Le Rock Progressif

Spécial Jazz-Rock années 80



Série II - Volume 4 Volumes : [ 1 ] [ 2 ] [ 3 ] [ 5 ] [ 6 ] [ 7 ] [ 8 ] [ 9 ] [ 10 ]


The Chick Corea Elektric Band (GRP Records), USA 1986
Chick Corea Elektric Band : Light Years (GRP Records), USA 1987
Chick Corea Elektric Band : Eye Of The Beholder (GRP Records), USA 1988
Chick Corea Elektric Band : Inside Out (GRP Records), USA 1990
Chick Corea Elektric Band : Beneath The Mask (GRP Records), USA 1991


Allan Holdsworth et l’Elektric Band de Chick Corea auront été à la Fusion ce que Marillion et Pallas furent au Rock Progressif : ils ont aidé le genre à survivre dans la disette des années 80. En 1985, dix années après avoir mis un terme à l’aventure Return To Forever, le pianiste Chick Corea décidait de remonter un groupe de Jazz-Rock électrique en s’entourant de deux jeunes musiciens hyper doués : d’un côté le versatile John Patitucci à la basse, 26 ans, aussi à l’aise en acoustique qu’en électrique, capable de slapper comme Stanley Clarke, d’imiter une guitare en jouant sur les notes les plus aigues de sa basse ou de propulser les solistes avec un rare empathie ; de l’autre, le batteur Dave Weckl, 25 ans, ouvert à tous les rythmes du Rock au Jazz en passant par le Funk et la Soul, doté d’un jeu complexe, précis et élégant, n’hésitant pas à combiner sa frappe à haut indice d’octane à de nouvelles techniques percussives ou comme ici à une électronique subtile. Le trio, aidé sur le premier disque par des guitaristes invités (Carlos Rios et Scott Henderson), ne tardera pas à s’aliéner deux autres membres permanents : le guitariste Frank Gambale, 27 ans, Australien d’origine, qui deviendra l’un des grands guitaristes modernes de la Fusion et le saxophoniste Eric Marienthal qui loin d’être la cinquième roue du carrosse sait ce qu’improviser veut dire. Evidemment, le Jazz-Rock des 80’s n’est pas celui des années 70. L’énergie des musiciens toujours prêts à se lancer dans de longs solos rageurs a fait place à une certaine distinction allant de pair avec une inclination technologique, voire une froideur high-tech aux tonalités synthétiques si caractéristique de la Pop New-Wave et des années 80. Le son de Chick Corea lui-même est typé en partie à cause de son inféodation aux nouveaux synthétiseurs de la marque Yamaha. Certains ont comparé ces disques aux productions du Weather Report en fin de carrière voire à du Spiro Gyra. C’est en partie vrai mais c’est aussi sans compter avec les superbes mélodies presque toutes dues à la plume fertile du pianiste et avec son jeu foisonnant magnifiquement complémenté par les interventions superlatives de ses émules virtuoses. Les styles abordés sont variés, du Jazz au Funk en passant par des ballades sous les néons, des promenades stellaires et des cocktails Jazz-Rock sophistiqués dont seul Corea a le secret. Difficile de faire un choix parmi les cinq disques en studio enregistrés par l’Elektric Band entre 1986 et 1991. Mais s’il ne fallait en sélectionner qu’un, j’opterais d’une part pour les premiers qui sont plus électriques et d’autre part pour le line-up définitif avec Gambale et Marienthal. Ce qui nous laisse avec Light Years en perspective. Et ça tombe bien ! Les deux titres que je préfère sont aussi sur cet album : Hymn Of The Heart avec ses interplays entre guitare et piano, sa mélopée insolite, ses percussions dépaysantes et sa ligne de basse sismique et Kaleidoscope, son rythme sec et précis, ses crescendos pyrotechniques et ses vents solaires. Dans le guide galactique du routard mélomane, ces disques pris globalement ne méritent peut-être pas plus que trois soleils mais ces deux morceaux-là, c’est garanti cinq étoiles et toutes les planètes qui vont avec.

[ Chick Corea Website ] - Ecouter / Commander : [ Elektric Band ] [ Light Years ] [ Eye Of The Beholder ] [ Inside Out ] [ Beneath The Mask ]

Allan Holdsworth : I.O.U. (Luna Crack Records), UK 1982 - Edition avec la pochette rouge (Enigma Records), 1985


Après avoir joué avec Tempest, Soft Machine, Tony Williams, Gong, Jean-Luc Ponty, Bill Bruford, Jack Bruce et UK, le guitariste Allan Holdsworth s’est finalement décidé pour une carrière solo à la fin des années 70. Après un premier essai (Velvet Darkness, 1977) compilé sans vergogne à partir de simples répétitions et sorti sans l’approbation du guitariste, cet I.O.U. enregistré en 1979 peut être considéré comme son premier véritable disque paru sous son nom. produit de façon indépendante en 1982 sous une pochette noire (Luna Crack Records), l’album a ensuite été réédité toujours aussi sobrement mais sous une pochette rouge cette fois, après que Holdsworth ait signé en 1985 avec Enigma Records (qui deviendra plus tard Restless Records). Ayant désormais pris le contrôle de son art, Holdsworth dont l’intégrité artistique restera exemplaire, montre déjà ici ce qui fait de lui un guitariste exceptionnel : d’abord, les textures et les sonorités sont originales, le guitariste sculptant littéralement le son qui sort de son instrument. Ensuite, les improvisations sont développées sur des enchaînements d’accords complexes mais qui véhiculent une réelle émotion. Enfin son sens de l’harmonie et son phrasé legato sont tellement personnels et inventifs qu’ils deviennent rapidement une marque de fabrique immédiatement reconnaissable. Personne ne joue comme Holdsworth et les plus grands guitaristes, dont le célèbre Eddie Van Halen qui l’a aidé en période de vaches maigres, reconnaîtront rapidement son génie et deviendront de fervents admirateurs. L’instrumental Letters Of Marque est probablement le sommet de l’album avec une partie de basse de Paul Carmichael aventureuse, un solo de guitare aérien et la frappe dynamique du talentueux Batteur Gary Husband qui lie le tout. Sur Temporary Fault, la musique se fait mélancolique tandis que Holdsworth troque sa guitare contre un violon qu’il manie avec beaucoup de souplesse sans parler de la partie de piano de Gary Husband qui aère joliment la composition : dommage qu’elle ait été shuntée aussi brusquement après 3’15" seulement. Shallow See est un autre grand moment avec des nappes de guitare contemplatives qui s’étalent comme du brouillard cotonneux avant le décollage vertical d’un des meilleurs solos de l’album. Même les titres chantés par Paul Williams sont réussis et recèlent leur part de surprise : écoutez The Things You See et son solo virtuose ou Checking Out et son étrange passage néo-classique ultra-rapide débutant après 1’50 : surprenant non? En fait, il n’y pas de moment faible sur ce disque qui s’écoute d’un seul tenant. C’est du Jazz-Rock bien sûr mais différent des Mahavishnu et autres Return To Forever. L’essentiel est ici légato, réfléchi et plutôt basé sur des compositions qui rompent les amarres avec les rivages balisés des groupes de fusion à testostérone. En tout cas, dès son premier album, Allan Holdsworth avait trouvé un style qu’il était allé cherché loin en terre inexplorée. Et jusqu'à aujourd’hui encore, à part peut-être Bill Connors, peu de musiciens se sont aventurés sur ces terres-là !

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[ Letters Of Marque ] [ Checking Out ]

Allan Holdsworth : Metal Fatigue (Enigma), UK 1985
Après le relatif succès de I.O.U., le guitariste fut introduit par Eddie Van Halen auprès de Ted Templeman, producteur chez Warner Bros., qui lui demanda d’enregistrer un EP de 6 titres (Road Games, 24’) avec une nouvelle rythmique américaine composée de Jeff Berlin (b) et de Chad Wackerman (dr) et pour les vocaux, Paul Williams et Jack Bruce. Nominé aux Grammy Awards de 1984, le disque fit grand bruit mais Holdsworth, qui souhaitait garder un contrôle total sur sa musique, préféra quitter la Warner et signer avec un label moins connu (Enigma) mais qui lui laisserait une entière liberté créative. Le bassiste Jimmy Johnson remplaça Berlin attiré par une carrière en solo et le groupe entra en studio pour enregistrer ce que d’aucuns considèrent comme son meilleur disque : Metal Fatigue. Cette fois encore, l’album est rempli de compositions aux progressions harmoniques imprévisibles et interprétées par le guitariste avec une maîtrise incomparable (l’utilisation très personnelle du vibrato et des hammer-on est tout simplement indescriptible). The Un-Merry-Go-Round dont la durée dépasse les 14’ a une sonorité atmosphérique et rappelle que Holdsworth fut saxophoniste avant d’adopter la guitare tardivement à 17 ans. L’incroyable solo sur Devil Take The Hindmost (littéralement : sauve qui peut !) est l’un des plus extraordinaires de toute sa discographie, Holdsworth imposant d’abord son style legato unique et créant la tension avec une science mathématique occulte avant de lâcher dans le studio une infernale Furie qu'il est le seul à pouvoir chevaucher. Son influence sera considérable sur des guitaristes parfois plus connus que lui comme Alex Lifeson (Rush), Alan Murphy (Level 42, SFX), Greg Howe, Frank Gambale ou Eddie Van Halen qui s’est d’ailleurs fendu de quelques phrases élogieuses sur le LP original. Wackerman et Gary Husband (en invité) qui se partagent les fûts sont au top et la basse de Jonhson virtuose (sur Home notamment qui offre aussi un des rares solos acoustiques joués par Holdsworth). On peut n’apprécier que moyennement la prestation de Paul Williams sur les titres chantés mais, à mon sens, elle ne gâche absolument pas la fête, introduisant seulement un peu de variété et évitant même que cet album ne soit qu’un opus pour guitaristes. Sur le forum du site du leader, quelqu’un pose la question suivante : quel est le facteur le plus important empêchant Hodsworth de devenir célèbre ? Les réponses sont variées, le plus grand pourcentage (40%) allant à l’absence de promotion et l'édition de ses œuvres sur des labels peu connus ; le reste est partagé entre la vitesse ou la complexité harmonique des solos, les mélodies en accords plutôt que des thèmes linéaires classiques, la rareté des vocaux ou encore les progressions d’accords inusitées … Mais ce sont justement ces choix atistiques-là associés à une technique irréprochable et à une imagination fertile qui hissent Metal Fatigue hors du prêt-à-porter et de l'anecdotique, tout au sommet d'un genre dénommé Fusion.

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[ Metal Fatigue ] [ Devil Take The Hindmost ]

Bill Connors : Step It! (Pathfinder / Evidence), USA 1984
Bill Connors : Double Up (Pathfinder / Evidence), USA 1986
Bill Connors : Assembler (Pathfinder / Evidence), USA 1987


Né en 1949 en Californie, Bill Connors a baigné son adolescence dans le Blues-Rock en reproduisant les solos des disques de Cream avant de s’intéresser à Wes Montgomery, Joe Pass et Jim Hall et d’évoluer vers une musique plus sophistiquée. Sur un plan purement technique toutefois, car l’homme est resté résolument branché à l’électricité et aux gadgets électroniques qui vont avec, selon lui la seule voie possible pour un guitariste de dialoguer à niveau égal avec des saxophones ou des trompettes. Jouer comme Coltrane avec le son d’Eric Clapton devint ainsi sa devise. Par chance, alors qu’il met en pratique ses idées sur les scènes de San Francisco, Connors réussit à se faire entendre par Chick Corea qui ne tarde pas à le recruter pour son nouveau projet. Il restera avec le groupe Return To Forever de 1973 à 1974 et enregistrera avec lui un unique album : le séminal Hymn Of The Seventh Galaxy. Mais parce qu’il n’approuve pas le glissement du groupe vers un Jazz-Rock plus commercial ni la vie contraignante imposée par Corea à ses musiciens, il décide de reprendre sa liberté. Contre toute attente, il se met en tête d’apprendre la guitare classique (alors qu’il est autodidacte), écoute Julian Bream et enregistre en solo pour la firme ECM trois albums acoustiques dont Swimming With A Hole In My Body (1979) dont j’ai déjà écrit ailleurs tout le bien que j'en pensais. Il revient néanmoins à sa Les Paul au début des années 80 et, après une collaboration avec Jan Garbarek, enregistre et co-produit (avec l’aide de Steve Khan) en 1984 son premier album électrique sous son nom : Step It! Tom Kennedy, qui se fera plus tard connaître pour ses participations aux disques de Al Dimeola, Planet X et Derek Sherinian, gronde à la basse et le jeune Dave Weckl, qui n’a pas encore rejoint l’Elektric Band de Chick Corea, est impérial derrière ses fûts. Pas de synthé ! Que de la guitare ! Mais Connors n’est pas seulement un improvisateur doué, il sait aussi écrire des compositions qui tiennent la rampe et dès la première plage, Lydia, on sait qu’on aura droit à une série de thèmes mémorables que le trio exploitera au mieux dans des parties improvisées denses et cohérentes. Connors a un son plein et son jeu à la fois technique et instinctif inclut toujours des réminiscences Rock mais son style a mûri : ses séquences inusitées d’accords et son phrasé legato le situent à mi-chemin entre un John Abercrombie et un Allan Holdsworth. La comparaison avec ce dernier saute encore davantage aux oreilles quand il utilise une pédale de volume qui gomme pratiquement toute attaque de note comme sur le titre A Pedal. L’album Double Up suit deux années plus tard avec Kim Plainfield (Didier Lockwood, Tania Maria) aux baguettes en lieu et place de Dave Weckl. La musique est toujours aussi brûlante et des titres comme Subtracks ou Crunchy Cuts Up sont des « must » absolus en matière de guitare fusion. Connors enregistre avec le même trio un troisième et dernier LP, intitulé Assembler, qui sort en 1987 et qui ne démérite pas un seul instant : sa vision de la guitare fusion, avec celle de Holdsworth avec qui il partage le goût d’un jazz moderne, reste la plus intéressante des années 80, à mille lieues au-delà des clichés d’un Joe Satriani par exemple. Malheureusement, désenchanté par le show business et mal promu par sa maison de disques Pathfinder, il abandonne sa musique et se retire dans un silence qu’on aurait pu croire définitif … avant un retour inopiné 17 années plus tard avec un album simplement intitulé Return (Tone Center, 2005) qui, malgré un style différent nettement plus jazz, l’a immédiatement relogé à sa juste place : parmi les guitaristes les plus captivants de ces quatre dernières décennies.

Ecouter / Commander : [ Step It! ] [ Double Up ] [ Assembler ]

Weather Report : Procession (Columbia / Sony), USA 1983

Ce onzième album de Weather Report, enregistré avec un nouveau line-up, fut plus attendu que les autres. Et quand il arriva dans les bacs, la pochette avec son dessin vivant et coloré rappelant les beaux jours de Black Market semblait annoncer aussi bien un retour du groupe à un passé glorieux que de nouvelles aventures fraîches, exotiques et joyeuses. En un sens, on n’a pas été déçu. Le batteur Peter Erskine, en rupture de ban pour Steps Ahead, a été remplacé par le jeune Omar Hakim recruté au téléphone par Zawinul. Le bassiste Jaco Pastorius, poussé par ses démons et l’envie de créer sa propre musique (après le succès de son second album personnel : Worth Of Mouth sorti en 1981), a laissé sa place, jugée irremplaçable, à Victor Bailey et même le percussionniste Robert Thomas Jr. fut éjecté au profit de José Rossy recommandé par Hakim. Ces trois musiciens ont tous une expérience dans le Jazz, le R&B et la Soul avant de rejoindre Weather Report : indépendamment ou parfois ensemble, ils ont joués avec David Sanborn (Hakim), Bobby Broom (c’est à l‘occasion de l’enregistrement de Clean Sweep en 1981 que Hakim et Bailey se sont rencontrés), Melba Moore (Hakim), Cameo (Rossy), Labelle (Hakim et Rossy), le trompettiste Sud-africain Hugh Masekela et la chanteuse Miriam Makeba (Hakim et Bailey). Avec un tel équipage, on aurait pu imaginer que le disque serait d'abord une histoire de Funk mais ce n'est pas le cas. Construit avec une rigueur mathématique, il comprend trois morceaux up tempo et trois autres atmosphériques ou tendance ballade. Après trois minutes du premier titre éponyme, une vraie promenade spirituelle portée par les synthétiseurs, une basse au son énorme et une batterie plus souple qu’une panthère, toute appréhension s’est envolée et on ne pense plus à ceux qui sont partis. La nouvelle mouture de Weather Report existe désormais par elle-même. C’est d’autant plus excitant que Joe Zawinul, en regagnant l’espace qu’il avait concédé de mauvaise grâce à Pastorius, semble en même temps se gorger d’une nouvelle envie de composer des thèmes accrocheurs et parsemés de trouvailles : Where The Moon Goes est par exemple une performance fascinante avec les voix du groupe Manhattan Transfer trafiquées pour ne plus faire qu’un chant unique et indistinct dont le timbre est alors utilisé comme celui d’un nouvel instrument. Même le saxophoniste Wayne Shorter, de moins en moins impliqué dans la musique du groupe et laissant volontiers les rênes à Zawinul, prend ici quelques solos qui font dresser l’oreille et se fend de l’une de ses plus belles compositions : Plaza Real sur lequel il dialogue avec un accordéon joué par Zawinul. Quant aux nouveaux venus, on peut se convaincre de leur apport en écoutant le titre le plus enlevé du LP : un Two Lines brûlant dont la base est une intrication complexe de lignes percussives ensemencées par une basse intense au groove implacable. Finalement, seul Molasses Run, unique composition de Hakim sur laquelle il joue aussi d'une guitare qu'il est loin de maîtriser comme ses fûts, n'arrive pas à se hisser a niveau de la qualité des autres titres du LP. Se situant dans la continuité de la Fusion si particulière inventée par le groupe, mais marqué par une joie vibrante de jouer et un désir de prouver que tout n’a pas été dit, Procession est un disque intègre et cohérent, peut-être le dernier grand album de Weather Report avant sa séparation définitive trois années plus tard.

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Pat Metheny : Still Life (Talking) (Geffen), USA 1987
Pat Metheny : Letter From Home (Geffen), USA 1989


Pat Metheny restera comme un guitariste génial ayant embrassé tous les genres de musiques qui lui étaient accessibles : du Rock au Jazz le plus pur en passant par les expérimentations sonores, les compositions acoustiques presque classiques, les bandes originales de film, l’ambient méditatif, la fusion ethnique et j’en passe. Poursuivant une idée déjà brillamment ébauchée sur les albums précédents du Pat Metheny Group (notamment First Circle, le superbe et dernier disque enregistré en 1984 pour le label munichois ECM), Metheny met cette fois l’accent sur les éléments brésiliens de sa musique en définissant une architecture sonore originale qui a la couleur de l’Amérique latine et celle d’un Pop-Jazz sans être vraiment ni l’un ni l’autre. Indissociables, ces deux albums publiés chez Geffen constituent probablement le meilleur de ce que l’on pourrait appeler la période Folk-Jazz du guitariste. Bien qu’immédiatement accessible à tout public, la musique à la fois douce, exotique et enchanteresse reste captivante car, contrairement à beaucoup de musiciens ayant opté pour le Smooth Jazz (lisez : la musique d’ascenseur) comme Lee Ritenour, Chris Botti et autres Joe Sample, Metheny maintient la pression par des improvisations de haut vol sur des rythmiques complexes et des arrangements immaculés. Evitant de confondre légèreté et facilité, le leader qui n’hésite pas à recourir aux technologies les plus modernes, emporte une immédiate adhésion grâce à des mélodies accrocheuses et une aptitude à créer des ambiances dépaysantes qui font naître des visions d’espaces sauvages et désertiques. Dans cette optique, Metheny reste profondément américain et jamais des notes n’auront mieux évoqué le silence et l’absolu régnant sur le Grand Canyon du Colorado ou le désert de l’Arizona que Last Train Home, Distance ou Slip Away. Ce n’est pas pour rien que ces titres sont la plupart du temps repris en boucle pour rehausser des émissions consacrées aux splendeurs naturelles (Ushuaïa). Entouré désormais d’un noyau stable composé de Lyle Mays (claviers et synthétiseurs), Steve Rodby (basse) et Paul Wertico (batterie) et assisté par des percussionnistes et des vocalistes, Pat Metheny a conçu à la fin des années 80 deux disques intemporels et spirituels dont la beauté sereine n’enlève rien à leurs qualités musicales intrinsèques.

Ecouter / Commander : [ Still Life (Talking) ] [ Letter From Home ]

John Scofield : Loud Jazz (Gramavision), USA 1988
Dans les années 80, John Scofield enregistra pour le label Gramavision quelques disques de guitare Fusion louchant vers un Funk électrique tranchant comme l’acier. Celui-ci, intitulé avec beaucoup d’à propos Loud Jazz, en devient du coup le plus emblématique de la série. Pas de pyrotechnie inutile ni de cavalcades à travers le manche. Les titres seraient même plutôt relax avec un Sco qui faisait déjà à l’époque ce qu’il sait faire le mieux avec son Ibanez électrique : installer un groove permanent grâce à une palette de sonorités et d’effets distinctifs empruntant aussi bien au Rock (le timbre, les sons distordus et les cordes tirées à l’extrême) qu’au Jazz (le phrasé Post-Bop complexe et cérébral). Il faut l’entendre sur Dirty Rice faire glisser ses doigts et produire des bruits à la limite de la dissonance sans perdre une seule goutte de Soul pour comprendre l’originalité fusionnelle de son style. En plus de son quartet habituel comprenant Robert Aries aux claviers, Gary Grainger à la basse électrique et le grand Dennis Chambers derrière les fûts, le leader a également fait appel au percussionniste Don Alias et, sur six compositions parmi onze, a appelé en renfort le claviériste George Duke pour enjoliver les séquences d’accords de solos aussi fulgurants qu’élégants – à prendre également comme un renvoi d’ascenseur de la part du guitariste à son ancien patron, alors co-leader du Billy Cobham-George Duke Band au milieu des années 70. Les mélodies ne sont peut-être pas des plus mémorables (quoique True Love est une ballade plutôt agréable malgré son classicisme) mais sur le plan du Funk, le groupe est imbattable : écoutez Otay, son slapping de basse dans le genre Stanley Clarke / Victor Bailey, l’orgue Hammond groovy, la batterie explosive de Chambers, le solo viscéral de synthé et les coups rageurs de la guitare qui tranche comme un sabre dans la mêlée. La réputation du guitariste grandira encore au cours des années 90 et au-delà mais son style électrique était déjà bien en place à cette époque à tel point qu’entre ce disque (superbement produit par Steve Swallow) et d’autres plus récents (comme Bump par exemple, sorti en 2000), la différence est quasiment imperceptible. D’ailleurs, entre les deux, j’opte sans hésiter pour ce Loud Jazz plus pur, plus direct, plus fort, un peu moins fluide peut-être mais aussi moins cabotin.

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Ain Soph : Hat And Field (King Records / Nexus KICS-2897 / Import Japon), JAPON 1986
De tous les groupes présentés sur cette page consacrée au Jazz-Rock des années 80, le quartet japonais Ain Soph, formé dans les années 70, est probablement celui qui se classe le mieux sous l’étiquette progressive. Les premières références qui viennent en effet à l’esprit quand on écoute leur musique sont celles de combos typiquement anglais appartenant à l'école de Canterbury comme Caravan, National Health ou encore Hatfield And The North qui a par ailleurs servi d’inspiration pour le titre de cet album dénommé sans fausse pudeur Hat And Field (pour la petite histoire, leur toute première démo, enregistrée en concert en 1978 sous le nom de Tenchi-Sozo, a été rééditée en 1991 sous l’intitulé Ride On A Camel à prendre comme un hommage similaire au groupe Camel). Outre la suite éponyme en cinq sections, le répertoire, pour ceux qui ne l’auraient pas encore compris, enfonce encore le clou avec un Canterbury Tale explicitement dédié à Pye Hastings et à Richard Sinclair (respectivement guitariste et bassiste de Caravan). Après tout, si les Japonais ont aussi difficile à se procurer les disques progressifs en provenance d’Europe que nous pour les productions extrême-orientales, il y a sûrement au pays du soleil levant un public tout disposé à écouter la musique volontairement déférente d’un tel « tribute band ». Toutefois, chez Ain Soph, les moments les plus intenses peuvent aussi évoquer la Fusion d’un Return To Forever ou du Chick Corea Elektric Band, les musiciens, en particulier le guitariste Yozox Yamamoto et le claviériste Kikuo Fujikawa, s’avérant techniquement à l’aise dans des improvisations débridées même si elles n’atteignent jamais la démesure flamboyante d’un Chick Corea ou d’un Al Dimeola dont ils vont jusqu’à reprendre l’inclination pour les séquences d’accords marquées d’une touche hispanique. Globalement, la musique entièrement instrumentale reste quand même essentiellement mélodique, accessible et synthétique, davantage orientée vers des atmosphères relaxantes que vers une technicité pure et dure. C’est probablement ce croisement entre ces deux sous-genres qui rend Ain Soph intéressant : si vous aimez la fusion américaine des années 70/80 interprétée de manière compétente mais édulcorée dans une perspective plus soft à l’instar des groupes jazzy de Canterbury, cet album méconnu vous fera probablement vibrer.

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