un 45 tours sous son propre nom (Dust My Broom / If You See My Woman, 1973) suivi d'un autre (Don't Want No Woman Hangin' Round My Door / Kick Back) en 1974. Malheureusement, après la mort de Douglas en 1975, Slim s'installa à Fresno en Californie où, tout en s'intégrant dans le milieu du West Side Blues notamment en jouant avec Hosea Leavy, il n'eut aucune occasion d'enregistrer à nouveau. Il faudra attendre vingt ans pour qu'il soit repéré par le batteur Chris Millar désireux de le produire sur son nouveau label consacré au blues local. Epaulé par un groupe incisif comprenant basse, batterie et guitare électrique, Slim après tant d'années fait preuve d'une passion de jouer peu commune que ce soit sur ses propres chansons, qui rappellent parfois celles de john Lee Hooker (Stoop Down), ou des standards comme Two Trains Running (une sorte de dédicace à Muddy Waters) et Dust My Broom. Tout fut mis en boîte rapidement au Double D de Fresno dans des conditions live. Certes, il faut compter aussi avec les parties de guitare de Ron Thompson qui ne manquent pas de verve mais pour l'essentiel, c'est Slim, sa voix et son harmonica qui font le show. Si vous aimez le blues des villes, rustique, nerveux, politiquement incorrect, qui arrache et émeut, il est certain que Back Bottom Blues va vous en donner pour votre argent.

[ Back Bottom Blues (CD) ]
[ A écouter : Baby Please Don't Go - Shake Yo' Booty - Stoop Down ]



The Rolling Stones : The Rolling Stones (Decca Mono LK 4605), UK, 16 avril 1964
The Rolling Stones : England's Newest Hit Makers (London Records Mono LL 3375), UK, 16 avril 1964 (Version américaine de l'album)


Sorti le 16 avril 1964 en Angleterre, le premier LP des Rolling Stones fut enregistré au début de l'année en cinq jours dans le petit studio Regent Sound de Londres. Autrement dit, la musique est véhémente, brute, jouée quasiment en live sans grande modification ni rajout ultérieur. A l'époque, le couple Jagger-Richards composait peu, leur objectif étant d'abord de propager le virus du R&B en Angleterre, si bien que sur les douze titres, neuf sont des reprises de standards américains comme Route 66 de Bobby Troup, I Just Want To Make Love To You de Willie Dixon, Honest I Do de Jimmy Reed, Mona (I Need You Baby) de Bo Diddley, Carol de Chuck Berry, et Can I Get A Witness de Marvin Gaye. Mais les interprétations sont personnelles, comme dynamitées de l'intérieur par l'injection d'un surplus d'énergie et le groupe fait preuve d'une fantastique cohésion. Tell Me (You're Coming Back), le seul titre composé par Jagger et Richards, démontre non seulement que dès 1964, le tandem regardait déjà plus loin que les reprises de R'N'B mais aussi qu'il possèdait un réel potentiel pour l'écriture de ce genre de ballade pop-rock qu'Andrew Loog Oldham, en manager avisé, ne tardera pas à pousser en avant. Quant aux deux titres signés Nanker Phelge (le blues Little By Little et l'instrumental Now I've Got A Witness dédié à Phil Spector et Gene Pitney qui contribuèrent à l'enregistrement), ce sont en réalité des compositions collectives de tous les membres des Stones qui ne déparent en rien le répertoire.

Jagger et Richards affichaient déjà tous les stigmates qui en feront plus tard des monstres sacrés du rock tandis que Brian Jones jouait encore avec efficacité son rôle de multi-instrumentiste dilettante et super doué (excellentes parties d'harmonica sur le speedé I Just Want To Make Love To You et sur le basique Now I've Got A Witness, et guitare slide sur l'envoûtant I'm A King Bee de Slim Harpo). Enregistré en mono sur un antique Revox à deux pistes dans une pièce insonorisée avec du carton, l'album sonne comme du punk avant l'heure sauf qu'ici, les musiciens ont un sens inné de la mise en place si bien que les chansons gardent une dynamique naturelle qui les rend agréables à écouter. Il existe plusieurs versions de cet album (dont une édition américaine différente de l'anglaise) avec quelques morceaux remplacés par d'autres et un ordre des titres différent. Le LP initial sorti en Grande-Bretagne en 1964 a les caractéristiques suivantes : il débute par Route 66 et se termine par Walking The Dog; il inclut Mona (I Need You Baby) plus indispensable que Not Fade Away de Buddy Holly figurant sur la version américaine; la version de Tell Me sans le piano de Ian Stewart est plus concise avec un minutage de 2'52" (les rééditions ultérieures corrigeront cette erreur en incluant la prise complète avec piano d'une durée de 4'06". Toutefois, cette dernière version se terminant abruptement, une troisième variante de ce titre sera finalement éditée avec un fondu progressif en finale vers 3'48" : c'est celle qui figure sur le vinyle américain); et enfin, la pochette du vinyle ne porte aucune information (pas de nom de groupe ni titre d'album) à l'exclusion d'un rectangle en haut et à droite avec le nom du label (Decca) alors que l'édition américaine par London Records affiche à la fois le nom du groupe et l'intitulé "England's Newest Hit Makers". De tous les disques sortis par les Stones avant le phénoménal Beggars Banquet de 1968, c'est celui-ci et "12 x 5" (London Records, 24 octobre 1964) qui sont les plus blues-rock et donc, en ce qui me concerne, les moins démodés et les plus indispensables.

[ The Rolling Stones UK (CD)) ] [ England's Newest Hitmakers USA (CD) ]
[ A écouter : Route 66 - I'm A King Bee - Little By Little ]




Albert King : Born Under A Bad Sign (Stax S 723), Août 1967 - CD Remastérisé + 5 titres / version alternatives en bonus (Stax Remasters), 2013

Second album d'Albert King et premier pour le label Stax, Born Under A Bad Sign a eu une influence considérable sur la plupart des guitaristes modernes comme Stevie Ray Vaughan ou Jimi Hendrix et, en particulier, sur les bluesmen anglais qui, d'Eric Clapton à Mick Taylor, lui doivent tous quelque chose. Composé de morceaux déjà sortis auparavant en 45 tours et enregistrés en 1966 et 1967 plus quelques titres supplémentaires, l'album, emballé sous une pochette décorée par tous les signes de la malchance (du chat noir au vendredi 13), n'en est pas moins très cohérent, la raison étant que King y est accompagné tout du long par un groupe de premier ordre au son inimitable : Booker T. and the MGs plus Isaac Hayes au piano avec, en seconde ligne, les cuivres des Memphis Horns, soit la machine de guerre du label Stax au complet. Galvanisé mais aussi bien encadré par ses complices, King le gaucher délivre des chansons concises qu'il lacère par des riffs cinglants de guitare (une Gibson Flying V de 1958 avec les cordes à l'envers qu'il appelle Lucy) en total contraste avec le son lisse et funky des Mg's. Le répertoire est en plus une succession de tubes calibrés pour la diffusion radiophonique : Born Under A Bad Sign, Crosscut Saw, Oh Pretty Woman et The Hunter durent moins de trois minutes incluant un unique solo de guitare aussi court que percutant. L'importance de cet album qui replace Memphis sur la liste des grandes cités du blues fut reconnue au fil des ans : il a été intronisé en 1985 au Blues Foundation Hall of Fame dans la catégorie "Classics of Blues Recordings", a remporté un Grammy en 1999, a été désigné Album de Blues Historique de l'année 2003 à l'occasion de sa réédition par Stax Records, et fait aujourd'hui partie de la fameuse liste des 500 plus grands albums de tous les temps (tous genres confondus) établie par le magazine Rolling Stone. C'est une belle carrière pour un disque de blues, non ?

Pour comprendre l'influence de cet album séminal sur les guitaristes de blues moderne, on écoutera d'autres interprétations des titres qui le composent:
  • Born Under A Bad Sign par Eric Clapton avec Cream (Wheels Of Fire, 1968), par Jimi Hendrix avec le Band Of Gypsys (Blues, 15 décembre 1969) et par Peter Green (Little Dreamer, 1980). Il est aussi notoire que le break intrumental joué par Clapton sur Strange Brew, premier simple tiré de l'album Disraeli Gears de Cream, est dérivé du solo d'Albert King sur Oh Pretty Woman.
  • Crosscut Saw par Stevie Ray Vaughan & Double Trouble (Live In Houston, 1981 - Coffret S.R.V., 2000)
  • Oh Pretty Woman par John Mayall's Bluesbreakers avec Mick Taylor (Crusade, septembre 1967)
  • The Hunter par Free avec le guitariste Paul Kossoff (Tons Of Sobs, 1968)
  • Laundromat Blues par Mick Taylor (Stranger In This Town, 1990)
  • As The Years Go Passing By par Gary Moore (Still Got The Blues, 1990)
Enfin, notons que le thème de la malchance (bad luck) est récurrent dans le blues depuis ses origines. Que ce soit la perte au jeu, la pauvreté, une débauche due à l'alcool, un séjour en prison, une migration forcée, et plus généralement des déboires amoureux, la malchance a été évoquée par les bluesmen comme la cause ultime d'une souffrance personnelle souvent acceptée avec le plus grand fatalisme. Parmi les innombrables chansons consacrées au thème de la malchance, on écoutera par exemple Bad Luck Blues de Blind Lemon Jefferson (1926); I Won't Be In Hard Luck No More de Big Joe Williams (1937); Bad Luck Blues de Kokomo Arnold (1938); Hard Days de Muddy Waters (1948); Bad Luck N' Trouble de Little Son Willis (1950); Bad Luck de B.B. King (LP Singin' The Blues, 1956); Nine Below Zero de Sonny Boy Williamson (LP More Real Folk Blues, 1966); Bad Luck And Troubles de Memphis Slim (LP Memphis Slim U.S.A., 1961); Hard Luck Blues de Little Milton (LP Sings Big Blues, 1966); Bad Luck And Trouble de Johnny Winter (LP The Progressive Blues Experiment,1968); Back Luck Time et More Bad Luck de Shakey Jake Harris et John Mayall (LP The Devil’s Harmonica, 1971); Bad Luck Blues de Cousin Joe (LP Bad Luck Blues, 1973); Mr. Bad Luck de Jimi Hendrix (CD Valleys Of Neptune, 2009, enregistré en 1967, première version de Look Over Yonder).

[ Born Under A Bad Sign [Stax Remasters] (CD & MP3) ]
A écouter :
[ Par Albert King : Born Under A Bad Sign - Crosscut Saw - Oh Pretty Woman - The Hunter ]
[ Par Eric Clapton & Cream : Born Under A Bad Sign ]
[ Par Jimi Hendrix : Born Under A Bad Sign ]
[ Par John Mayall & Mick Taylor : Oh Pretty Woman ]
[ Par Paul Kossoff & Free : The Hunter ]



Jeff Beck : Truth (Columbia), UK 1968 – Réédition CD remastérisée + 8 titres en bonus (EMI), 2005
Jeff Beck : Beck-Ola (Columbia), UK, 1969 – Réédition CD remastérisée + 4 titres en bonus (EMI), 2004


Des trois guitaristes (les deux autres étant Eric Clapton et Jimmy Page) ayant joué avec les Yardbirds, Jeff Beck n'est certainement pas le plus bluesy. Même s'il avoue volontiers avoir aussi été influencé par B.B. King, son truc à lui c'est d'abord le rock avec toute son énergie et sa part de fracas. Un rock parfois erratique qu'il parviendra toutefois à transcender en jazz-rock (sur les albums Blow By Blow et Wired) grâce à son immense bagage technique et un peu de discipline personnelle. Pourtant, Beck a aussi abordé le blues-rock en 1968 avec un groupe de premier ordre comprenant le chanteur Rod Stewart, le bassiste Ron Wood (Faces, Rolling Stones), le batteur Mick Waller (Brian Auger & The Trinity) plus Nicky Hopkins au piano. Il en émanera deux albums, Truth en 1968 suivi, l'année d'après, par Beck-Ola, deux disques plus ou moins similaires qui furent à une époque réédités ensemble sur un seul CD. A l'instar du Led Zeppelin I qui, soulignons-le, lui est postérieur de cinq mois, Truth constitue l'un des premiers disques parmi les plus originaux du Blues-Rock anglais mais aussi l'un des plus influents en ce qu'il va ouvrir toute grande la porte aux excès du heavy-métal.

La rythmique est lourde, le chant de Stewart terriblement expressif, et la Gibson Les Paul de Beck sonne comme si le volume de son ampli Marshall était bloqué au maximum (ce qui fut d'ailleurs probablement le cas). Le guitariste ne joue pratiquement jamais en accompagnement et se concentre sur les riffs et les solos (l'influence de B.B. King ?), ce qui donne à la musique un aspect rude et primal non conventionnel qui surprendra le technicien des studios Abbey Road. Jeff Beck n'étant pas un compositeur prolifique, on ne compte parmi les dix titres du répertoire que trois nouvelles compositions créditées à Jeffrey Rod, un pseudonyme pour le tandem Geoffrey Arnold "Jeff" Beck / Roderick David Stewart : Let Me Love You incluant une excitante interaction entre voix et guitare, Rock My Plimsoul décalqué du fameux Rock Me Baby de B.B. King, et le long blues lent intitulé Blues Deluxe, sublimé par le piano de Nicky Hopkins et interprété en studio mais qui fut bizarrement agrémenté d'une ambiance live pour faire croire à un enregistrement en concert. Le reste consiste en des reprises dont deux formidables blues de Willie Dixon (You Shook Me et I Ain't Superstitious), une version réarrangée à haut indice d'octane d'un ancien morceau des Yardbirds (Shapes Of Things) et le dispensable traditionnel Greensleeves qui faisait partie du songbook de tous les guitaristes anglais de l'époque. Le batteur Keith Moon (The Who), le guitariste Jimmy Page et le bassiste John Paul Jones sont venu jouer sur Beck's Bolero qui engendra une différend entre Page et Beck à propos de sa composition et de qui joue quoi. De même, la reprise de You Shook Me dans une version remodelée sur le premier album de Led Zeppelin a longtemps fait l'objet de controverses, Rod Stewart ayant affirmé à plusieurs reprises que Page et Plant leur avaient piqué l'idée après avoir assisté à un de leurs concerts.

On a souvent parlé des qualités relatives des deux albums du Jeff Beck Group, chacun ayant ses supporters. Mon opinion est que Truth est plus bluesy , moins violent et plus consistent que Beck-Ola qui est par conséquent plus difficile à écouter. Ma préférence va donc au premier que je recommande sans réserve aux amateurs de blues-rock anglais, surtout dans sa version remastérisée de 2005 avec pas moins de huit morceaux en bonus (incluant I've Been Drinking avec la voix de Maggie Bell, Rock My Plimsoul avec Aynsley Dunbar à la batterie (qui fut pressenti au départ pour être le batteur du groupe mais qui jettera l'éponge après avoir déploré le son dévastateur de Beck empêchant toute subtilité rythmique), ainsi qu'une version inédite de Blues Deluxe). En dépit d'une production minimale et d'une approche globale chaotique, Truth va conquérir son public, surtout en Amérique où il se classera 15ème dans le Billboard. Il est aujourd'hui considéré par Joe Bonamassa comme l'un des 10 albums essentiels de blues de tous les temps.

[ Truth (CD & MP3) ] [ Beck-Ola (CD & MP3) ]
A écouter :
[ Truth : Let Me Love You - Rock My Plimsoul - I Ain't Superstitious ]
[ Beck-Ola : All Shook Up - Spanish Boots - Rice Pudding]



Roy Buchanan : A Street Called Straight (Atlantic / Polydor), USA 1976 – Réédition CD (Wounded Bird Records), 2002
Roy Buchanan : Live In Japan (Polydor), USA 1978 - Réédition CD (Repertoire Records), 2003


Guitariste depuis l'âge de 7 ans, il est le spécialiste de la Fender Telecaster arborée quasiment sur toutes ses pochettes, une guitare au corps plein et à la sonorité claire, brillante et métallique que l'on distingue bien au milieu des autres instruments et qu'il raccorde généralement à un amplificateur Fender Vibrolux à tubes. Après s'être fait un nom dans le milieu où son talent a vite été reconnu, Buchanan est toutefois resté discret, négligeant des offres prestigieuses (il refusera entre autres de jouer avec Paul McCartney et de rejoindre les Rolling Stones après le départ de Mick Taylor) et se contentant d'être un guitariste pour guitaristes. Buchanan a enregistré dès 1972 ses premiers disques en solo pour Polydor avant de succomber à une offre d'Ahmet Ertegun, qui l'avait vu en concert au Carnegie Hall, et de signer chez Atlantic pour une autre série de LP dont A Street Called Straight, sorti en 1976, est le premier. Son style très particulier y est bien mis en valeur dès le blues Running Out en ouverture, Buchanan parvenant avec les boutons de volume et de sonorité de sa seule guitare à produire des effets stupéfiants qui ne sont plus aujourd'hui réalisés qu'à l'aide d'une multitude d'accessoires électroniques.

Secondé par son groupe habituel, Buchanan a aussi invité quelques stars comme les batteurs Andy Newmark et Billy Cobham (ici percussionniste), le bassiste Will Lee, ainsi que la section de cuivres des Brecker Brothers toujours favorables à participer à une nouvelle aventure. Cette dernière donne à certains titres, comme Keep What You Got et l'intrumental My Friend Jeff (dédié à Jeff Beck qui en retour lui dédicacera Cause We've Ended As Lovers sur son album Blow By Blow), un côté urbain un peu funky. L'intérêt de Buchanan pour la soul et le folk n'est pas en reste avec de chouettes ballades accompagnées par une guitare acoustique nonchalante (Good God Have Mercy, Caruso et I Still Think About Ida Mae). Et puis, il y a The Messiah Will Come Again avec ses solos fluides et tellement légers qu'ils grimpent par paliers jusqu'à atteindre une zone d'apesanteur. On imagine ses doigts courant comme des pattes d'araignée sur le manche et on comprend alors comment Buchanan pouvait hypnotiser son public en exprimant tout un panel d'émotions grâce à sa six-cordes. Enfin, le guitariste s'attaque au If Six Was Nine de Jimi Hendrix dont il donne une version bluesy et un peu funky qui ressemble à une intelligente extrapolation de l'original. Ceux qui sont plus intéressés à découvrir les prouesses techniques de Roy Buchanan feront tout aussi bien de se rabattre sur un de ses disques live (le meilleur candidat est Live In Japan enregistré en 1977 et qui inclut la fantastique improvisation Soul Dressing) ou un de ceux de sa période Alligator (When A Guitar Plays The Blues en 1985 ou Hot Wires en 1987 sont excellents) mais pour un album équilibré, varié et bourré de soul, avec de multiples changements de styles et de climats, et comportant plus de compositions personnelles que d'habitude, on peut opter sans crainte pour A Street Called Straight qui reste l'une de ses plus belles réussites en studio.

Poursuivi depuis longtemps par ses propres démons (le titre A Street Called Straight faisait déjà référence à sa lutte continuelle pour rester sobre), Roy Buchanan fut arrêté le 14 août 1988 pour alcoolisme sur la voie publique et mis en prison à Fairfax en Virginie. Le même jour, on l'y retrouva pendu dans sa cellule à sa propre chemise. Il avait 48 ans. Déclaré comme un suicide, la cause du décès fut toutefois contestée par certains et garde, aujourd'hui encore, toute sa part de mystère.

[ Live Stock / A Street Called Straight (CD & MP3) ] [ Live In Japan (CD) ]
[ A écouter : My Friend Jeff - The Messiah Will Come Again (live 1976) - Good God Have Mercy - Soul Dressing (Live In Japan) ]

Michael Jerome Browne : Can't Keep A Good Man Down (Borealis Records), 2016

Né dans l'Indiana mais émigré dans sa jeunesse à Montréal, Michael Jerome Browne est un virtuose de la guitare acoustique qui maîtrise tous les styles de blues, du slide au fingerpicking, depuis le country blues du Delta jusqu'au folk-song des Appalaches en passant par le cajun et le gospel. Longtemps partenaire d'Eric Bibb qui le tient en haute estime, Browne s'est aussi fait connaître comme un vrai "one man band". En plus de ses guitares électriques ou acoustiques, à six ou douze cordes, il chante et joue du banjo, de la mandoline, du violon, du kazoo, du washboard et de l'harmonica. Ce superbe album regroupe 15 titres issus de sa discographie antérieure, depuis Drive On (2001) jusqu'à The Road Is Dark (2011), plus une nouvelle composition intitulée Four Years, No Rain. On y trouvera de fantastiques reprises de chansons autrefois jouées par des bluesmen légendaires comme Tampa Red, Jesse Fuller, Reverend Gary Davis et Tommy Johnson mais aussi quelques morceaux originaux qui ne déparent en rien la cohérence du répertoire. Qu'il joue en solo pur ou accompagné par quelques potes musiciens, Brown transcende le genre avec autant de passion que de talent. Si vous êtes fan de blues acoustique et que vous appréciez l'écouter dans des conditions optimales d'enregistrement, il n'y a rien de meilleur en cette année 2016 que cette généreuse compilation fort bien emballée dans une pochette sympathique conçue dans l'esprit du fameux dessin de Burt Goldblatt pour le disque Columbia "King Of The Delta Blues Singers" de Robert Johnson.

[ Can't Keep A Good Man Down (CD & MP3) ]
[ A écouter : Sliding Delta - Don't Ever Let Nobody Drag Your Spirit Down (Eric Bibb & MJB live, 2014 ]

Sari Schorr : A Force Of Nature (Manhaton Records), USA 2016

La voix est puissante, profonde, limée au papier de verre et quand Sari Schorr la pousse un peu, elle prend un accent à la Janis Joplin. Ancienne choriste remarquée de Joe Louis Walker, la newyorkaise sort un premier album sous son nom qui tire tous azimuts avec beaucoup de blues mais aussi un thème traditionnel (Black Betty) dans un arrangement sombre et moderne, de la soul revisitée (Stop In The Name Of Love des Supremes), et même une ballade subtile avec un piano jazzy (Ordinary Life) étrangement logée en queue de programme. Mais pour l'essentiel, la musique pulse dans le registre blues-rock et justifie pleinement l'intitulé du disque : A Force Of Nature. Le producteur britannique Mike Vernon, qui lança le légendaire label Blue Horizon dans les années 60 et contribua à faire connaître des artistes comme John Mayall, Peter Green et Eric Clapton, a privilégié un son dense sculpté par une rythmique compacte et des guitares électriques flamboyantes. Il faut dire que le groupe de Sari Schorr, Engine Room, inclut le guitariste de blues anglais qui monte, Innes Sibun. Sur Ain’t Got No Money, ses riffs intenses intercalés entre les strophes créent une chaîne dynamique où voix et guitare se relancent en permanence dans une fantastique émulation réciproque. Le guitariste Walter Trout est venu jouer sur sa composition Work No More, une chanson touchante qui figurait sur son album Relentless de 2003. Et un troisième guitariste virtuose, le Britannique Oli Brown, est également présent sur quelques titres comme l'impressionnant Oklahoma. Quant à Sari Schorr, qui a plus d'une corde à son arc, elle puise dans des ressources qui semblent inépuisables et passe de l'émotion au drame en quelques secondes. En plus, c'est elle qui écrit ou coécrit la majorité des titres de son répertoire. Pas de doute : une nouvelle étoile brillante est née au firmament du blues.

[ Force Of Nature (CD & MP3) ]
[ A écouter : Ain't Got No Money - Black Betty - Demolition Man ]











The Story of the Blues by Paul Oliver (2 LP CBS - 66218), 1969 – Réédition 2 CD (Sony Legacy), 2003
The Story of the Blues by Paul Oliver - Volume 2 (2 LP CBS - 66232), 1970

The Story of the Blues by Paul Oliver (livre), éd. Barrie & Jenkins, Londres, 1969, 176 pages. Northeastern University Press, 1997, réédition du livre de 1969, 212 pages.


The Story Of The Blues (Volume 1)Après Eric Clapton, John Mayall et autres Fleetwood Mac, beaucoup de personnes en Europe (dont moi-même) ont fait leurs premiers pas dans le vrai blues américain grâce à Paul Oliver, un architecte britannique dont la passion pour le blues l'a amené à faire des recherches très poussées sur cette musique et à écrire des livres qui font aujourd'hui autorité dans le monde entier. Le plus célèbre est The Story Of The Blues (Barrie & Jenkins, Londres, 1969) qui fut accompagné par deux superbes doubles LP éponymes regroupant des morceaux essentiels de bluesmen parfois célèbres et parfois totalement inconnus, depuis les lointaines années 20 jusqu'à la fin des années 60. Aujourd'hui, la plupart de ces musiciens ont fait l'objet d'intégrales et d'études approfondies mais les albums de Paul Oliver gardent tout leur intérêt puisqu'ils permettent au néophyte d'appréhender pour une somme raisonnable les différents styles et l'évolution chronologique du blues en offrant un titre représentatif, et souvent parmi les plus intéressants d'un point de vue historique, des différents musiciens abordés.

Le volume 1 est découpé en quatre sections (une par face de LP). La première est consacrée aux "origines du blues" avec des légendes comme Mississippi John Hurt, Blind Willie McTell, Charley Patton et Blind Lemon Jefferson plus deux noms moins connus : le fantasque chanteur texan Algier "Texas" Alexander (1900 - 1954) qui se faisait accompagner à la guitare par Lonnie Johnson et Peg Leg Howell (1888 – 1966), chanteur et guitariste précurseur du fingerpicking actif dans les rues d'Atlanta. Oliver y a ajouté Yarum Praise Songs des Fra-Fra Tribesmen, un chant enregistré au Ghana en 1964, censé remonter à la source du blues en rappelant ses origines africaines. La seconde section intitulée "Blues & Entertainment" est dédiée au blues en tant que musique de divertissement et présente encore une fois des artistes célèbres (Bessie Smith) et d'autres plus obscurs comme la chanteuse Bertha 'Chippie' Hill March (1905 – 1950), surtout connue pour ses enregistrements avec Louis Armstrong qui l'accompagne ici au cornet, et le duo Henry Williams / Eddie Anthony combinant avec brio guitare et violon dans un Georgia Crawl plein de verve. Barbecue Bob, figure truculente d'Atlanta qui avait l'habitude de chanter pour les clients de son restaurant, y trouve tout naturellement sa place. La section 3 est réservée au "blues rural et urbain des années 30" : un intitulé non pertinent puisque les musiciens présentés ici appartiennent tous au blues rural. On y retrouve par contre les grands noms de l'époque comme le séminal Robert Johnson (Little Queen Of Spades), Memphis Minnie, Bukka White et Leroy Carr qui côtoient avec bonheur quelques artistes dont on se délecte de faire la connaissance : Peetie Wheatstraw, Casey Hill et Bo Carter. Enfin, dans la dernière section couvrant l'époque de la seconde guerre mondiale et plus tard, on retrouve un blues plus moderne, urbain et beaucoup plus connu avec quelques incontournables comme Brownie McGhee, Big Joe Williams & Sonny Boy williamson, Otis Spann, Elmore James et Johnny Shines. A noter quand même que Blind Boy Fuller avec Sonny Terry (I Want Some Of Your Pie, 1939) ainsi que Joe Turner (Roll' Em Pete, 1938), pour intéressant qu'ils soient, tombent étrangement en dehors de la période couverte et n'ont rien de très moderne alors que la riche période des années 50 (Muddy Waters, Willie Dixon et Jimmy Reed entre autres) est passée sous silence complet.

Sorti une année plus tard que le premier et distribué plus confidentiellement, le volume 2 de la saga n'en est pas moins intéressant. Reprenant un découpage similaire à son prédécesseur, ce second double LP explore à nouveau le blues selon quatre sections mais avec des thèmes différents. La première face est dédiée aux guitaristes (guitar pickers) et combine comme d'habitude des noms connus (J.B. Lenoir, Lonnie Johnson et Son House) à d'autres qui le sont moins comme Little Hat Jones, Emery Glen et Buddy Moss. Particulièrement intéressant ici est le jeu de guitare de Curley James Weaver dont je n'ai pas tardé à me procurer "The Complete Recorded Works 1933 - 1935 In Chronological Order" édité par Document Records. Avec logique, la seconde face couvre les pianistes dont deux représentants parmi les plus célèbres sont inclus (Roosevelt Sykes et Champion Jack Dupree) à côtés de noms plus méconnus comme Whistlin' Alex Moore, Sylvester Palmer, Cripple Clarence Lofton, Bumble Bee Slim et le très rare George Noble avec son superbe morceau, The Seminole Blues (1935), qui se réfère à un train célèbre desservant sa ville de Chicago. Sur la troisième face, ce sont les dames qui sont à l'honneur mais plutôt que de présenter les plus célèbres d'entre elles comme Memphis Minnie ou Bessie Smith, Oliver a encore une fois opté pour des artistes quasi anonymes du moins en Europe. C'est ainsi l'occasion de réécouter Maybelle's Blues (1953) par la chanteuse de R'N'B Big Maybelle, le jazzy Desert Blues (1928) par Martha Copeland, ou Christmas Morning Blues par la truculente Victoria Spivey accompagnée par l'incontournable et polyvalent Lonnie Johnson à la guitare. Enfin, sur la dernière face consacrée aux groupes de blues, on retrouvera quelques noms bien connus comme Magic Sam, Otis Rush et Memphis Minnie à côté quand même de quelques raretés comme les Mississippi Mud Steppers, Jazzbo Tommy & His Lowlanders, et Duskey Dailey & His Band.

En dépit de quelques erreurs, de ses omissions et d'une classification un peu erratique, ces deux compilations constituent encore aujourd'hui l'une des portes d'entrées (une alternative est évidemment le coffret Martin Scorsese Presents the Blues: A Musical Journey sorti beaucoup plus tard en 2003) les mieux documentées sur le monde du vrai blues qui est d'abord l'expression et la création du peuple afro-américain avant qu'il ne devienne un genre musical à part entière joué par les musiciens du monde entier. Toutes les facettes du blues d'origine y sont représentées depuis les grandes chanteuses de jazz-blues des années 20 jusqu'au blues électrique et urbain d'après-guerre en passant par les différentes étapes, les caractéristiques locales et les instruments du blues rural. En écoutant ces compilations, on comprend bien que le blues et le jazz formaient au départ un tronc unique, les musiciens passant de l'un à l'autre sans problème. Egalement, à l'écoute de ces faces historiques, l'influence d'autres styles comme le gospel, la country et le folk saute aux oreilles. Fort d'une culture encyclopédique et d'une expérience peu commune pour l'époque, Paul Oliver a réalisé dès 1969 les premières grandes compilations thématiques du blues dont s'inspireront plus tard de nombreuses maisons de disques. A réécouter si possible en lisant son livre The Story Of The Blues qui leur est associé (ou alors, comme alternative en français, Le Monde Du Blues par le même Paul Oliver édité chez Arthaud en 1962 et réédité en 2002 dans la collection 10/18).

Au niveau de la réédition de ces deux albums, il faut noter une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne est que le premier volume est ressorti à plusieurs reprises en LP mais a connu aussi en 2003 une réédition de qualité, avec des notes de pochette revues, sous la forme d'un double compact (Columbia Legacy). Bizarrement, les trois dernières plages du double LP (Otis Spann, Elmore James et Johnny Shines) ont été enlevées mais 16 nouvelles plages ont été ajoutées en bonus. Si beaucoup d'entre elles ont bien leur place ici (Lightnin' Hopkins, Willie Dixon, Muddy Waters, Taj Mahal, Keb' Mo'), d'autres comme celles de Santana, The Electric Flag, Bob Dylan et du Jeff Beck Group paraissent beaucoup moins judicieuses dans la ligne éditoriale du programme et auraient avantageusement laissé leur place à quelques musiciens représentatifs du blues afro-américain moderne (Buddy Guy, Joe Louis Walker, Robert Cray, Gary Clark Jr., Albert King …). Enfin, le choix était difficile si l'on considère que, pour des raisons évidentes de licence, il fallait nécessairement piocher dans le catalogue Columbia.

La mauvaise nouvelle est que le volume 2, s'il a bien connu une réédition tchécoslovaque en vinyle en 1983, n'a jamais été réédité en compact. Ce qui est vraiment dommage vu l'approche suivie complémentaire au premier volume ainsi que le nombre important d'artistes méconnus qu'il mettait en lumière.

Terminons par les mots de Paul Oliver lui-même repris des notes de pochette : "Maintenant que le blues est reconnu comme ayant eu une influence majeure sur la musique populaire du monde entier, il est facile de négliger son importance en tant que musique folk du vingtième siècle créée par le peuple afro-américain. Une génération grandit qui associe les sons du blues à la musique faite par des groupes de jeunes jouant de façon similaire sur des guitares et des harmonicas amplifiés aussi bien à San Francisco, qu'à Londres ou Tokyo. Cette collection tente d'esquisser l'essence de son histoire musicale, depuis ses origines dans les états du Sud de l'Amérique jusqu'à sa phase finale en tant que musique indépendante créée par les membres d'une minorité ségrégée.".

[ Cliquer ici pour voir les titres inclus dans les albums ]

[ The Story Of The Blues Vol. 1 & 2 [4 LP] ]
[ A écouter : Texas Alexander : Broken Yo Yo (1929) - Blind Willie Mctell : Travelin' Blues (1929)
Memphis Minnie : Me And My Chauffeur Blues (1941) - Elmore James : Sunnyland (1963)
Curley Weaver : No No Blues (1929) - Martha Copeland : Desert Blues (1928)
Otis Rush : Love That Woman (1957) - Magic Sam : All Your Love (1957) ]

Bayou Shack by Moonlight by Robert Rucker (1932-2001)
Across the river an owl was callin'
As he slowly made his rounds
A midnight dew was softly falling
On the ground, on the ground

Bayou woman you make me feel it
Dancing barefoot in the night
Moving softly in the shadows
In the pale moonlight
--------------------
Sur le fleuve un hibou a crié
alors qu'il faisait sa ronde
Une rosée de minuit est tombée
Sur le sol, sur le sol

Femme du bayou tu m'émotionnes
En dansant pieds nus dans la nuit
En bougeant lentement dans l'ombre
D'un pâle clair de lune

Bayou Woman par Tony Joe White
(Lake Placid Blues, 1999)

Toile de Robert Rucker (1932-2001)




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