Blues 12 : Autres Suggestions


Mississippi River
Is so long, deep and wide
I can see my good girl
Standin' on that other side

I cried and I called
I could not make my baby hear
Lord, I'm 'on get me a boat, woman
Paddle on away from here
--------------------
La rivière Mississippi
Est si longue, large et profonde
Je peux voir ma bonne femme
Debout sur l'autre rive.

J'ai crié et appellé
Je ne pouvais pas me faire entendre
Seigneur, je vais m'attraper une barque
Et pagayer loin d'ici

Mississippi River Blues,
Big Bill Broonzy (Bluebird), 1934







Mississippi Fred McDowell :

Various Artists : Preachin' The Blues / The Music Of Mississippi Fred McDowell (Telarc), USA 2002

Mississippi Fred McDowell : You Gotta Move (CD Arhoolie), USA 1993

Fred McDowell: Mississippi Delta Blues (LP Arhoolie F-1021), USA 1964

Fred McDowell Vol. 2 (LP Arhoolie F-1027), USA 1966


Fred McDowell est l'un de ces légendaires bluesmen qui ont marqué plusieurs générations de musiciens. Né entre 1903 et 1906 dans une plantation à Rossville dans le Tennessee (alors qu'on lui attribuera plus tard le nom de scène de Mississippi), il avait l'habitude d'animer les soirées des environs. A 21 ans, il décida de partir à Memphis où il s'installera deux années avant de poursuivre son voyage jusqu'à Como dans le Mississippi, situé à environ 75 km au Sud de Memphis. Tout en travaillant dans les champs de coton, il a continué à chanter et à jouer dans les bals et piqueniques, interprétant à sa manière des morceaux comme Big Fat Mama de Tommy Johnson ou Down The Dirt Road Blues de Charlie Patton ainsi que ses propres chansons. Fred a un style très épuré, se contentant la plupart du temps de s'accompagner sur une guitare acoustique accordée en "open tuning" A ou E dont il joue avec un bottleneck, soulignant son chant par des glissandos qui remplacent parfois les paroles manquantes (McDowell avait coutume d'expliquer : ce que je chante, la guitare le chante aussi et ce que la guitare dit, je le dis). Au début, il faisait glisser sur les cordes une lame de couteau de poche qu'il remplaça plus tard par un os de côte de bœuf avant de découvrir les bienfaits du verre et d'utiliser (exclusivement) le goulot d'une bouteille de gin Gordon. Son style efficace, percussif, hypnotique et minimaliste donnera naissance à un courant musical régional dénommé "North Hill Country Blues" dont R. L. Burnside et Junior Kimbrough ainsi que le label Fat Possum Records deviendront les représentants les plus connus. Redécouvert et enregistré à Como en 1959 par le folkloriste Alan Lomax, McDowell acquit à l'âge de 55 ans une renommée qu'il n'imaginait pas connaître un jour. En 1964, soit cinq années plus tard, il jouait au Newport Folk Festival et en 1965, il quittait une première fois l'Amérique pour se produire en Europe dans le cadre du fameux American Folk Blues Festival. Entre-temps, McDowell avait troqué sa National et son Hofner acoustique contre une Gibson électrique, modèle Trini Lopez des années 60, sans pour autant changer son style d'un iota.

Pour son disque dédié à Mississippi Fred McDowell, le label Telarc a fait quelques choix artistiques heureux. D'abord, sa musique n'a pas été modernisée à outrance ni confiée à des combos regroupant des stars diverses. Au contraire, mis à part deux cas sur douze, les artistes sont venus en studio en solitaire avec juste leur voix et leur guitare (ou un piano dans le cas de David Maxwell). Alors forcément, la musique a un côté country blues qui rappelle celle de McDowell. Pour autant, les musiciens ne se sont pas non plus contentés d'imiter celui auquel ils sont venus rendre hommage: chacun a gardé sa personnalité, injectant quelque chose de neuf dans ces chansons mythiques qui continuent à nourrir le répertoire du blues moderne via Bonnie Raitt, les Mississippi All-Stars ou les Rolling Stones. Intéressant aussi est le fait de découvrir dans cet album, à côté d'artistes majeurs dont Charlie Musselwhite (qui joue ici de la guitare au lieu de son habituel harmonica), Sue Foley, Kenny Neal et Tab Benoit, quelques bluesmen talentueux dont la renommée n'est pas encore établie du moins en Europe. Citons en vrac Anders Osborne, le Suédois basé à la Nouvelle Orléans, qui délivre une brillante version acoustique de Kokomo Blues; Brian Stoltz, ancien membre du Neville Brothers Band et des Funky Meters, qui chante et joue en slide le fameux You Gotta Move sur un mode décontracté; ou encore Scott Holt, guitariste virtuose protégé de Buddy Guy, qui donne en solo une étonnante version psychédélique de Good Morning Little Schoolgirl. Mais la cerise sur le cake est certainement cette version instrumentale de I Heard Somebody Call jouée au piano par le Bostonien David Maxwell dans un style qui met en exergue ses capacités et ses multiples influences. Débutant comme un blues crépusculaire, la composition évolue lentement sous ses doigts et finit par se transformer en un boogie roboratif à la Otis Spann.

Preachin' The Blues est un album hommage fort bien conçu et superbement produit qui vous invitera certainement à réécouter une fois de plus les versions originales de l'inimitable Mississippi Fred McDowell. Pour ça, le compact qu'il faut toujours avoir avec soi est celui du label Arhoolie, You Gotta Move, qui regroupe en 19 titres, enregistrés pour la plupart en 1964 à Como sur un équipement portable et avec un seul micro, l'essentiel des deux LP Mississippi Delta Blues (Arhoolie F-1021) et Fred McDowell Vol. 2 (Arhoolie F-1027). On y retrouvera tous les grands titres de son répertoire comme 61 Highway, Kokomo Blues, Shake 'Em On Down, Fred's Worried Life Blues, That's Alright et You Got To Move. Sur certaines, McDowell s'accompagne à la guitare acoustique tandis que sur d'autres, il utilise une guitare électrique (dont une Gibson riche en basses fréquences sur Shake 'Em On Down). Sur Brooks Run Into the Ocean et Bulldog Blues, Eli Green, son voisin à Como, joue la seconde guitare faisant naître une tension entre les deux interprètes tandis que le spiritual When I Lay My Burden Down est chanté par son épouse Annie Mae McDowell. Impressionnant de constater combien ces enregistrements historiques ont gardé à travers les décennies leur immense pouvoir d'impact, évoquant à jamais le Delta du Mississippi, son grand fleuve, ses pistes en terre courant sous un ciel lourd et ses champs monotones en vert ou blanc qui se déroulent à l'infini.

[ Preachin' The Blues : The Music Of Mississipi Fred Mcdowell (CD) ] [ You Gotta Move (CD & MP3) ]

[ A écouter : Anders Osborne : Kokomo Blues (CD Preachin' The Blues) ]

[ A écouter : Mississippi Fred McDowell : You Gotta Move - My Trouble Blues - Fred's Worried Life Blues - Shake 'Em On Down (superbe version live sur une guitare électrique) ]





Etta James :

At Last! (Argo), USA 1960 - Réédition CD remastérisé + 4 chansons en bonus (MCA/Chess), 1999

Tell Mama (Cadet), USA 1968 - Réédition CD remastérisé + 10 chansons en bonus : Tell Mama / The Complete Muscle Shoals Sessions (MCA/Chess), 2001


Née d'un père inconnu et d'une mère de 14 ans qui l'abandonna rapidement à une nourrice, Jamesetta Hawkins (1938 - 2012) a eu sa part de problèmes dès son plus jeune âge. Mais elle n'était pas non plus une fille sage et tranquille et sa vie sera une succession de drames et de changements brutaux de direction, ce qui fera dire d'elle qu'elle n'était pas gérable. Mais Etta James était ainsi : une force de la nature qui survivra à l'héroïne, à l'alcool et aux nombreuses ruptures et déceptions sentimentales, avide de connaître toutes les émotions et perpétuellement à la recherche de la reconnaissance artistique d'une mère qui la lui refusera longtemps. Comme beaucoup d'artistes noires, elle commençe par chanter du gospel dans les églises de Los Angeles. Elle est récupérée à 12 ans par sa mère qui l'emmène à San Francisco où elle abandonne les chants religieux pour une musique profane entendue au coin de la rue et dans les clubs. A 15 ans, elle est repérée par le fameux chef d'orchestre et découvreur de talents Johnny Otis qui lui donnera son nom de scène, Etta James, et la conduira en studio pour enregistrer en 1954 son premier disque pour le label Modern Records de Joe Bihari : Dance With Me Henry (The Wallflower). Ce titre sera suivi d'autres chansons dans le même style Rythm and Blues : Good Rockin' Daddy, Hey! Henry, W-O-M-A-N, Shortnin' Bread Rock et d'autres. En tournée, elle rencontre Johnny Guitar Watson qui aura sur elle une énorme influence en lui apprenant à mélanger les genres : blues, R'n'B, jazz et pop. Une approche éclectique qu'elle fera désormais sienne dans la suite de sa carrière.

Sous l'impulsion du chanteur Harvey Fuqua, Etta décide en 1960 de signer avec le label Chess. Elle part alors pour Chicago où elle sera placée sous l'aile protectrice de Leonard Chess qui voyait d'abord en elle une interprète de ballades chantées sur fond de violons. At Last!, son premier album produit par les frères Chess pour Argo Records (plus tard Cadet Records) sort en 1961 et, en conformité avec les leçons de Johnny Guitar Watson, c'est un vrai pot-pourri de styles différents comprenant des ballades pop (All I Could Do Is Cry, Anything To Say You're Mine, Trust In Me, et At Last noyé dans un tapis de cordes), du blues (les fantastiques I Just Want to Make Love to You et Spoonful de Willie Dixon), du R'n'B et du Doo-Wop (Girl Of My Dreams, Tough Mary) et même des standards du jazz (Stormy Weather et A Sunday Kind of Love). En dépit d'un répertoire qui ratisse large pour plaire à tous les goûts, At Last reste un bon disque qui témoigne de l'immense talent d'Etta James pour s'adapter comme un caméléon et chanter avec la plus grande maîtrise tout ce qu'on lui propose.

On lui préfèrera toutefois Tell Mama sorti en 1968. Suite à une certaine stagnation musicale, sans doute entretenue par une consommation abusive de drogue, qui n'aboutira qu'à la sortie de hits mineurs, Leonard Chess délègue Etta dans les studios FAME de Muscle Shoals, là même où Wilson Pickett, Joe Tex, Aretha Franklin, Irma Thomas et Otis Redding enregistrèrent quelques uns de leurs grands succès. C'est là à Florence, dans un trou perdu en Alabama déserté par tous le monde, que Rick Hall décida un beau jour de 1959 de créer les studios FAME (Florence Alabama Music Enterprises). Ce coup hasardeux se révéla payant puisque nombre de disques qui y furent enregistrés devinrent rapidement des hits comme You Better Move On d'Arthur Alexander, Chain Of Fools d'Aretha Franklin et When A Man Loves A Woman de Percy Sledge. Le succès fut tel qu'au milieu des années 60, les plus grands labels d'Amérique ont envoyé leurs artistes enregistrer dans le mythique studio en espérant décrocher la timbale. Et pour Etta aussi, ça fonctionne! Les guitares reviennent au premier plan et la ligne de cuivres qui s'époumone à l'arrière remplace avantageusement les violons sirupeux tandis qu'Etta retrouve sa voix de "mauvaise fille", hurlant comme une louve à la lune à l'instar de ses consœurs Tina Turner ou Ruth Brown. Quand au sombre I'd Rather Go Blind, en dégageant une tonne d'émotion en à peine deux minutes et demi, il s'impose comme la quintessence de tous les soul-blues jamais enregistrés sur cette planète. A Muscle Shoal, on ne produit que dans ces deux moules : soit le R'n'B sudiste up tempo emmené par des sax orageux (écoutez-les gronder sur Just A Little Bit) et un rythmique maison qui groove à la manière des anciens disques de Stax, soit la ballade bluesy et bourrée de soul généralement portée par un orgue Hammond. Mais ces deux styles, pour restrictifs qu'ils soient, suffisent à Etta qui se sent là-dedans comme un poisson dans l'eau, jouant avec sa voix pour exprimer toutes les joies, les peines et les misères de sa tragique et glorieuse existence. Etta James enregistrera encore beaucoup d'albums dans des styles les plus divers mais aucun n'a la force ni l'impact de celui-ci, testament parfait de l'une des plus grandes chanteuses de blues et de soul au sommet de son art.

La réédition de Tell Mama chez MCA offre sur un compact unique les douze titres du LP original remastérisés ainsi que dix chansons supplémentaires issues des mêmes sessions Muscle Shoals incluant une bonne version du fameux I Got You Babe de Sonny & Cher. La production de Rick Hall, fondateur des studios FAME, était déjà claire et dynamique mais elle est encore largement magnifiée dans cette nouvelle mouture : on a carrément l'impression d'être dans le studio entre la voix et les cuivres. Oubliez les violons et les orchestrations sirupeuses qui ont enrobé trop souvent la musique d'Etta James. C'est ici qu'elle est dans son élément et s'impose enfin pour ce qu'elle est : une vraie reine de la soul juste à côte d'Aretha Franklin.

[ At Last! + The Second Time Around (CD & MP3) ] [ Tell Mama - The Complete Muscle Shoals Sessions (CD & MP3) ]
[ A écouter : At Last - I Just Want To Make Love To You - Tell Mama - I'd Rather Go Blind ]

Ike Turner : Risin' With The Blues (ZOHO Roots / Music Avenue), USA 2006

Certes, la séparation violente et très médiatisée avec Tina, l'autobiographie de son ex-femme (I, Tina ) et le film qui en a été tiré tout à la gloire de cette dernière (What's Love Got To Do With It), ses frasques avec les Ikettes, un séjour en prison de 17 mois et son addiction à la cocaïne, sans parler de sa bipolarité dont il témoigne indirectement en intitulant ainsi un des titres de ce disque (Bi Polar), n'ont pas laissé que des bonnes impressions sur la personnalité controversée d'Ike Turner mais une chose est certaine : le succès de Ike et Tina Turner ne s'explique pas que par le talent de sa compagne et, dans l'ombre, c'était bien lui qui faisait tourner le moteur du groupe.

Ce disque en solitaire enregistré en 2006 après les grandes tourmentes démontre combien Ike Turner était un musicien fabuleux. Si son chant rauque, sans être déplacé dans ce contexte musical, n'a jamais été le point fort de sa carrière, ses qualités d'instrumentiste sont par contre exceptionnelles. Il joue ici avec maestria de ses deux instruments de prédilection : d'une part, la guitare toujours incandescente et nourrie de funk et de l'autre, le piano encore marqué par ce boogie woogie qu'il apprit du grand Pinetop Perkins dans sa prime jeunesse. En ouverture, le traditionnel Gimme Back My Wig, qui fut déjà revisité par l'inénarrable Hound Dog Taylor, claque comme un étendard : ça groove grave sur un arrangement peuplé d'harmonica tandis qu'une seconde ligne de cuivres jouée par les Kings of Rhythm fait monter la pression. Il modernise ensuite Caldonia, un jump blues de Louis Jordan qu'il décline, piano et sax à l'appui, sur un mode sautillant et, déjà, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi cet album à la fois traditionnel et moderne a décroché un Grammy en tant que Meilleur Album de Blues Traditionnel pour 2007. Encore branché sur un passé qu'il n'a jamais ni oublié, ni vraiment digéré, il fait référence à son mariage avec Tina en rebaptisant Eighteen Long Years le classique d'Eddie Boyd, Five Long Years, dont il donne une interprétation passionnée. Et sur A Love Like Yours, c'est carrément toute l'école du fameux label Stax que Turner ressucite avec l'appui de choristes aux voix angéliques bourrées de soul. Enfin, les amateurs du grand Horace Silver seront comblés par la reprise de son Senor Blues qui apporte quelques couleurs jazzy dans le répertoire avant que le démon ne l'habite à nouveau pour un Rockin' Blues écrit de sa main qui mettra le feu à la maison.

Né à Clarksdale dans le Mississippi en 1931, Ike Turner fut très jeune imprégné du blues authentique et à l'âge de 75 ans, après une vie en dents de scie particulièrement bien remplie et des passages successifs par divers styles musicaux, il est réjouissant de constater que son amour pour la note bleue est resté intact. Et surtout, il est heureux qu'il ait pu léguer à la postérité un disque aussi jouissif que celui-ci une année seulement avant sa mort. Il devait la sentir venir si l'on en juge par ce blues rédempteur nommé Jesus Loves Me dans lequel Ike se persuade qu'en dépit d'avoir été un mauvais garçon, Jésus l'aime quand même. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas de chanter un peu plus loin : ils ont fait un film à mon sujet et tout ce qu'ils ont dit n'était pas vrai... R.I.P. Ike Turner.

[ Risin' With The Blues (CD & MP3) ]
[ A écouter : Gimme Back My Wig - Caldonia - Jesus Loves Me - Rockin' Blues ]

The Mannish Boys : Double Dynamite (Delta Groove Productions - 2 CD), USA 2012

Voici un nom de groupe qui en dit plus que d'autres sur le genre de musique auquel on peut s'attendre. On imagine en effet qu'en se choisissant un patronyme aussi explicite dérivé de la plus célèbre chanson de Muddy Waters, les Mannish Boys jouent du Chicago blues électrique dans le style Chess des années 50 et 60. Ceci n'est toutefois que partiellement exact car les Mannish Boys sont un peu plus que ça : leur projet recouvre en réalité un collectif basé à Los Angeles qui regroupe, au gré des chansons et des concerts, une foule de musiciens divers appartenant pour la plupart à la scène blues de la Côte Ouest. Ce sixième album consacre en quelque sorte une formule à succès puisqu'il s'agit d'un double compact (d'où son nom Double Dynamite) offrant pas moins de 26 chansons et réunissant un nombre impressionnant d'artistes plus ou moins connus, heureux de pouvoir ainsi s'exprimer dans un contexte aussi professionnel et particulièrement dynamique.

On notera d'abord que beaucoup de ces titres échappent au cadre restreint du seul Chicago Blues. Si le premier CD s'avère plus traditionnel avec des reprises de Muddy Waters (She's 19 Years Old/Streamline Woman et l'incontournable Mannish Boy), Sonny Boy Williamson II (Elevate Me Mama), Willie Dixon (Bloody Tears), Otis Spann (The Hard Way), Walter Jacobs (Mean Old World) et Robert Nighthawk (Bricks In My Pillow), le second élargit considérablement le panorama en présentant des morceaux R'n'B interprétés avec l'aide d'une section de cuivres arrangée par le saxophoniste David 'Woody' Woodford. Ce sont cette fois James Brown, Albert King, Jimmy McCracklin et Ray Charles et qui sont à l'honneur avec des titres comme You've Got The Power, Cold Sweat, Born Under A Bad Sign, Later On et Mr. Charles Blues. Certes, le noyau de base du collectif est déjà en soi une formation complète et compétente avec l'excellent Sugaray Rayford, les deux guitaristes Kirk 'Eli' Fletcher et Franck Goldwasser, le bassiste Willie J. Campbell et le batteur Jimi Bott sans oublier le producteur Randy Chortkoff qui joue aussi de l'harmonica. Mais quel plaisir de retrouver en plus la myriade d'invités venus prêter leur talent au fil des plages. Avec un tel équipage, les grands moments abondent et on se contentera de n'en épingler que quelques uns comme le chanteur Mud Morganfield évoquant étrangement la voix de son père Muddy Waters sur Elevate Me Mama et sur un Mannish Boy encore plus authentique que l'original; le rare et fantastique James Harman qui chante et déploie un superbe son d'harmonica sur sa composition Bad Detective; Rod Piazza et le son saturé de son harmonica sur le standard Mean Old World encore rehaussé par un solo de guitare slide joué par Elvin Bishop; le swing jazzy du pianiste Fred Kaplan et du guitariste Kid Ramos sur You Don't Love Me dans le style décontracté de T-Bone Walker; le groove moite de l'orgue Hammond joué par Mike Finningan dans Born Under A Bad Sign sur lequel se pose la guitare flamboyante d'Elvin Bishop; ou encore le guitariste Kirk Fletcher sur Drowning On Dry Land dans le style funky si particulier d'Albert King…

Bref, on l'aura compris, c'est à un vrai festival de blues polymorphe que l'on est convié. Les sons, les rythmes, les sous-genres et les références défilent en procurant un plaisir à chaque fois renouvelé d'autant plus que la production et le mixage sont parfaits. Les Mannish Boys n'ont jamais enregistré un mauvais disque mais de tous, c'est celui-ci que je préfère à cause du second compact, sous-titré Rhythm & Blues Explosion, qui élargit considérablement leur spectre musical en apportant d'autres couleurs et nuances. A écouter !

[ Double Dynamite (CD & MP3) ]
[ A écouter : Born Under A Bad Sign / Cold Sweat / Death Letter (Présentation / Extraits) ]



Homesick James : Blues on the South Side (Prestige), USA 1965 - Réédition CD (OBC), 1991
Homesick James : Shake Your Money Maker (SPV / Blues Label), USA 2007


James Henry Williamson (ou Henderson) était un nomade fantasque et instable qui changeait de nom et donnait des informations contradictoires à son sujet tout en prenant plaisir à brouiller les pistes. Originaire de Sommerville dans le Tennessee, il clamait être né à Mexico, avoir pris des leçons de guitare auprès de Blind Boy Fuller, avoir joué avec Sonny Boy Williamson et Sleepy John Estes, et avoir enregistré à Memphis pour Victor et Vocalion dans les années 30 alors qu'on n'en a retrouvé aucune trace. Si une chose est certaine, c'est qu'il gagna Chicago à la fin des années 30 où il délaissa la guitare pour la basse électrique, accompagnant Robert Lockwood, Little Walter et, plus important pour lui, Elmore James dont il disait être un cousin éloigné.

Ses premières traces discographiques datent de 1952 pour Chance Records et, en 1953, il enregistra pour ce label le titre Homesick qui deviendra sa signature et qui lui donnera son surnom : Homesick James. A partir de 1955, il joue de la basse ou de la guitare dans le groupe d'Elmore James qui devient progressivement une star et il l'accompagnera jusqu'à sa mort en 1963, contribuant ainsi à des morceaux aussi célèbres que It Hurts Me Too, The Sky Is Crying, Rollin' And Tumblin' et The Sun Is Shining. Entre-temps Homesick James a beaucoup appris de son cousin et il maîtrise désormais la guitare slide presque aussi bien que son mentor. Après la disparition de ce dernier, il enregistre en janvier 1964 son disque phare, Blues On The South Side, pour le label Prestige : c'est encore aujourd'hui son meilleur album, un classique du blues de Chicago qu'il faut absolument avoir sur son étagère bleue. Il y est accompagné par les plus fines lames de la cité venteuse: le pianiste Lafayette Leake (accompagnateur des stars du label Chess, de Chuck Berry à Howlin' Wolf), le guitariste Eddie Taylor (célèbre pour avoir nourri si longtemps le shuffle de Jimmy Reed) et le batteur Clifton James (co-créateur du Bo Diddley beat). Dans ce contexte, Homesick James groove sur Gotta Move et sur Stones In My Passway, met le feu à sa guitare sur les instrumentaux Homesick's Blues et Working With Homesick, et balance un blues lent nommé Goin' Down Swingin' avec une profondeur dont on ne l'aurait guère cru capable.

A partir de là, Homesik James, qui s'est enfin fait un nom, enregistrera pour des labels divers et jouera un peu partout y compris en Europe. Shake Your Money Maker a été enregistré live en 1999 à l'occasion d'une tournée en Suisse. Approchant de sa quatre-vingt cinquième année d'existence, le vieux bluesman y revisite ses chansons fétiches comme Gotta Move, Set A Date, The Sky Is Crying, Homesick Boogie et quelques autres. Son style de guitare slide ressemble toujours à celui d'Elmore James en un peu moins raffiné mais, quand le cœur y est comme ici, le vétéran sait comment chauffer le public. Certes, les séquences d'accords sont erratiques mais le groupe, bien encadré par le producteur et guitariste de Nashville Fred James, le suit à la volée dans ce qui ressemble plus à un happening artisanal qu'à un concert moderne. Les amateurs de blues sont satisfaits, persuadés d'avoir assisté à un évènement rare et authentique. Quand au dernier des "broomdusters", il est reparti comme il est venu avec sa guitare dans une main et son quart de brandy dans l'autre. Pas sûr néanmoins que ce genre de production ajoute quoique ce soit à sa légende !

[ Blues On The South Side (CD & MP3) ] [ Shake Your Money Maker (CD & MP3) ]
[ A écouter : Homesick (Chance Records) - Homesick's Blues (Prestige) ]





B.B. King : Singin' The Blues (Crown), USA 1957 - Réédition CD (ACE), 2005

Sorti en 1957 sur le label économique Crown, le premier album de B.B. King figure parmi les dix meilleurs disques de blues de tous les temps sélectionnés par le guitariste Billy Gibbons du groupe ZZ Top et il est facile de comprendre pourquoi. Le LP original compilait 12 chansons enregistrées pour la firme RPM basée à Los Angeles (une filiale de la firme Modern Records appartenant aux frères Bihari) et déjà sorties en simples, dont pas moins de dix succès ayant cartonné dans les classements américains des ventes de musique R&B : 3 O'Clock Blues (1951), You Know I Love You (1952), Woke Up This Morning et Please Love Me (1953), You Upset Me Baby (1954), Ten Long Years et Every Day I Have the Blues (1955), Bad Luck et Crying Won't Help You (1956) plus Sweet Little Angel dans une version alternative supérieure à l'originale (1956). On notera que 3 O'Clock Blues fut le premier hit de B.B. King. Enregistrée en mai 1951 dans le building YMCA sur Madison Avenue à Memphis, cette composition est faussement attribuée à B.B. King qui l'avait entendue chanter par Lowell Fulson. Le guitariste y est accompagné par un casting de rêve comprenant, en plus des cuivres, le jazzman Phineas Newborn Jr. au piano, son frère Calvin Newborn à la guitare et son père Phineas Newborn Sr. à la batterie. Edité la même année sur un 78 tours, couplé avec That Ain't The Way To Do It, 3 O'Clock Blues se hissera rapidement à la première place du Hit Parade R&B de Billboard magazine, ouvrant ainsi la porte à des dizaines d'autres succès que Riley Ben "Blues Boy" King écrira cette fois lui-même.

Le disque a beau s'appeler "Singin' The Blues", la première chose qui surprend et reste dans l'oreille est la guitare, les notes claires et puissantes jouées portamento et le phrasé staccato ponctuant les arrangements entre les parties vocales. Un style qui fera recette chez des millions de guitaristes qui ne parviendront que rarement à atteindre la même force émotionnelle. Il ne fait aucun doute également que ce sont ces faces séminales qui ont inspiré quelques années plus tard les guitaristes du blues boom britannique comme Eric Clapton et surtout Peter Green - John Mayall dira que de ses trois guitaristes fétiches (Green, Clapton et Mick Taylor), c'était surtout Peter Green qui endossa le mieux l'héritage de B.B. King car, comme lui, il jouait à l'économie en intercalant entre deux lignes de texte un court chapelet de notes les plus efficaces possible, souvent à l'octave avec un intense vibrato pour prolonger le chant en accentuant le côté dramatique des paroles. -

Entre-temps, depuis son premier succès d'octobre 1951 (3 O'Clock Blues) jusqu'à Sweet Little Angel en 1956, King a beaucoup progressé. Digérant les influences complémentaires de T-Bone Walker et de Charlie Christian, son jeu s'est progressivement musclé affichant un son plus mordant combiné à des attaques plus agressives, tenant désormais tête à l'orchestre de cuivres qui l'accompagne. Quant à la voix puissante et pleine d'assurance, elle est déjà parfaitement en place, capable de rendre toutes les nuances des paroles enracinées dans la tradition du Delta. Il approfondira encore par la suite ses qualités de chanteur et de guitariste (qui culmineront sur ses albums des années 60 comme Live At The Regal, Confessin' The Blues, Lucille ou Completely Well) mais l'essentiel de son art est déjà présent ici dans ces enregistrement historiques de la première heure qui comptent parmi les plus influents du blues moderne.

Voici la liste des disques simples RPM, avec leurs références, dates et lieux d'enregistrement, incluant (en rouge) les chansons reprises sur le LP original:

386 - Please Love Me / Highway Bound (Houston, Avril 1953)
416 - You Upset Me Baby / Whole Lotta' Love (L.A., 1953)
421 - Everyday I Have The Blues / Sneakin' Around (L.A., Novembre 1954)
468 - Bad Luck / Sweet Little Angel (L.A., Juillet 1956)
339 - That Ain't the Way to Do It / 3 O'Clock Blues (Memphis, Octobre 1951)
395 - Blind Love (Who Can Your Good Man Be) / Why Did You Leave Me (Houston, Octobre 1953)
380 - Woke Up This Morning (My Baby Was Gone) / Don't Have to Cry (Houston, Fevrier 1953)
363 - You Know I Love You / You Didn’t Want Me (Memphis, 1952)
437 - Ten Long Years / What Can I Do? (L.A., Juillet 1955)
457 - Did You Ever Love A Woman / Let's Do the Boogie (L.A., Janvier 1956)
451 - Crying Won't Help You / Can't We Talk it Over (L.A., Janvier 1956)

La réédition en CD par le label britannique Ace Records comprend huit chansons supplémentaires, dont cinq enregistrées entre 1954 et 1956 pour le même label RPM et une (I Stay In The Mood) datant de 1956 qui fut éditée plus tard sur le label Kent, une autre filiale de la firme Modern Records.

[ Singin' The Blues (Ace Records) (CD & MP3) ]
[ A écouter : 3 O'Clock Blues - Bad Luck - You Upset Me Baby - Sweet Little Angel ]

King King : Reaching For The Light (Manhaton), UK 2015

Après leur superbe album Standing In The Shadows sorti en 2013 et une reconnaissance nationale en tant que meilleur groupe de blues, pour la troisième fois consécutive, aux British Blues Awards 2014, il s'est créé une énorme attente relative à ce troisième disque en studio. Et il est inutile de le nier : Reaching For The Light confirme avec brio l'ascension de King King au sommet d'un genre qui connut son heure de gloire dans les années 60 mais qui ne fait plus le buzz depuis longtemps. En dépit du kilt désopilant de son chanteur charismatique Alan Nimmo (originaire de Glasgow en Ecosse) et d'un nom de groupe rudimentaire repris de l'unique disque enregistré par un obscur groupe de blues-rock de Los Angeles (The Red Devils), la musique de King King tourne à fond sur ses quatre cylindres et impose le respect par sa classe et son énergie. Nimmo n'a jamais été très friand du blues simpliste à trois accords et ses compositions débordent bien souvent sur le rock classique, et plus particulièrement sur celui de Free qui semble avoir été une énorme référence. D'ailleurs Nimmo a une voix viscérale et puissante, un peu rocailleuse, qu'il module à la manière de Paul Rodgers (écoutez en particulier la ballade Rush Hour) tandis que son jeu de guitare rappelle parfois le phrasé fluide et mélodique de l'inoubliable Paul Kossoff (Stranger To Love). Du coup, les neuf titres qui composent cet album ont le potentiel pour toucher un public bien plus large que les seuls fans purs et durs de blues authentique. De Hurricane en forme de hard-rock à la Thunder (dont le chanteur Danny Bowes est une autre influence) piloté par un orgue Hammond à la ballade pleine de soul Lay With Me, en passant par le groove intense à la Bad Company de Crazy, il y en a décidément pour tous les goûts. Le titre de l'album est clair : Nimmo et les siens sont entrés dans la lumière. Puissent-ils y rester longtemps pour le bonheur des amateurs de blues-rock élargi actuellement en manque de disques d'un tel calibre.

[ Reaching For The Light (CD & MP3) ]
[ A écouter : Hurricane - Rush Hour ]

The Nimmo Brothers : Moving On (Armadillo), UK 1998

Le premier album des frères Nimmo n'est peut-être pas le plus mature particulièrement au niveau de l'écriture de nouvelles compositions ni le mieux enregistré mais il offre une formidable collection variée de chansons démontrant toute l'étendue des capacités de ces deux chanteurs guitaristes issus de la scène de Glasgow. Le répertoire est aussi nettement plus blues, mais dans une perspective britannique, rendant en quelque sorte hommage aux grands groupes anglais des années 60 et à Fleetwood Mac en particulier. Il inclut d'ailleurs une reprise de Peter Green (le superbe Watch Out tiré de l'album The Original Fleetwood Mac) et une autre de Danny Kirwan : le boogie Like It This Way ici interprété live et utilisé comme véhicule pour des échanges mémorables de six-cordes entre les deux frères. Les sons de guitare, deux Gibson Les Paul, sont magnifiques et les riffs ont une pêche comme on n'en a plus entendu depuis le Beano de John Mayall avec Eric Clapton. Sur le standard Black Cat Bone, les deux solistes mettent le feu avec une incroyable énergie qui laisse imaginer ce que ça peut donner quand ils sont tous les deux sur scène. L'album contient aussi quelques blues lents comme I Do It All For You et In My Mind qui mettent bien en relief les vraies qualités de chanteur des frères Nimmo. Et il y a aussi ce titre acoustique qui donne son nom à l'album, un vrai blues authentique dont le chant fier et puissant plonge au cœur du Delta. C'est avec cette collection de blues que le tandem a forgé en concert sa réputation de meilleur groupe de blues britannique, un titre qui leur sera attribué officiellement en 2002 (meilleur UK blues album pour Coming Your Way et meilleur UK blues band). Plus tard, ils évolueront vers une musique plus blues-rock classique mais ce Moving On permet de découvrir leurs passions et leurs influences profondes, et en fin de compte de comprendre d'où ils viennent.

[ Moving On (CD & MP3) ]
[ A écouter : I Do It All For You - Moving On ]

I hate to see the evening sun go down
I hate to see the evening sun go down
'Cause my baby, he's gone left this town<

Feeling tomorrow like I feel today
If I'm feelin' tomorrow like I feel today
I'll pack my trunk and make my getaway
--------------------
Je déteste voir descendre le soleil du soir
Je déteste voir descendre le soleil du soir
Parce que mon chéri a quitté la ville

Si je me sens demain comme je me sens aujourd'hui
Si je me sens demain comme je me sens aujourd'hui
Je vais faire mon paquetage et me tirer d'ici

Saint Louis Blues,
Billie Holiday & Benny Carter (OKeh), 15/10/1940







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