Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série IV - Volume 7 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 8 ] [ 9 ] [ 10 ]

Styx : Cyclorama (Sanctuary), USA, 2003



D'abord, il y a cette image qui hypnotise le regard comme seul peut le faire une pochette conçue par Storm Thorgerson et le collectif Hipgnosis. Cette carotte suspendue dans le ciel comme une épée de Damoclès a la force d'une peinture surréaliste de Magritte mais sa signification restera à jamais une énigme: peut-être est-ce tout simplement un appât pour l'acheteur potentiel, où une référence à la musique sur-vitaminée de l'album ou encore un clin d'œil à Dennis DeYoung qui vient de quitter le groupe et dont le surnom était « The Doctor » au sein de Styx (une sorte de « what's up Doc? » visuel). Toujours est-il que le livret également est rempli de carottes mises en perspective dans des situations plus étranges les unes que les autres. Sorti en 2003, ce quatorzième disque en studio marquait un tournant pour Styx puisqu'il était le premier à être enregistré sans le fameux compositeur, claviériste, chanteur et membre fondateur Dennis DeYoung connu pour ses refrains assassins, ses claviers grandioses et sa propension à donner un côté théatral au rock basique de Styx. C'est donc avec curiosité que l'on plonge dans cet album. Et le premier titre fournit tout de suite la réponse à nos interrogations : la musique correspond parfaitement aux intérêts des autres membres du groupe et à ceux de Tommy Shaw en particulier, l'autre pilier de Styx qui, lui, n'a jamais caché son intérêt pour un rock hard et mélodique dans le style A.O.R. de Journey, Foreigner ou Asia. Ceci dit, Do Things My Way est une excellente composition pleine de verve et de guitares qui claquent tandis que Waiting For Our Time est encore meilleur avec ses guitares acoustiques, un arrangement hors-pair, et un refrain emphatique qui en met plein les oreilles. C'est du pur Tommy Shaw en pleine forme dans son élément naturel. Mais il faut souligner aussi que trois des membres chantent dans cette formation et chacun à l'occasion de briller à un moment ou a un autre. These Are The Times, Captain America et One With Everything sont des brûlots aussi concis qu'efficaces tandis que la ballade Yes I Can avec ses harmonies vocales somptueuses est de la belle ouvrage. Et il y a même quelques surprises comme le nouvel arrangement très court de Fooling Yourself avec le grand Brian Wilson (Beach Boys) en invité parmi les chœurs. En fait, à part Kiss Your Ass Goodbye qui tente vaguement de plagier le post-punk sans intérêt de Blink-182, les 13 autres titres sont tous excellents, ce qui fait de Cyclorama un disque de rock FM brillant et recommandé à tout ceux qui apprécient le « Rock Orienté Album » si cher aux programmateurs des stations de radio américaines.

[ Cyclorama (CD & MP3) ]

Blackfield : IV (Kscope), Israël / UK 2013
Welcome To My DNA, le troisième disque de Blackfield, l'annonçait déjà et ce quatrième opus le confirme: Steven Wilson s'est détaché progressivement du projet en laissant les commandes à l'Israélien Aviv Geffen. Même s'il contribue toujours ici et là aux parties de guitares et aux harmonies vocales, Wilson ne compose plus et ne chante que sur deux titres (Pills et Jupiter). A l'écoute de la première plage, rien ne semble pourtant avoir changé, ce qui est normal puisque, comme l'a souligné Geffen dans une interview récente, Pills a été écrit spécifiquement dans l'esprit des deux premiers albums. Psyché, tortueux, sombre et hanté : c'est en toute subjectivité le meilleur morceau d'un répertoire assez court puisqu'il ne dure que 31 minutes avec onze chansons de deux à trois minutes chacune. Mais une fois Pills passé, l'ambiance change complètement. La musique devient plus soft, plus pop, plus conventionnelle aussi. Geffen a d'ailleurs invité un maître du genre en la personne de Brett Anderson (du groupe Suede) qui chante sur Firefly. Ce n'est pas que les chansons soient mauvaises en soi. Au contraire, certaines comme Springtime, Sense Of Insanity, Jupiter et X-Ray (avec Vincent Cavanagh, le chanteur d'Anathema) sont même très agréables et, pour autant qu'on les ferait connaître, pourraient fort bien devenir des succès publics. C'est seulement que l'entité Blackfield et sa spécificité ont disparu presque complètement et, avec elles, l'intérêt qu'un amateur de rock progressiste pouvait leur accorder. En fait, cette quatrième production aurait du être enregistrée sous un autre nom. En tout cas, si Geffen persiste dans cette voie mainstream pour le disque suivant, il n'y aura plus aucune raison pour que Blackfield soit encore à l'avenir chroniqué dans ces pages.

[ Blackfied IV (CD & MP3) ]
[ Pills (extrait de l'album Blackfield IV) ]

Syrinx : Qualia (autoproduction), France 2008
Syrinx est une formation française qui, sur leur premier album Reification (2003), proposait une musique instrumentale étrange dénommée « métamorphique » comme si elle était en soi un style à part. Sur ce second opus, Qualia, les choses ont évolué vers un plus grande accessibilité même si, globalement, les objectifs et les moyens sont restés les mêmes : ambiances sombres et énigmatiques, structures complexes et mouvantes, mixage de sons électriques (claviers) et acoustiques (guitare). On n'accroche peut-être pas immédiatement mais on a envie d'y revenir tant l'atmosphère qui se dégage de ces compositions est hantée, porteuse d'un insondable mystère mais aussi d'un lyrisme désespéré. Sur Liber Nonacris, premier titre de l'album qui frôle les 20 minutes, l'utilisation de chœurs synthétisés, comme on en produisait autrefois sur un mellotron, ajoutent une dimension surréaliste, voire funèbre, alors que la guitare électro-acoustique de David Maurin teinte le paysage sonore de couleurs sanguines. Sur Le Grand Dieu Pan, la musique se transforme en hymne avec l'utilisation adéquate de grandes orgues en alternance avec des passages plus introspectifs. Aucun solo dérivatif ne vient perturber l'agencement de ces quatre longues promenades saturniennes au pays des faunes. Au bout du compte, on se dit que cette esthétique ambitieuse, raffinée et singulière ne ressemble finalement à rien de connu et pourrait bien en effet créer un nouveau sous-genre. Le cocktail à base de fusion, de musique classique et de rock progressiste qu'a concocté Syrinx est un breuvage âpre qui laisse l'auditeur dans un état méditatif propice à une rêverie dramatique. Fantastique, dans tous les sens du terme!

[ Syrinx Website ]

Omar Rodriguez-Lopez : The Apocalypse Inside Of An Orange (Infrasonic Sound), USA 2007
Parce qu'il est l'âme de The Mars Volta, on a envie d'écouter les disques en solo du guitariste et chanteur d'origine portoricaine Omar Rodriguez-Lopez, d'autant plus qu'il en a produit une flopée depuis A Manual Dexterity: Soundtrack Volume One sorti en 2004. Tous sont pourtant loin d'en valoir la peine même si les amateurs de bizarreries musicales y trouveront peut-être, ici et là, de quoi se gaver en nourriture pour l'esprit. Toutefois, celui-ci, conçu alors que le leader vivait aux Pays-Bas, est à mon avis l'un des plus réussis et aussi l'un des plus abordables. Rodriguez-Lopez y compose et joue une musique entièrement instrumentale qui évoque bien souvent les passages improvisés de son groupe principal. Il faut dire qu'en plus du claviériste Money Mark, il est secondé par ses collègues de The Mars Volta (Juan Alderete à la basse bass, Adrian Terrazas-Gonzales au sax et le jeune frère d'Omar, Marcel, à la batterie). En fait, cette musique incandescente n'est rien moins que de la fusion progressiste, un jazz-rock intense et déjanté dans l'esprit d'un Frank Zappa au cœur de sa période Waka / Jawaka. Guitare acide, passages free et bidouillages sonores sont intégrés avec beaucoup de savoir faire tandis que des dérives cosmiques inattendues (le titre éponyme) lancent des éclairs psychédéliques comme on n'en avait plus vus sur la planète rock depuis la fin des années 60. Se nourrissant d'une basse charnue et d'une batterie luxuriante, la musique se fait bien souvent hypnotique, en mutation perpétuelle, créant un vaste happening organique où les détails n'ont guère d'importance. Quelques effluves latines viennent parfois aérer une musique (Spared From The Insult List) par ailleurs dense et passionnante. Si vous appréciez les dérapages instrumentaux qui zèbrent les productions de The Mars Volta, la vision fascinante de Rodriguez-Lopez qui fleurit sur cet album ne vous décevra probablement pas. Avec lui, le psyché est loin d'avoir atteint sa date de péremption (vous avez jeté un coup d'œil sur la pochette ?)

[ The Apocalypse Inside Of An Orange (CD & MP3) ]

Grendel : The Helpless (Lynx Musique), Pologne 2008
La Pologne est décidément un terroir fertile en groupes de rock progressiste, la plupart d'entre eux (Quidam, Collage, Satellite…) étant caractérisés par un style mélodique qui s'inscrit dans le sillage néo-progressif classique de Marillion ou Pendragon. Grendel, dont le nom tiré du poème épique Beowulf est aussi celui d'une des plus célèbres chansons de Marillion, n'échappe pas à cette tendance musicale qui semble beaucoup plaire aux Polonais si l'on en juge par les chroniques positives de la presse locale. Il faut dire qu'au plan musical, il n'y a rien à reprocher à ce que l'on entend ici: les mélodies sont superbes, les compositions fort bien écrites, et la voix du chanteur Sebastian Kowgier est à la fois chaleureuse et veloutée. En plus, il s'avère être un excellent guitariste, prenant de beaux et longs solos qui rehaussent les parties instrumentales (Faded Memories entre autres séduira les plus difficiles par ses envolées de six-cordes dont la sonorité légèrement trafiquée est par ailleurs superbe). Si la majorité des plages sont jouées en mid-tempo, Grendel subit aussi l'influence de Riverside, un autre groupe polonais plus sensible aux joies du métal progressiste, comme on pourra s'en rendre compte sur le très contrasté Signal et sur Towards The Light. La rythmique ne fait aucun excès tandis que la claviériste Ursula Swider se contente la plupart du temps de colorer les arrangements en laissant toute la place à la guitare. Les textes en anglais sont intégrés dans un concept global qui traite une fois de plus de l'isolement de l'individu au sein de la société moderne. The Helpless n'offre certes rien d'original mais il coulera sans difficulté dans les oreilles des amateurs de néo-prog paisible, agréable, aéré et aérien. Espérons quand même que Grendel mettra un peu plus d'épices dans la soupe s'ils décident de persévérer dans le même genre musical.

[ The Helpless (CD) ]

Egonon : Risveglio (indépendant), Italie 2011
Le son est superbe, flattant les oreilles par des basses rondes et des éruptions sonores qui font monter l'adrénaline sans aucune fatigue auditive. Etonnant pour un premier album et, qui plus est, complètement autoproduit. Mais Egonon, formation originaire de Venise, réserve d'autres surprises en offrant une musique qui échappe aux canons du rock progressif italien tel qu'on le connait depuis les années 70. Certes, Le groupe ne renie pas ses origines et s'inscrit dans la filiation de ce courant musical unique: le mellotron est parfois audible, les mélodies sont brillantes et, à l'instar des meilleures réalisations du genre, leur rock se métisse d'un folklore méditerranéen subtil incluant celui du Maghreb et du Moyen-Orient. D'ailleurs, Risveglio (Eveil en italien) a été enregistré partiellement en Lybie tandis que l'emploi d'instruments comme les luth, sitar, sarangi et autres derboukas sont ajoutés aux guitares, claviers, violoncelles clarinettes, trombones et saxophones, pour colorer subtilement des textures déjà extrêmement riches . Ceci dit, l'approche est ici moins symphonique et nettement plus éclectique, Egonon basant surtout ses compositions sur des mélodies et des rythmes tout en y injectant des riffs taillés au rasoir qui maintiennent l'auditeur en alerte. Phosphoro qui débute l'album, est emblématique du style Egonon, véritable creuset d'influences diverses transcendées par une voix superbe, une rythmique puissante posée sur un tapis de percussions et une composition ciselée au millimètre qui louvoie constamment entre passages calmes et forts. Meilleur encore est Lacrima Di Luce, chanté magnifiquement en Italien par Fabio Calo', qui mériterait de passer en boucle en radio tant sa mélodie infectieuse et ses contrastes sont envoûtants. Fantastique composition encore que Maya avec ses arabesques et son riff de sax, son mélange de chant italien et de mélopée arabe, sa flûte et ses percussions, son solo de guitare électrique psyché et, au-delà, cette impression bizarre que la musique est en permanence prête à migrer vers de nouvelles contrées inexplorées. C'est moderne, savamment construit et profondément original tout en restant fluide et très accessible. Le répertoire comprend 15 titres d'environ 4 minutes chacun en moyenne. Au total, c'est à un festival de cultures, de sonorités, de textures et d'ambiances qu'on est convié même si l'album garde dans son ensemble une grande homogénéité au point que l'on croirait entendre une longue et unique suite divisée en plusieurs sections. Aux dires du groupe, cet opus serait le premier d'une quadrilogie à venir. Si les autres sont aussi bons que celui-ci, je suis tout prêt à souscrire un abonnement!

[ Risveglio (CD & MP3) ]

Mutantes : Tudo Foi Feito Pelo Sol (LP Som Livre), Brésil 1974 – Réédition CD remastérisé (Som Livre), 2006
Os Mutantes est une formation originaire de Sao Paulo qui, à la fin des années 60, fit partie du mouvement artistique Tropicalia consistant à mixer tradition populaire et avant-gardisme mais aussi valeurs culturelles brésiliennes et apports étrangers. Au départ, Os Mutantes (qui signifie Les Mutants) jouait un rock psychédélique influencé par les Beatles mais, après le départ de la chanteuse et membre fondateur Rita Lee en 1972, le groupe évolua vers un rock progressiste qui constitue la base des albums e A e o Z (« Le A et le Z » en portugais), enregistré en 1973 mais édité tardivement en 1992 par suite d'un différend avec leur label, et Tudo Foi Feito Pelo Sol (Tout a été fait par le soleil) sorti en 1974. A l'écoute de ce disque on constate que les musiciens d'Os Mutantes, le claviériste Tulio Mourao et le guitariste et dernier membre original Sergio Dias en tête, ont non seulement un excellent bagage technique mais aussi une connaissance élargie du rock international et de ses différents styles. Cela se traduit par une approche éclectique qui reflète fugacement, sans jamais les copier, un grand nombre d'artistes différents : un zeste d'Atomic Rooster, un autre de Keith Emerson, Frank Zappa, Rod Argent, Yes époque « The Yes Album », King Crimson pour certaines lignes mélodiques bizarres, tandis que du rock classique, du blues-rock, du jazz et même du boogie affleurent ici et là dans des compositions par ailleurs fort bien conçues et interprétées. Ceci dit, cet éclectisme ne nuit absolument pas à l'écoute de ce disque contrasté dont certains titres sont réellement exceptionnels. L'instrumental Pitagoras par exemple est renversant avec sa longue interaction entre une guitare saturée et un piano acoustique rejoints vers la fin par une batterie hystérique au son trafiqué qui voyage d'un baffle à l'autre. Desanuviar aussi est un grand moment avec son ambiance atmosphérique et ses effluves psychédéliques renforcées par l'addition d'un sitar joué par Sérgio Dias. En fait, chacun des sept titres du LP initial a son style propre et tous accrochent par leurs trouvailles mélodiques, sonores et rythmiques, maintenant en éveil sans relâche l'attention de l'auditeur. Même s'il n'est pas très connu internationalement, Tudo Foi Feito Pelo Sol est un disque majeur du rock progressif qui mérite amplement toutes les louanges écrites sur le net à longueur d'année par les fans brésiliens.

Le LP, resté longtemps introuvable, a été réédité en compact en 2006 sous la forme d'un beau digipack qui reproduit la pochette originale tandis que le répertoire initial a été augmenté des trois derniers morceaux enregistrés par le même groupe en studio en 1976 et sortis sous la forme d'un EP : Balada Do Amigo, Tudo Bem et l'excellent Cavaleiros Negros (Les Cavaliers Noirs / Black Riders), un titre épique qui se réfère aux fameux nazgul du Seigneur des Anneaux et démontre que, même à l'époque, les Brésiliens étaient déjà fascinés par cette épopée visionnaire anglo-saxonne. Ces trois titres de même nature que ceux enregistrés en 1974, qui durent ensemble 16 minutes, complètent à merveille les 42 minutes du LP initial et rendent cette réédition plus qu'attrayante. A découvrir absolument !

[ Tudo Foi Feito Pelo Sol (CD & MP3) ]

Peter Hammill : Out Of Water (Enigma), UK 1990 - Réédition CD couplée avec le 1er album Sorcerers (Cherry Tree), 2009
Paru à l'aube des années 90, Out Of Water reste influencé par les années 80 avec un son synthétique et une réverbération caractéristiques des productions populaires de cette décennie. C'est sans doute l'une des raisons qui expliquent pourquoi ce disque est mal aimé des fans du leader de Van Der Graaf Generator. Toutefois, si l'on peut admettre que l'orchestration avec son piano électrique est datée, il faut aussi souligner la clarté des arrangements qui mettent bien en valeur la voix d'Hammill toujours aussi passionnée et singulière. En plus le chanteur est ici entouré sur quelques titres par sa cohorte de musiciens fétiches: le bassiste Nic Potter, le guitariste John Ellis et David Jackson au saxophone dont on appréciera la contribution sur un No Moon In The Water nourri de philosophie zen et sur Green Fingers. Seule la batterie de Guy Evans manque à l'appel et il faut avouer qu'on le regrette un peu. Les textes sont du Hammill pur jus, souvent cryptés mais toujours signifiants et quand même assez éloquents pour que l'on perçoive à l'occasion un message en filigrane (There is a whole world of difference between the observer and the act … à propos des évènements de Tiananmen dans Oyster par exemple). En plus, le répertoire comprend quelques chansons qui comptent parmi les plus belles de ce que Peter Hammill a composé dans les années 80 et cela fait la différence. Something About Ysabel's Dance est magnifique dans son immaculée simplicité avec la voix portée par une guitare acoustique qui dialogue avec le violon lyrique de l'Ecossais Stuart Gordon. On The Surface qui fait plus de huit minutes est hanté par des chœurs vaporeux entrelacés au chant tandis que l'on plonge lentement dans un rêve liquide. Mais le meilleur réside dans la dernière plage, A Way Out, véritable maelstrom de sentiments divers dans lequel Hammill orchestre les mots et les phrases (qui commencent toutes par « Out of ») d'une manière brillante dont il est le seul à avoir le secret : Out of breath, out of tune, out of your head, and out of view, down and out…. En définitive, Out Of Water s'avère un album luxuriant, varié et atmosphérique dans lequel Peter Hammill élargit son horizon artistique tout en confirmant son exceptionnelle capacité à écrire, arranger et interpréter des chansons envoûtantes, émotionnelles et tout simplement belles.

[ Peter Hammill Website ] [ Out Of Water ]

Jan Dukes De Grey : Mice And Rats In The Loft (Transatlantic), UK 1971 - Réédition CD couplée avec le 1er album Sorcerers (Cherry Tree), 2009
Formé à Leeds en 1968 et signé par Decca, Jan Dukes De Grey est au départ un duo complété pour ce second disque par le batteur Denis Conlan. Si Sorcerers paru en 1970 faisait entendre un répertoire de morceaux courts et acoustiques davantage en ligne avec le folk anglais, Mices And Rats In The Loft est une autre histoire. L'album ne compte que trois longues compositions basées sur des structures beaucoup plus libres permettant de longues improvisations. En plus des nombreux changements de rythmes, les deux compères Michael Bairstow et Derek Noy utilisent un pannel d'instruments différents qui vont de la flûte et de la trompette aux claviers et guitares acoustiques et électriques. Et sur Sun Symphonica, ils utilisent même un orchestre de chambre en toile de fond qui enrichit les textures sur certains passages. Ceci dit, l'écoute de cette musique n'est ni facile ni agréable. Les guitares acoustiques et celle à 12 cordes en particulier ne sont pas utilisées avec douceur mais frappées avec une telle énergie que le son en devient brut et rocailleux, voire discordant. Ceci donne aux textes déjà schizophréniques une urgence qui met mal à l'aise. Au fur et à mesure que l'on approche de la fin du disque, le côté « acide » s'accentue au détriment du folk. Sur Mice And Rats In The Loft, qui clôture l'album, on est ainsi confronté à une débauche tribale de percussions et à une guitare wah wah distordue qui accompagnent la description laconique et effrayante d'un sacrifice humain. Toute comparaison avec Jethro Tull ou un autre groupe de folk-rock est inconvenante tant cette étrange musique est aussi dérangeante. Si l'on peut admettre le côté progressiste de la démarche qui sauve cet album et exige qu'on l'écoute au moins une fois, il ne saurait être conseillé à tout ceux qui apprécient les Jethro Tull, Strawbs, Pentangle et autres Incredible String Band. On comprend par ailleurs aisément que ce disque extrême n'ait eu aucun succès à l'époque et que le groupe n'y ait pas survécu.

[ Mice And Rats In The Loft (CD & MP3) ] [ Sorcerers / Mice And Rats In The Loft (2 CD Cherry Tree) ]

Sweet Smoke : Just A Poke (EMI), USA 1970 - Réédition CD remastérisée et couplée avec l'album Darkness To Light (EMI/Harvest), 2000


Fondé en 1967 à Brooklyn, le quintet fut d'abord connu sous le nom de « Sweet Smoke of the Happy Plant Pipefull » avant de voir son patronyme raccourci par l'usage en Sweet Smoke, un nom certes approprié à la mouvance hippie de l'époque mais peut-être aussi trop suggestif pour inspirer confiance et assurer une large reconnaissance. Quoiqu'il en soit, le groupe tourna d'abord dans le circuit des clubs, y compris aux Antilles, avant de se rendre compte que leur avenir était sérieusement bouché. Sur une proposition du saxophoniste et flûtiste Michael Paris, la formation décide alors d'émigrer en Europe et, en septembre 1968, la grande aventure commence en passant d'abord par l'Angleterre, ensuite les Pays-Bas et enfin l'Allemagne où Sweet Smoke établit son camp de base. Leurs concerts en forme de longs happenings musicaux remportent un succès inespéré si bien que le groupe est rapidement signé par EMI Electrola pour un contrat portant sur trois albums. Le premier fait l'effet d'une petite bombe chez les amateurs de musique rock psychédélique. Il ne comprend que deux longs morceaux, chacun remplissant une face du LP original. Baby Night commence comme une chanson folk enluminée par une flûte bucolique avant d'évoluer lentement en une longue improvisation. La flûte mute alors vers le jazz tandis que la guitare électrique se fait plus mordante, la chanson adoptant un style acid-folk au croisement de plusieurs genres évoquant aussi bien les longues jams psychés du Grateful Dead, les impros jazzy plutôt soft dans le style de Quintessence et même parfois le rock protéiforme et rythmé des Doors (un peu avant la neuvième minute, le morceau intègre un petit extrait de The Soft Parade sans pour autant que les Doors ne soient crédités nulle part : risqué pour le groupe certes mais plutôt agréable pour l'auditeur). L'absence de claviers amplifie le côté percussif hypnotique de cette musique où basse et drums jouent un rôle important. D'ailleurs, le second morceau, Silly Sally, comprend à partir de la septième minute un long solo de batterie, doté d'un effet « flanger » à la In A Gadda Da Vida (superposition de deux signaux identiques dont l'un est légèrement retardé), qui vrombit comme les hélicoptères d'Apocalypse Now. Plus jazz, ce second titre est aussi plus libre et plus énergique que le premier, donnant l'opportunité à chacun de briller un peu, en particulier le saxophoniste Michael Paris. Cette musique progressive et fusionnelle témoigne du réel potentiel de ces musiciens qui devaient probablement faire un malheur sur scène.

La pochette colorée fait évidemment référence aux substances illicites généralement associées à ce genre de musique mais il n'est pas certain qu'elle ait bénéficié au groupe dont les musiciens valaient mieux que l'image qu'on essayait d'en donner. Avec son hippie largué, son spliff énorme enrobé dans le drapeau américain pour rappeler les origines du groupe, ses fumeroles blanches et ses esquisses orientales pointant vers le Riff marocain, cette pochette affiche plus de clichés qu'il n'en faut pour écrire un mémoire de fin d'études. Certes quand on porte un nom comme Sweet Smoke, mieux faut assumer mais la fameuse photographie de Bob Marley avec son énorme pétard (Catch A Fire) n'était pas encore sortie et il n'est pas certain que les familles étaient enclines à laisser entrer une telle image dans les foyers puritains des années 70. Quoiqu'il en soit, l'image et le message provocant véhiculé par elle ont probablement contribué à maintenir un peu plus le groupe au sein de son écosystème en marge du circuit normal de distribution. Soit dit entre parenthèses, le pouvoir répulsif ou attractif des pochettes de LP était quand même à l'époque phénoménal: j'ai pu constater par exemple que bien peu d'amateurs connaissent l'excellent Canario, une reprise de la Fantasia Para Un Gentilhombre de Rodrigo par Emerson, Lake et Palmer. La raison en est simplement qu'à cause de la pochette de Love Beach évoquant la musique commerciale des Bee Gees, quasiment personne ne s'est risqué à acheter ni même à écouter ce disque au moins une fois.

Pour en revenir à la musique de Sweet Smoke, il faut noter que malgré la production excellente de Conny Plank (Ash Ra Tempel, Cluster, Guru Guru, Neu!...), le lien avec le Krautrock n'est pas immédiat, le groupe gardant une approche plus large intégrant les diverses influences citées plus haut. Pour conclure, Just A Poke est un album recommandé à tous les amateurs de rock psychédélique teinté par le jazz et la fusion. Sa réédition en compact couplée avec le second album, Darkness To Light, est une excellente occasion de redécouvrir cette formation culte fièrement ancrée dans les glorieuses seventies. Après tout, beaucoup de groupes actuels tentent encore aujourd'hui de retrouver la magie de cette époque révolue marquée par une musique cool, dynamique, imaginative, spontanée, libre et envoûtante sans vraiment y parvenir.

[ Just A Poke / Darkness To Light (CD & MP3) ]

Sweet Smoke : Darkness To Light (EMI), USA 1973 - Réédition CD remastérisée et couplée avec l'album Just A Poke (EMI/Harvest), 2000
Sweet Smoke : Live (EMI Electrola), USA 1974 - Réédition CD + 3 titres en bonus (EMI), 2001
Après leur premier album, Just A Poke, et le succès relatif de leurs concerts européens, Sweet Smoke n'a pas vraiment rebondi sur ses acquis, délaissant même ses activités musicales au profit du yoga et d'une forme de méditation très en vogue à l'époque. Finalement comme les Beatles et beaucoup d'autres avant eux, les membres du groupe entreprennent en 1972 un long voyage qui les conduira à travers l'Europe et l'Asie jusqu'en Inde pour y vivre leur nouvelle passion. Et ce n'est qu'en 1973 qu'ils se retrouvent en Allemagne pour reprendre les choses là où ils les avaient laissées. Un nouvel album en studio est alors enregistré par la formation reconstituée et augmentée du pianiste Jeffrey Dershin et du violoniste Rochus Kühn. A l'écoute du premier titre, Just An Empty Dream, on se rend compte tout de suite que de l'eau a coulé sous les ponts depuis Just A Poke. La musique est en effet plus sage, plus acoustique, plus folk, plus conforme aussi à des chansons commerciales. Le côté jazz est toujours là avec la flute légère et le sax virevoltant de Michael Paris tandis que, globalement, la musique reste plaisante. I'd Rather Burn Than Disappear est fait dans le même moule avec ses harmonies vocales, sa guitare 12 cordes et son piano acoustique. Kundalini capitalise sur les aventures du groupe en Inde dans le style de Quintessence mais même en 1973, ce genre de musique hippie est déjà bien datée. Il faut attendre la cinquième minute pour que ça décolle un peu, l'improvisation prenant alors des couleurs avec un beau solo de sax sur fond de zither et de bongos. La lente mutation se poursuit vers la huitième minute avec un rythme plus rock et une improvisation de guitare assez cool. A partir de là, ça fonctionne et on retrouve le Sweet Smoke d'antan, varié et créatif dans sa fusion de différents styles. Believe Me My Friends est une chanson country-rock avec une belle partie de violon tandis que Show Me The Way To The War, qui démarre sur des bruitages de combats, est une chanson jazzy en mid-tempo avec de chouettes interventions de cuivres et de guitares. Le répertoire se termine sur le titre éponyme de 13 minutes, le plus varié du disque, qui suscite de beaux échanges entre sax, piano et guitare. Même s'il n'est pas dépourvu de bons moments, il manque toutefois à cet album une direction, un thème accrocheur, un peu de peps et de folie qui le sortiraient de la médiocrité et on peut comprendre qu'en cette année 1973 caractérisée par la sortie d'œuvres majeures comme Houses Of The Holy, A Passion Play, Larks' Tongues In Aspic, Angel's Egg, Space Ritual, ou Brain Salad Surgery, Darkness To Light n'ait guère conquis le public. Ce sera en tout cas le dernier disque du groupe en studio qui se séparera peu de temps après. Les amateurs pourront aussi écouter l'album Live, enregistré à Berlin en 1974 et sorti la même année, qui renoue avec les longues improvisations psychés du premier album. Malheureusement, l'absence du flûtiste et saxophoniste Michael Paris, qui avait déjà quitté le groupe à l'époque, se fait cruellement sentir.

[ Just A Poke / Darkness To Light (CD & MP3) ] [ Live (CD & MP3) ]

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