Le Rock Progressif

Disques Rares, Rééditions, Autres Sélections


Série II - Volume 8 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 4 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 9 ] [ 10 ]

Rocket Scientists : Revolution Road (Think Tank Media), USA 2006

Rocket Scientists fut constitué à la fin des années 80 par le claviériste Erik Norlander et le chanteur / guitariste Mark McCrite, bientôt rejoints par Don Schiff, un maître du Chapman stick et plus exactement de son dérivé, le NS-Stick de Ned Steinberger (un instrument hydride à huit cordes entre basse et guitare, joué aussi bien en tapping que d'une manière traditionnelle). Depuis, ils ont sorti quatre compacts mais semblaient avoir disparus dans une faille temporelle après la sortie de l’excellent Oblivion Days en 1999. Il faut dire qu’entre-temps, Norlander a été fort occupé par ses productions personnelles et sa participation aux albums de son épouse Lana Lane ainsi qu’aux projets d’Arjen Anthony Lucassen (Ayreon et Star One). Et voici finalement ce Revolution Road, double CD de surcroît, qui confirme tout le bien que l’on pensait du groupe. Le trio initial est ici accompagné par une bande de professionnels hors pairs dont David McBee, fantastique chanteur sur six morceaux, et Greg Bissonette (ELO, Santana, Joe Satriani) aux drums en remplacement de l’excellent Shaun Guerin décédé en 2003 (après l’enregistrement de l’inoubliable Book Of The Dead de K2). Un hommage lui est d’ailleurs rendu ici sur le titre Better View qui utilise une ancienne piste enregistrée live par Guerin et complétée en studio par Simon Philips. Doté d’un son épais à l’américaine, l’album est d’une grande variété qui va de ballades Rock classiques en titres progressifs et épiques. Au fil des plages, on pense ainsi à des groupes aussi divers que les Moody Blues, Alan Parsons Project, Led Zeppelin, Deep Purple ou Procol Harum mais aussi à Keith Emerson / ELP, Rick Wakeman, Cairo ou Asia période Silent Nation, la plupart de ces artistes étant d’ailleurs des influences avouées de Norlander. Pour se convaincre de l’intérêt du claviériste pour les années 70, il suffit d’enclencher les 45 secondes de Look Up qui introduisent brièvement l’album : ce n’est rien d’autre qu’un hommage à peine déguisé à In The Court Of The Crimson King. Pensée avant tout en terme de mélodie, la musique est plaisante mais elle respire aussi le travail sur le plan des compositions comme des arrangements. Ecoutez Revolution Road par exemple, l’un des grands moments du premier compact. Un riff d’orgue Hammond sur une rythmique galopante et un refrain qui déboule comme une horde de barbares sans parler des solos alternés de guitare et d’orgue comme à la grande époque de Deep Purple : c’est une bande sonore pour un film en écran large, un hymne à la gloire d’une épopée imaginaire. L’instrumental Ptolemy enchante par son accompagnement de piano et un arrangement inusité tandis qu’on n’a aucun mal à apprécier les acrobaties de Don Schiff sur son stick. Gypsy est un hommage aux Moody Blues dont les Rocket ont réussi à capter la puissance mélodique. Castles Fall qui débute le second CD surprend par un son Hard et une approche Fusion à la Planet X tandis que Pay Your Dues rappellera par sa séquence d’accords le Kashmir de Led Zeppelin. Quant au long instrumental mélodique et planant qu’est After The Revolution, c’est cette fois le Pink Floyd qui est évoqué et aucun choix n’eut été meilleur pour clôturer un album comme celui-ci. Malgré l’énorme disparité entre les morceaux, le groupe ne donne jamais une impression d’incohérence. Au contraire, le choix artistique des Rocket Scientists est affirmé : faire revivre un Art-Rock progressif triomphant et comme ils ont la compétence technique nécessaire pour ça, on en voit de toutes les couleurs. Ce sont certes les Britanniques qui ont inventé le Progressif dans les années 70 mais ce band californien a pris le temps de tout bien digérer avant d'en restituer le meilleur. Avec gloire et honneur!

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Steve Hillage : L (Atlantic / Virgin), UK 1976
Ce qui différencie le Rock cosmique de Steve Hillage par rapport à celui d’autres groupes du même genre, c’est que le sien est d’abord vraiment cosmique et qu’ensuite, il n’est pas que ça. Parce que Steve Hillage est un guitariste excentrique mais surdoué qui, à l’instar des meilleurs, arrive à faire passer par sa Stratocaster une foule d’émotions bigarrées qu’il va piocher dans ses multiples intérêts que ce soit pour la SF, la philosophie ou pour les culture exotiques où l’Orient tient une place à part. En plus, Hillage est largement ouvert à d’autres formes musicales comme la fusion électrique ou les rythmes techno tout en s’intéressant aux techniques de studio (il deviendra un producteur prisé dans les années 80 et collaborera avec des groupe comme It Bites et Simple Minds). En fait, l’homme a témoigné dans sa carrière trop brièvement interrompue (il a quand même refait surface beaucoup plus tard comme un héro de la musique « ambient » dansante) d’une étonnante ouverture d’esprit qui se révèle à l’écoute de ses œuvres en solo. Faisant suite à un premier album (Fish Rising, 1975) très élaboré, « L » apparaît plus accessible mais aussi moins brouillon. Enregistré aux USA, il bénéficie grandement du travail exemplaire de Todd Rundgren à la production et ce dernier a emmené avec lui trois membres de son groupe Utopia (Roger Powell, John Wilcox et Kasim Sulton). Du coup, ça pulse ! Ecoutez la pièce de résistance du disque (Lunar Musick Suite, enregistré au moment opportun avec une lune pleine) : rien ne peut se comparer à cette folle odyssée de l'espace. Quant à l’intervention inopinée en plein milieu du grand Don Cherry, avec sa trompette planant librement sur les rythmes et les synthés tel le grand gourou d’une multiculture qu’il a fait naître, il fallait oser mais après coup, on doit bien reconnaître que l’idée était géniale. A côté de l’inévitable mélopée indienne (Om Nama Shivaya) et d’une interprétation d’un titre de George Harrison (It’s All Too Much), Hillage reprend le Hurdy Gurdy Man de Donovan et en extirpe le côté hippie, délivrant à la place un extraordinaire morceau planant doté de solos de guitare renversants. Emporté par sa recréation, il la prolonge même par une variation bâtie sur le principe du glissando, une technique inventée par Daevid Allen, sans perdre un iota sur le plan de l’intérêt. Pas complètement instrumental (Hillage partage le chant avec sa compagne Miquette Giraudy), « L » ravira les uns par ses beaux chorus de guitare inspirés et les autres par sa conception fantaisiste de la musique tout en ouvrant la porte des étoiles à tout le monde. Quand à la raison pour laquelle cet album a été désigné par la douzième lettre de l’alphabet, le secret a été bien gardé mais on a fini par savoir. C’est le L de Love et de Light, soit la dernière vibration positive d’une époque à jamais révolue !

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Ozric Tentacles : Erpland (Alex / Snapper), UK 1990
Formé en 1983 sur les cendres du « Space Rock », Ozric Tentacles a commencé sa carrière en enregistrant des cassettes avant de passer au compact en 1990 avec cet album. On lit souvent que les albums du groupe se suivent et se ressemblent mais d’une part, il est difficile d’évoluer à l’intérieur des limites codifiées d’un genre aussi fermé que le « Space Rock » et d’autre part, les dernières productions du groupe ont progressivement intégré un côté « trance / électro » de plus en plus envahissant qui rend certaines plages assez similaires aux musiques techno actuelles (Jellylips par exemple sur leur dernier compact The Floor's Too Far Away a tout ce qu’il faut pour attirer les amateurs sur le dancefloor). Avec Erpland, on n’en est pas encore là. Le répertoire est ici plus proche de ce que l’on faisait dans le genre au début des années 70 et le groupe pouvait alors se décrire comme un croisement entre Hawkwind pour la basse énorme et les rythmes hypnotiques, Gong pour le côté psyché et ethnique et enfin Tangerine Dream (période avec batterie et guitare) pour les séquences de synthé répétitives. Certains titres sont même fort convaincants : Mysticum Arabicola par exemple avec ses flûtes arabisantes est l’une des intégrations parmi les plus crédibles d’une musique orientale dans un contexte Rock tandis que Eternal Wheel marque un retour au plus pur psychédélisme rehaussé par un solo de guitare de Ed Wyne, membre fondateur et âme du groupe. Ozric Tentacles excelle en plus dans la création d’atmosphères évoquant des mondes étranges : Toltec Spring et Valley Of A Thousand Thoughts en particulier vous emmèneront dans des voyages fantastiques, l’un à travers le temps dans un Mexique précolombien et l’autre dans l’espace sur une planète imaginaire peuplée d’une faune bien étrange. Mais le meilleur réside peut-être tout simplement dans cet excellent titre Erpland, avec son orgie de rythmes, ses synthés pétillants et ses rires féeriques, qui met en exergue ce que le groupe est vraiment : une formidable machine à rêver qui, à l’époque de cet enregistrement, n’avait plus guère de concurrent. Ceci renseigne un peu sur l’inexplicable engouement qui fera décoller les ventes de leurs compacts ultérieurs et hissera même leur plus fameux album, Jurassic Shift (1993), jusqu’à la onzième place des charts britanniques. Ceux qui apprécient le Rock cosmique auraient bien tord de se priver de cet Erpland coloré comme une bande dessinée de Flash Gordon !

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Archive : Lights (WEA - Warner Music), UK 2006
Malgré sa pochette propre à décourager n’importe quel amateur de bel objet, You All Look The Same To Me (2202) avait été une bonne surprise. L’approche rétro et les atmosphères planantes, surprenantes chez un groupe électronique autrefois assimilé à la scène trip-hop, évoquaient davantage Pink Floyd que Massive Attack et certains virent même en Archive un nouveau chantre du Rock progressif moderne (le superbe titre fleuve Again est à écouter en priorité pour bien comprendre). Une année plus tard, la bande du film français Michel Vaillant confirmait en tout cas qu’Archive a le don pour écrire de petites mélodies attachantes et développer des atmosphères qui conviennent bien à l’illustration sonore de films. Mais après un Noise un peu moins réussi et le départ du chanteur Craig Walker, on pouvait craindre le pire. Ce nouvel album Lights démontre que le groupe a de la ressource, en tout cas suffisamment pour se renouveler. Alternant maintenant le style Rock moderne et électro des débuts avec des mélopées nostalgiques calées sur le fil rouge d’un piano minimaliste et mettant parfois les deux en symbiose, Archive créée un style qui ne manque pas d’originalité. La pièce de résistance est ce titre de près de 19 minutes qui donne son nom à l’album : bâti sur un ostinato de piano distillé à l’infini, Lights se développe lentement en un climat obsessionnel qui finit par donner le vertige. Et quand après 8 minutes 40 secondes de musique, la voix de Pollard Berrier arrive enfin dans le mixage, on se retrouve soudain plongé au cœur d’un Post-Rock alternatif et saturnien se situant quelque part entre Radiohead et Porcupine Tree. Fold, Taste Of Blood et I Will Fade s’inscrivent à peu de chose près dans le même moule et pour peu que l’on se trouve au moment de l’écoute dans une ambiance éthérée propice à ce genre de musique un rien dépressive, il n’est pas difficile de se laisser porter à l’autre bout du rêve. A l’opposé, quelques plages comme Programmed ou System rompent l’envoûtement par des rythmes robotiques dont l’amateur de Rock progressif est généralement peu friand. Toutefois, ces variations électroniques nourries de fréquences programmées disloquent avec un certain bonheur les humeurs mélancoliques avant que l’on ne s’y replonge avec d'autant plus de délectation. Moins inégal qu’on pourrait le penser à première écoute, Lights est le produit d'un groupe cohérent qui ouvre de nouvelles perspectives à la musique actuelle sans pour autant se prendre la tête.

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Ian Gillan Band : Clear Air Turbulence (Island), UK 1977
Quand Ian Gillan quitta Deep Purple en 1973, c’était avec l’intention de faire du business dans l’hôtellerie ou dans les motocyclettes mais son immense succès auprès d’un public apparemment fidèle a fini par le rattraper et l’inciter à revenir à la musique. The Ian Gillan Band fut rapidement constitué en 1975 et le premier album, Child In Time produit par son ancien acolyte Roger Glover, fut lâché l’année suivante. Mais si ce premier essai n’est encore qu’un tribut à son passé de hard-rocker au sein de Deep Purple, le second opus intitulé Clear Air Turbulence montre que le chanteur avait d’autres idées dans la tête que celle de répéter inlassablement les mêmes clichés. Le premier titre éponyme donne le ton de l’album avec une combinaison inattendue de Hard-Rock classique et de Jazz-Rock. Le quartet compétent de Gillan, composé de Ray Fenwick (Spencer Davis Group) à la guitare, Colin Towns aux claviers, John Gustafson (Quatermass et Roxy Music) à la basse et Mark Nauseef (Philip Lynott et Elf avec Ronnie James Dio) à la batterie et aux percussions, est ici complété par une section de cuivres (2 trompettes, 2 saxophones et un trombone) qui confère de la profondeur aux arrangements. Avec ses changements de tempo, sa rythmique foisonnante, un solo de guitare explosif et ses paroles inspirées par la science-fiction, ce morceau ne manque pas de panache. Le même scénario se reproduit d’abord en plus funky sur Over The Hill dominé par un solo de piano et une rythmique élastique et ensuite sur Goodhand Liza, remarquable par le tapis de percussions déroulé par Nauseef. Les trois autres plages de l’album sont moins typées tout en restant quand même bien à l’écart du Hard-Rock. Ce qui explique que Clear Air Turbulence fut bien sûr boudé par les amateurs de Deep Purple qui n’y retrouvaient rien de leur groupe fétiche mais le plus étonnant est qu’il fut aussi descendu en flammes par les critiques apparemment plus intéressés par la montée en puissance du Punk que par les tentatives de progression d’un chanteur vétéran. Ian Gillan reviendra dans l’album suivant (Scarabus, 1977) à un style plus conventionnel mais sans davantage de succès et finira par dissoudre son groupe. A noter que Gillan se montra insatisfait du premier mixage de l’album qui fut refait sans ses propres studios Kingsway avant sa sortie officielle sur Island. Les bandes originales mixées aux studios Rockfield (Pays de Galles) furent finalement éditées en CD en 1997 sous le nom The Rockfield Mixes (Angel Air Records). L’album Island, remastérisé par Spitfire et incluant la pochette originale avec le fameux vaisseau spatial dessiné par Chris Foss, reste évidemment le meilleur choix. Attention en particulier à éviter un double CD récemment édité par Eagle Rock/Membran Music (2005) sous le nom trompeur de Ian Gillan Band – Clear Air Turbulence, il s’agit en réalité d’une compilation qui ne comporte qu’un seul extrait du LP initial.

[ Ian Gillan - Caramba! ] [ Ecouter / Commander ]

Curved Air : Phantasmagoria (Warner Bros.), UK 1972
Curved Air acquit une certaine célébrité grâce à son premier disque (Air Conditioning, 1970) qui, au-delà de ses qualités musicales, fut la première véritable rondelle de vinyle noir imprimée avec une image dessus (on dit un picture-disc en anglais). Pour cette raison plus que pour son contenu, le LP original est aujourd’hui devenu un objet de culte avidement recherché par les collectionneurs. Pourtant, le groupe britannique y définit avec maestria un genre hybride très particulier à base de rock, de folk et d’avant-garde sans oublier une étrange fascination pour Vivaldi qui réapparaîtra dans les disques ultérieurs. C’est pratiquement la même approche que l’on retrouve sur ce troisième opus intitulé Phantasmagoria, généralement considéré comme leur chef d’œuvre. Sur le LP initial, les titres les plus accessibles étaient regroupés sur la première face et les plus expérimentaux sur la seconde. Marie Antoinette est une formidable chanson folk-rock dédiée à la Reine française condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire et guillotinée en octobre 1793. En écoutant la voix passionnée de Sonja Kristina, on pense aux meilleures chansons de Renaissance tandis qu’une guitare psyché, jouée par Francis Monkman, souligne la mélodie en contrepoint. Melinda More Or Less est une autre chanson baroque dotée d’un thème superbe et d’un solo de violon magique joué par Darryl Way. Not Quite The Same est musicalement plus étrange pour accompagner un hymne à la masturbation. Et encore plus étrange est Cheetah en forme de tornade dévastatrice levée par le violon de Gray. Quand à Ultra-Vivaldi (une reprise déjantée d’un titre de Air Conditionning), c’est un instrumental classico-futuriste joué sur un synthé VCS3 que n’aurait sûrement pas renié le Alex du film Orange Mécanique. Les quatre titres suivants (en fait les quatre sections de la suite Phantasmagoria), composés par le multi-instrumentiste Francis Monkman, sont les plus progressifs et ne ressemblent à rien de connu sur cette planète : improvisations jazzy, xylophone, cuivres, voix trafiquées, bruitages électroniques, danses de squelettes et autres étrangetés peuplent cette histoire fantastique où les fantômes sont rois. Ce disque absolument imprévisible et hors norme ne rencontra pas le succès espéré mais ce fut peut-être aussi en partie à cause de sa production bâclée et sans imagination. Malgré cette faiblesse, Phantasmagoria, qui fut malheureusement le dernier album enregistré par Curved Air dans sa formule originale, reste un magnifique témoignage du bouillonnement d’idées qui présidait à la création de la musique populaire au début des années 70. A redécouvrir !

[ The Official Curved Air Website ] [ Ecouter / Commander ]

Vangelis : Heaven And Hell (RCA Records), Grèce 1975
Surtout connu pour ses musiques de film (dont les superbes Blade Runner, Chariots Of Fire et 1942 : Conquest Of Paradise), Vangelis a commencé sa carrière dans le groupe de rock progressif Aphrodite's Child qui, outre le hit Rain And Tears (une scie chantée par Demis Roussos), fut quand même l’auteur d’un double album complexe et ambitieux mettant en scène l’Apocalypse de Jean (666, Vertigo, 1972). En 1974, Vangelis faillit rejoindre Yes avec lequel il commença même à répéter. Il fut toutefois vite évident que son style new wave et planant ne conviendrait pas au remplacement du flamboyant Rick Wakeman mais, si le choix du groupe s’est finalement porté avec sagesse sur le virtuose Patrick Moraz, Vangelis n’en garda pas moins une profonde amitié avec le chanteur Jon Anderson avec qui il collabora souvent par la suite. Déménageant de Paris vers Londres, Vangelis signe alors un contrat avec le label RCA et construit son propre studio (Nemo) qui n’est pas encore terminé quand il y enregistre ce qui reste à ce jour son plus bel album : Heaven And Hell (du moins pour des oreilles progressives indifférentes à la musique électronique populaire d’un Yanni ou d’un Jean-Michel Jarre et si l’on exclut les bandes sonores citées plus haut). Heaven And Hell est en effet une œuvre sombre et gothique d'inspiration classique (on pense parfois à Carl Orff), dépeignant avec grandeur les tourments des âmes perdues en enfer. Vangelis n’hésite pas à recourir à des percussions tonnantes et à des chœurs impressionnants (The English Chamber Choir) pour amplifier l’expressivité de sa musique. Bien sûr, il y a des passages plus calmes comme le très atmosphérique Movement 3 qui servira d’ébauche à la musique du film Chariots Of Fire et fut utilisé comme thème de la fameuse série télévisée documentaire Cosmos présentée par Carl Sagan. Il y a même cette ballade romantique et douce amère, intitulée So Long Ago, So Clear, avec laquelle Vangelis inaugure son long partenariat avec Anderson. Les deux hommes se complètent bien et la combinaison du timbre haut perché du chanteur avec le tapis synthétique et le piano Rhodes du claviériste est une réussite qui fera long feu. Sans être spécialement virtuose, Vangelis affichait avec cet album ses facultés à composer des mélodies accrocheuses et à développer des textures symphoniques savantes, émotionnelles et dépaysantes propres à renforcer l’intensité des images et à glorifier les grandes épopées. Le réalisateur Ridley Scott n’allait par tarder à s’en apercevoir et faire alliance avec lui pour quelques uns de ses films épiques. Et même Jerry Goldsmith lui pompera quelques idées pour sa géniale illustration sonore de La Malédiction (The Omen, 1976).

[ Vangelis Homepage ] [ Ecouter / Commander ]

The Cure: Seventeen Seconds (Fiction), UK 1980
De tout ce qu’a pu enregistrer The Cure pendant sa longue carrière, ce second opus reste leur album le plus singulier et en un sens le plus progressif. Subtil mélange de Rock alternatif et d’ambient lugubre, Seventeen Seconds est une plongée au cœur d’une forêt noire et humide. Froid, minimaliste et robotique, cet opus est emblématique d’une « cold wave » détachée où l’esthétique prime sur toute chose et forcément sur l’approche commerciale qui hante les productions actuelles. Avec le remplacement de Michael Dempsey par Simon Gallup à la basse et surtout l’inclusion du claviériste Mathieu Hartley, les textures se sont étoffées et la musique est devenue plus expérimentale, ce qui n’empêchera pas The Forest de grimper quand même dans les charts britanniques. A travers des paroles surréalistes à propos d’une course haletante et désespérée entre les arbres d’une forêt, Robert Smith donne sa vision du monde où l’homme passe sa vie à chercher à se rapprocher d’autrui sans y parvenir, restant avec le sentiment dévastateur de la solitude et un goût de néant : I hear her voice and start to run into the trees… I'm lost in a forest, all alone. The girl was never there. It's always the same, I'm running towards nothing again and again. Le même sentiment de vide et de désespoir prévaut à travers les paroles des autres chansons (At night, I hear the darkness breathe. I sense the quiet despair), culminant sur le dernier titre au tempo ralenti qui donne son nom à l’album : Time slips away, and the light begins to fade, and everything is quiet now … Seventeen seconds. A measure of life. Le son semble avoir été enregistré dans une caverne, au plus profond d’un univers liquide : les accords sont distordus et les vocaux de Smith trafiqués par une chambre d’écho tandis que les synthés de Hartley procurent une ambiance éthérée que l’on ne retrouvera plus guère dans les albums suivants (Hartley voulant introduire des accords plus complexes dans les partitions entrera en conflit avec le leader et quittera le groupe après cet album). Les arpèges répétitifs, bizarres et lancinants, ainsi que la tonalité trafiquée des guitares, le côté introspectif et contemplatif de la musique, les lignes mélodiques proéminentes en mineur, le son métronomique de la caisse claire, l’aura romantique et le nihilisme des textes (sans parler de l’aspect fantomatique de Smith) feront école plus tard chez des groupes gothiques au même titre que Bela Lugosi's Dead de Bauhaus (1979). On en trouvera même encore des stigmates dans les productions de certains groupes classés aujourd’hui, à tord ou à raison, dans le Rock progressif moderne comme Landberk ou Paatos par exemple. Pour tout ça, il faut se souvenir de Seventeen Seconds comme d'un album important qui aura marqué son époque et fait progresser la musique de Rock.

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